Afrique: African Credit Rating Agency - Le contineny cherche à s'émanciper des agences de notation occidentales

analyse

L'African Credit Rating Agency (Afcra), portée par l'Union africaine, devient en 2025 la première agence africaine de notation financière. Une alternative aux grandes institutions comme Standard & Poor's, Moody's et Fitch ?

L'année 2025 marque un tournant pour la finance africaine, avec le lancement attendu de l'African Credit Rating Agency (Afcra), portée par l'Union africaine. Prévue au second semestre, cette agence de notation continentale ambitionne de proposer des analyses de crédit sur mesure, alignées sur les réalités économiques du continent.

La notation de crédit est une évaluation de la capacité d'un émetteur - que ce soit une entreprise, une institution financière ou un État - à rembourser ses dettes. Elle constitue un instrument utile quant à la prise de décision de la part des fournisseurs de capitaux. Elle équivaut à un passeport pour le crédit offrant la possibilité d'accès à des capitaux étrangers. Dans le contexte d'une économie mondialisée, cet élargissement de l'accès au marché s'accompagne le plus souvent d'une diminution des coûts de financement, notamment au profit des émetteurs qui bénéficient d'une notation élevée.

Pourtant, le débat reste vif. Depuis des années, les notations des agences internationales Moody's, Standard & Poor's (S&P) ou Fitch, qui influencent directement le coût des emprunts des États africains, sont au coeur des polémiques. Alors que le continent cherche à attirer davantage d'investisseurs, une question s'impose : ces évaluations conçues à des milliers de kilomètres sont-elles vraiment adaptées aux défis et aux atouts uniques de l'Afrique ?

Oligopole mondial de la notation de crédit

Dans les années 1990, le paysage financier africain était marqué par une asymétrie frappante : seule l'Afrique du Sud arborait une notation souveraine. Quinze ans plus tard, en 2006, près de la moitié des 55 pays du continent - 28 États - restaient encore invisibles sur la carte des agences de notation. Si ces dernières présentent leurs analyses comme de simples opinions, leur impact est tangible : leurs notes influencent directement les décisions d'investissement et les taux d'intérêt appliqués aux États africains.

Leur domination oligopolistique soulève des critiques. Les notations, censées réduire l'asymétrie d'information entre investisseurs et États, sont jugées trop génériques. De nombreux experts et dirigeants africains critiquent des méthodologies de notation jugées inadaptées, car elles peinent à saisir les spécificités des économies locales. Fortement axées sur des données quantitatives, parfois biaisées, elles ne rendent pas toujours justice aux réalités africaines. Le manque de données locales fiables renforce cette limite, laissant place à une subjectivité accrue et à des évaluations menées par des experts souvent éloignés du contexte régional.

Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l'actualité. Abonnez-vous dès aujourd'hui !

Prime de risque africaine

Sur le continent, une frustration grandit : celle d'une « prime de risque africaine ». Exagérée, imposée par des notations jugées trop sévères, elle ne refléterait pas les progrès économiques et structurels réalisés. Une étude du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) estime que cette surévaluation du risque entraînerait des surcoûts d'emprunt de plusieurs milliards de dollars par an pour les pays africains.

D'après ce rapport, la sous-évaluation des notations souveraines par les agences (S&P, Moody's, Fitch) engendre un surcoût annuel estimé à 74,5 milliards de dollars pour les pays africains, dont, notamment, 14,2 milliards en surcoûts d'intérêts sur les dettes domestiques, 30,9 milliards en opportunités de financement manquées pour ces mêmes dettes et 28,3 milliards supplémentaires pour les eurobonds - des obligations ou titres de créance émis par un pays dans une monnaie différente de la sienne.

