Ile Maurice: Curepipe - Une lumière quelque peu éteinte

Nichée dans les hauteurs du plateau central, Curepipe a longtemps été perçue comme une ville d'exception. Avec son climat frais, ses brumes matinales et son atmosphère paisible, elle évoquait un certain charme européen. Mais aujourd'hui, ce qui fut autrefois surnommé la Ville lumière semble s'éteindre à petit feu. Entre bâtiments délabrés, infrastructures vieillissantes et sentiment d'abandon, Curepipe donne l'impression d'une ville qui peine à suivre le rythme du développement.

Curepipe n'est plus tout à fait la carte postale qu'elle fut. Les jardins soigneusement entretenus, les maisons de style colonial et l'ambiance feutrée de ses rues font désormais place à une certaine morosité. Des immeubles laissés à l'abandon, des trottoirs fissurés et des enseignes délavées témoignent d'un laisser-aller que beaucoup regrettent.

Selon le registre électoral de 2024, Curepipe compte 59 362 électeurs, répartis sur cinq wards. Lors de ces élections municipales 2025, elle est regroupée avec une partie de la ville de Vacoas, notamment pour le ward 1 et une partie du ward 2. Un découpage qui pourrait peser sur l'issue du scrutin, notamment dans les zones plus marginalisées. Pour de nombreux habitants, les élections sont synonymes de promesses souvent non tenues. «Cela fait des années qu'on parle de réhabilitation du centreville, de modernisation des infrastructures, mais sur le terrain, on ne voit rien de concret», déplore Mireille, habitante de Camp-Caval.

Le centre-ville : Entre déclin et renouveau

Malgré ce tableau, tout n'est pas sombre. Le centre-ville tente de se réinventer, en particulier grâce à l'arrivée du Metro Express. L'ouverture de la station de Curepipe a créé un nouveau flux de visiteurs. Les commerces situés aux alentours connaissent un regain d'activité. Sheila, commerçante depuis plus de 20 ans, s'en réjouit : «Pendant les travaux, c'était l'enfer. Moins de clients, de la poussière partout et une circulation chaotique. Mais aujourd'hui, je vois des visages nouveaux, des familles qui s'arrêtent, des jeunes qui flânent. Il y a comme une énergie nouvelle.»

Toutefois, les attentes sont encore nombreuses : éclairage public, bancs, aménagement paysager... autant d'éléments qui peuvent redonner à Curepipe son cachet. Non loin de cette marchande, l'ambiance change. Le marché, autrefois bouillonnant, peine à retrouver sa vitalité. Le matin, les allées sont calmes, presque vides. Il faut attendre l'heure du déjeuner pour voir affluer les clients. Anjali, installée au marché depuis une dizaine d'années, ne mâche pas ses mots : «Les conditions sont lamentables. On paie notre espace, mais rien ne suit. Les étals sont vieux et personne ne nous écoute.» Selon elle, les doléances envoyées à la municipalité restent sans réponse.

Ce sentiment d'abandon est renforcé par la présence incontrôlée de marchands ambulants. Installés autour de la gare du Sud, ils vendent fruits, légumes, poissons à même le sol. Une concurrence jugée déloyale par les marchands réguliers. «Eux ne paient rien, mais nous, on doit supporter la bureaucratie, les inspections, les redevances», s'indigne Shakil, marchand à Bruce Square.

Au-delà des problématiques économiques, c'est la sécurité qui inquiète. Plusieurs commerçants signalent la présence de groupes suspects aux abords de la gare et dans certaines rues désertes dès la tombée de la nuit. «On travaille avec du cash. Et parfois, on ne se sent pas en sécurité. Il faudrait des patrouilles plus fréquentes, surtout en fin de journée», confie une vendeuse qui préfère garder l'anonymat. Si le poste de police n'est pas loin, sa présence se fait pourtant discrète.

Des projets abandonnés, des espoirs envolés

Le projet du Forum, censé offrir un nouvel espace moderne à une partie des marchands de la ville, a été mis en veille. Tout comme celui, plus ambitieux encore, de l'Urban Terminal, qui promettait une véritable métamorphose du centre-ville. Ce complexe devait accueillir une piscine, près de 1 200 étals pour les marchands, des espaces commerciaux et résidentiels, une aire de loisirs, un parking de 1 500 places, ainsi qu'un terminal de bus repensé avec voie d'accès, stands pour taxis et même un espace vert. Des propositions qui avaient soulevé un réel enthousiasme à leur annonce...

L'Hôtel de ville, majestueux bâtiment colonial fraîchement rénové pour Rs 140 millions, devait être une fierté. Pourtant, à peine quelques mois après sa réouverture, la toiture bleu ciel perd de son éclat, virant au gris sous l'effet des intempéries.«On dirait que même la peinture n'a pas tenu ses promesses, comme nos élus de l'ancien régime», lance ironiquement Gérard, habitant du quartier. Ce bâtiment emblématique devait être le point de départ d'une réhabilitation plus large de la ville. Il semble aujourd'hui isolé dans son décor désuet.

Dans les quartiers résidentiels de Mangalkhan, Malherbes, Camp-Caval ou encore Atlee, les problématiques sont différentes, mais tout aussi pressantes. Routes impraticables, caniveaux obstrués, aires de jeux laissées à l'abandon... Mike, jeune habitant de Malherbes, milite depuis quelques années pour des activités sportives destinées aux jeunes. «Il y a beaucoup de potentiel ici. Des gars qui savent courir, boxer, danser, mais qui n'ont aucun encadrement. Le sport peut sortir les jeunes des tentations, mais pour ça, il faut des infrastructures.» Il appelle les élus à être présents sur le terrain : «Venez après les élections aussi. Écoutez les quartiers. Aidez-nous à organiser des tournois, des formations, même des séances de sensibilisation. Ne nous laissez pas seuls.»

Le constat est le même dans plusieurs zones. À La Brasserie, les nids-de-poule jalonnent la chaussée. L'eau de pluie stagne dans des flaques boueuses, rendant la circulation difficile, voire dangereuse. «On a l'impression que la ville est figée dans le temps», lâche Alain, désabusé. Il pointe aussi du doigt les projets de logements de la New Social Living Development Ltd, toujours en suspens. «On ne sait pas quand ça va se terminer. Et en attendant, tout est en chantier, les routes sont impraticables surtout en temps de pluie.»

Un appel à la responsabilité

À l'approche des élections municipales, une chose est certaine : les Curepipiens ont beaucoup à dire. Et s'ils se montrent critiques, c'est aussi parce qu'ils aiment leur ville et veulent la voir briller à nouveau. Ils appellent à une gouvernance plus proche du terrain, à des décisions concrètes, à des investissements durables. Curepipe n'a pas perdu son âme - elle attend juste qu'on la ravive, avec des actions sincères, à la hauteur de ses habitants.

∎ L'arrivée du métro a insufflé un nouveau dynamisme à la ville de Curepipe.

∎ Le bazar de la Ville lumière, tout comme plusieurs bâtiments de la rue Chasteauneuf, aurait bien besoin d'un rafraîchissement.

∎ Restauré pour Rs 140 millions, l'Hôtel de ville mériterait aujourd'hui un sérieux nettoyage.

∎ Comme d'autres résidences à Curepipe, certaines habitations donnent l'impression d'avoir été laissées à l'abandon.

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