Dans le vacarme d'un monde qui renoue avec les nationalismes économiques, la voix de Lawrence Wong, nouveau Premier ministre de Singapour, résonne autrement. Calme, limpide, grave. Devant son Parlement, il ne vend pas des illusions. Il parle clair. Il appelle à la lucidité, pas à la peur. À la cohésion, pas à la panique. Face à Trump, il ne fait pas dans la rhétorique : il déroule une stratégie.
Maurice ferait bien d'écouter. Et de regarder.
Parce que les secousses nous atteignent déjà. Chez nous, mardi au Parlement, le Premier ministre a expliqué que Maurice avait mis sur pied un «High-Level Committee» pour suivre l'impact des nouvelles taxes américaines. Il engage aussi des discussions avec la Maison-Blanche. Il écrira à Trump. Il parle de coordination régionale, d'AGOA, et de sécurisation des marchés. Soit. Mais il faut un peu plus. Une boussole ? Une vision ?
Car il faut le dire : le retour de Trump à la Maison-Blanche n'est pas un accident diplomatique. C'est un basculement. Une reconfiguration brutale de l'ordre mondial. Ce n'est plus la mondialisation régulée. C'est la jungle tarifaire. Les lois du plus fort. La fin du multilatéralisme que les petites nations avaient appris à manier comme un filet de sécurité dans le grand huit des relations internationales.
Et pendant que les plaques tectoniques bougent, que font les capitales du Sud ? Elles tergiversent. Elles communiquent à vide. Elles espèrent que la tempête les contournera.
Mais cette tempête est le nouveau climat. Et Maurice, sans parapluie stratégique, est mouillée jusqu'à l'os.
Leçon numéro un : la clarté.
Wong ne joue pas à faire peur. Il parle franchement : «Nous sommes petits. Nous sommes vulnérables. Mais nous sommes résilients.» Il ne flatte pas. Il mobilise. Il arme son peuple d'un état d'esprit, pas d'un slogan. Et nous ? Où est notre mobilisation psychologique ? Qui prépare notre secteur privé à l'après-AGOA ? Qui relie - sérieusement - la guerre commerciale de Washington à notre dossier Chagos ?
Deuxième leçon : la transparence.
Wong ne cache rien. Il parle de la chute de la confiance économique, de l'onde de choc sur les investissements, du risque de marginalisation. Il reconnaît que même avec seulement 10 % de taxes, Singapour est exposée. Parce que leur économie est profondément intégrée au commerce mondial. Chez nous, c'est l'inverse : on emballe les chiffres, on renvoie aux «discussions bilatérales». On fait mine de croire que les mots suffisent à conjurer l'impact réel. Or, notre dépendance aux exportations est structurelle. Notre alignement géopolitique est flou. Et notre marge de manoeuvre est faible.
Troisième leçon : la dignité stratégique.
Wong ne quémande pas. Il coordonne. Il parle à Keir Starmer, à Anwar Ibrahim, à l'ASEAN. Il envoie un signal : Singapour veut peser dans un monde fragmenté. Et Maurice ? Elle continue de croire au tête-à-tête avec Washington. Mais Trump ne discute pas. Il négocie à coups de menaces. Il convertit la souveraineté en actif stratégique. Les Chagos ne sont pas une question de droits humains pour lui. C'est un deal. Et dans ce deal, qui tient le crayon ? Pas nous.
Alors, que faire ?
Cesser d'imaginer que Diego Garcia est un dossier séparé du commerce international. Refuser le chantage stratégique. Bâtir des coalitions juridiques et politiques. Mobiliser l'Union africaine. Défendre, sur la scène multilatérale, une diplomatie des principes. Pas des petits calculs.
Et surtout : parler vrai à notre peuple. Car ce peuple a de la mémoire. Il se souvient que les grandes batailles mauriciennes - maritime, climatique, coloniale - n'ont jamais été gagnées en silence.
Dans ce monde fracturé, la petitesse n'est pas une faiblesse. C'est une ligne de conduite. Singapour l'a compris. Oserons-nous, nous aussi, regarder dans ce miroir...