Les critiques portent sur deux aspects :

  • Les biais quantitatifs : les modèles standardisés ne reflètent pas toujours les réalités locales, en particulier l'impact des économies informelles. Ils sous-estiment le rôle essentiel des diasporas dans le financement des États. En 2024, selon un rapport de la Banque mondiale, les Africains vivant à l'étranger ont envoyé 100 milliards de dollars vers le continent, soit l'équivalent de 6 % du PIB africain.
  • Les lacunes qualitatives : le manque de données contextuelles conduit à des évaluations subjectives. En 2023, le Ghana a ainsi rejeté sa notation de Fitch, la qualifiant de « déconnectée des réformes en cours ». Plusieurs pays africains ont publiquement rejeté les notations qui leur ont été attribuées au cours des dix dernières années.

L'alternative : Africa Credit Rating Agency (Afcra)

Face à ces limites, une réponse Made in Africa a germé : la création de l'Africa Credit Rating Agency (Afcra), une agence de notation pensée par des Africains, pour des Africains. Portée par l'Union africaine, cette initiative ambitionne de réécrire les règles du jeu.

L'idée est de construire une grille d'analyse qui épouse les réalités du continent, ses défis, mais aussi ses atouts souvent invisibilisés. Au coeur du projet : des méthodes transparentes, nourries par des données locales et des indicateurs taillés sur mesure. Les indicateurs sur mesure pourraient inclure la valorisation des actifs naturels, la prise en compte du secteur informel et des mesures du risque africain réel plutôt que perçu. L'objectif est d'obtenir des notations plus complètes grâce à cette sensibilité contextuelle.

Asymétrie d'information

Les agences de notation se présentent traditionnellement comme des actrices clés pour atténuer les déséquilibres informationnels sur les marchés. Leur promesse est d'éclairer les investisseurs en évaluant les risques de crédit, permettant ainsi des décisions mieux informées. Cette légitimité, acquise au fil des décennies, repose sur un double pilier : l'innovation constante dans leurs méthodes d'analyse et une réputation forgée par leur influence historique sur les marchés.

Un paradoxe persiste. Le modèle économique dominant - où les émetteurs financent eux-mêmes leur notation - alimente des suspicions récurrentes de conflits d'intérêts.

Nos recherches interrogent cette tension à travers une analyse de l'évolution du secteur des agences de notation, des fondements théoriques de son existence et des risques liés à la concentration du pouvoir entre quelques acteurs.

Un constat émerge, l'opacité des critères méthodologiques et la technicité des modèles utilisés nourrissent autant la défiance que la dépendance des marchés. Les agences s'appuient sur des indicateurs quantitatifs - PIB, dette publique, inflation - et qualitatifs - risque politique, transparence gouvernementale -, dont les pondérations varient, aboutissant à des évaluations parfois incohérentes. Pour renforcer leur crédibilité, une exigence s'impose : rendre lisible l'invisible, en clarifiant les processus d'évaluation sans sacrifier leur nécessaire complexité.

Méthologies IA et ESG

Des recherches récentes explorent le potentiel des méthodologies d'intelligence artificielle (IA) et d'apprentissage automatique pour intégrer les facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans l'évaluation du risque. Ces avancées visent à surpasser les limites des modèles traditionnels en capturant la complexité des relations entre les indicateurs ESG et le risque financier, avec pour objectif de renforcer la précision et la fiabilité des évaluations du risque pour favoriser une allocation du capital plus éclairée et durable.

Pour l'Afrique et l'Afcra, ces approches mettraient en lumière des atouts sous-estimés, comme la résilience du secteur informel ou certaines spécificités institutionnelles. Elles permettraient aussi de mieux comprendre les liens complexes entre les critères ESG et le risque financier propres au continent. L'objectif pour l'Afcra serait de créer des évaluations plus précises et adaptées, réduisant la « prime de risque africaine ».

L'essor d'agences régionales représente une avancée importante vers un système plus équilibré. Pour réussir, les gouvernements africains doivent coordonner leurs efforts, soutenir les initiatives locales et instaurer un dialogue constructif avec les agences internationales. L'Afrique est en marche vers une meilleure souveraineté financière. L'Afcra saura-t-elle relever le défi ?

Oussama Ben Hmiden, Professeur de finance, HDR, ESSCA School of Management

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 110 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.