L'histoire politique récente de Maurice est marquée par des trajectoires personnelles qui en disent long sur l'état du pouvoir.
Celle de Renganaden Padayachy, ex-ministre des Finances, est l'un des cas les plus édifiants. De la rigueur académique de la Sorbonne à une cellule policière à Moka, son parcours incarne à la fois la réussite fondée sur le savoir et le naufrage d'un système politique. À 54 ans, celui qui fut l'architecte de plusieurs réformes économiques majeures se retrouve éclaboussé par des accusations lourdes, dans le sillage d'un scandale politico-financier autour de la Mauritius Investment Corporation (MIC).
Né à Bel-Air et ayant grandi au sein d'une famille modeste dans un faubourg de Beau-Bassin, Renganaden Padayachy appartient à cette nouvelle génération de jeunes élites, formées à l'étranger. Après des études au Collège John Kennedy, il poursuit son cursus en France, obtenant deux masters (en économie publique et industrielle), avant de décrocher un doctorat en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Sa thèse porte sur la pauvreté à Maurice, un thème qui résonnera plus tard dans ses choix budgétaires à caractère social.
À son retour, il rejoint la Chambre de commerce et d'Industrie (MCCI) en tant que Chief Economist. C'est durant son mandat de sept ans - 2010 à 2017 - que commence sa montée en puissance : il devient un visage familier des médias économiques grâce au baromètre conjoncturel de la MCCI, tout en tissant des relations précieuses dans les cercles de pouvoir. Sa rencontre avec Pravind Jugnauth, facilitée par Azim Currimjee, qui occupait à un moment la présidence de la MCCI de l'époque, sera décisive. Ce dernier ouvre la voie à une relation étroite entre le jeune économiste et le futur Premier ministre, Pravind Jugnauth. Padayachy s'impose peu à peu comme le «principal conseiller économique du régime», influençant la conception de plusieurs mesures à fort impact social telles que le salaire minimum, l'impôt négatif ou encore les subventions ciblées.
En 2015, il entre dans la sphère monétaire comme membre du Board of Directors de la Banque de Maurice (BoM), avant de devenir First Deputy Governor en 2017. Membre du Monetary Policy Committee, organe stratégique de la politique monétaire durant la même période, son profil rassure : il se voit lentement émerger comme un homme de dossiers, discret, et maîtrisant les subtilités macroéconomiques. Nommé en 2018 président de la Financial Services Commission (FSC), autorité de régulation du secteur financier non-bancaire, ce nouveau rôle renforce son expertise et élargit son réseau, alors même que ses ambitions politiques s'affirment.
L'année charnière sera 2019, à la faveur des élections générales. Candidat dans la circonscription n°13 (Rivière-des-Anguilles-Souillac), il se fait élire en deuxième position. Il entre de plain-pied dans la politique partisane et se voit confier le poste stratégique de ministre des Finances. À ce titre, il pilote la politique économique du gouvernement pendant un mandat marqué par la pandémie de Covid-19.
La MIC, instrument de sauvetage ou vache à lait ?
La pandémie offre au ministre une occasion de redéfinir les règles du jeu économique. Sous son impulsion, la BoM lance la Mauritius Investment Corporation (MIC), un fonds de sauvetage visant à soutenir les entreprises systémiques mises à mal par la crise. En théorie, l'objectif est noble : préserver l'emploi, stabiliser les grands groupes, éviter une implosion de l'économie. En pratique, la MIC devient un outil d'influence et de redistribution opaque. Plusieurs entreprises proches du pouvoir et de son cercle d'influence bénéficient de prêts à des conditions souvent avantageuses, alimentant les soupçons de favoritisme, de clientélisme économique et de manque de transparence.
Padayachy, à la tête du ministère de tutelle, est au coeur de ce dispositif. Certes, la BoM est censée être indépendante et son gouverneur Harvesh Seegolam exerce une certaine autonomie. Mais les liens politiques, les influences croisées et la culture du top-down rendent difficile la démarcation entre décision politique et décision technique. Autour de Padayachy, une véritable galaxie de fidèles et de directeurs se met en place. Il s'entoure d'une équipe de conseillers loyaux, infiltre les conseils d'administration des entreprises publiques stratégiques, et étend son influence sur les entités financières. Cette centralisation du pouvoir économique suscite admiration dans certains cercles, mais aussi craintes quant aux dérives potentielles.
Le ministre devient l'homme clé de Lakwizinn, le cercle rapproché du pouvoir. Il est décrit comme «exécutant les instructions d'en haut», souvent sans remise en question. Cette loyauté sans faille devient avec le temps une forme de complicité systémique dans un gouvernement de plus en plus contesté pour son opacité et ses dérives autoritaires. Les bandes sonores Missie Moutass durant la dernière campagne électorale témoigneront de cette proximité.
Chute et disgrâce : Quand le système se retourne
Le retournement est brutal. Battu aux dernières élections, tout comme les 59 autres candidats de l'Alliance Lepep, Padayachy se voit embourbé dans un scandale financier devenant le protagoniste central d'une enquête à rebondissements initiée par la nouvelle équipe de la BoM sur des fonds détournés au préjudice de la MIC. C'est une véritable boîte de Pandore qui est ouverte...
Son nom est associé à un potentiel détournement de fonds publics via la MIC, à la suite de révélations du CEO de la MIC, Jitendra Bissessur, et de l'ex-gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, qui auraient exposé un système de financement parallèle et d'interventions politiques dans les décisions de prêts alloués. Résultat : Padayachy est arrêté mercredi dernier, inculpé provisoirement et placé en cellule policière jusqu'au 17 avril, rejoignant ainsi l'ex-Premier ministre, Pravind Jugnauth, et l'ex-Attorney General, Maneesh Gobin, dans ce qui apparaît comme une débandade du régime sortant.
Face à ces accusations, Padayachy se défend. Son avocat, Me Raouf Gulbul, tente de désamorcer la tempête judiciaire. Mais la pression publique est immense ; et les langues commencent à se délier. Comme d'autres inculpés avant lui, Padayachy pourrait être tenté de désigner les higher quarters comme donneurs d'ordres, dans une tentative de se dédouaner. La grande question qui hante désormais les rangs du MSM : Padayachy peut-il rebondir ? Sera-t-il un bouc émissaire sacrifié sur l'autel de la stratégie politique ? Ou peut-il espérer une réhabilitation après une purge judiciaire, comme d'autres avant lui ?
Les avis sont partagés. Certains soulignent sa compétence, sa loyauté et sa compréhension des enjeux économiques. D'autres, plus sceptiques, estiment qu'il est devenu un symbole d'un système verrouillé, où expertise et dépendance politique ont fini par fusionner.
Marié à une Française, père d'une fille, connu pour sa ferveur religieuse et ses fameuses «savat dodo», il est aujourd'hui à la croisée des chemins. Ce qui fut une carrière exemplaire pourrait se terminer en disgrâce, à moins qu'il ne parvienne, contre vents et marées, à démontrer qu'il n'était qu'un rouage dans une machine plus grande que lui. Quoi qu'il advienne, son parcours restera un cas d'école de la politisation de l'économie et de la fragilité de l'intégrité dans les cercles du pouvoir.