Il ne fait pas toujours bon être fonctionnaire, surtout si votre tête ne revient pas à un supérieur hiérarchique, si vous n'exécutez pas aveuglément les ordres ou que les fréquentations d'un de vos proches déplaisent au régime en place. Iona Melanie Oree, ancienne secrétaire permanente au ministère du Service Civil et actuelle présidente de la Public Service Commission (PSC), en sait quelque chose.
Comme elle n'avait donné aucune matière à critique dans son travail, à 61 ans, elle a été licenciée sur la base de son âge alors qu'elle avait exprimé sur l'Option Form du Pay Research Bureau (PRB) son intention de travailler jusqu'à 65 ans. Aujourd'hui, avec sa nomination à la tête de la PSC, cette ancienne haut fonctionnaire savoure une belle revanche. Mais elle ne nourrit aucun désir de vengeance. Ce qu'elle veut c'est considérer équitablement toutes les demandes de postulants et choisir le candidat le plus méritant. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Iona Melanie Oree est née, il y a 66 ans, à Mumbai d'un père commissaire au bureau des Impôts et d'une mère éduquée jusqu'au secondaire, devenue femme au foyer pour élever ses cinq enfants. Iona Melanie Oree a fait ses études primaires et secondaires au Couvent de Jésus et Marie où elle a été élue Head Girl. Autant son père voulait qu'elle fasse des études supérieures pour obtenir un Bachelor of Arts en anglais, autant elle a opté pour une matière nouvellement introduite à l'université de Bombay, le BA en Economics qu'elle a allié à la sociologie. C'est dans cette université qu'elle a rencontré Jayprakash Oree, Mauricien fraîchement recruté dans la Fonction publique, qui avait pris un congé sans solde pour étudier l'économie et les statistiques. À la fin de son parcours universitaire, Iona Melanie Oree a obtenu un First Class Honours Bachelor degree.
L'amour étant au rendez-vous, ils se sont mariés le 16 février 1979. Ils avaient le choix entre émigrer en Australie ou s'installer à Maurice, d'autant plus que la mère de Jayprakash Oree, qui avait été veuve très tôt, élevait ses trois autres enfants à Maurice. Les sentiments ont pris le dessus. Le couple Oree a débarqué à Maurice quatre mois plus tard. Notre interlocutrice a effectué, pendant trois ans, des remplacements comme enseignante d'économie, de commerce et de General Paper au niveau des Form V et VI au Lorette de Port-Louis avant d'être recrutée comme assistante libraire au ministère de l'Éducation.
Voulant poursuivre ses études supérieures, elle a pris un congé sans solde et puisé dans ses économies pour retourner à l'université de Mumbai afin d'obtenir une maîtrise en économie. La première année, ses résultats étaient excellents et l'université lui a offert une Merit scholarship pour sa deuxième année. Au final, elle a décroché sa maîtrise avec un First Class Honours.
À son retour à Maurice, Iona Melanie Oree a eu le choix entre un emploi à la State Bank, à la Banque de Maurice ou retrouver le service civil. «Je préférais me mettre au service de l'État et du public», raconte-t-elle. Elle a d'abord été nommée Administrative Officer à l'Establishment division du bureau du Premier ministre en 1988. Quatre ans plus tard et à sa demande, elle a été transférée au ministère des Finances. Elle y est restée jusqu'en 1999.
Elle a donné naissance à des jumeaux, Ravi et Sonam et a repris le travail. En 1999, devenue Principal Assistant Secretary (PAS), elle a été envoyée au ministère de la Fonction publique. Le ministre d'alors était Ahmad Jeewah. «Nous avons fait bon nombre de réformes, introduisant un Personnel Management Manual suivi d'un Human Resource Manual. J'ai personnellement compilé un Compendium of legislation for public officers afin que les fonctionnaires soient au courant des lois et connaissent leurs droits.» Sa devise a toujours été «Do justice and be fair to people. Pa tigit fonksioner monn ede.»
Confirmée en tant que Principal Assistant Secretary en l'an 2000, elle a été postée au ministère du Tourisme puis au ministère de la Santé. Au plus fort de l'épidémie du SRAS, elle a mandaté les inspecteurs sanitaires pour qu'ils bloquent des passagers, venus de pays où sévissait ce virus et les fassent rapatrier. «Nous avons réussi à empêcher le SRAS d'entrer à Maurice.»
Elle est satisfaite d'avoir mis en place un atelier orthopédique à Beau-Bassin et d'avoir envoyé des fonctionnaires en France pour qu'ils se forment à la fabrication de prothèses. C'est aussi sous ses directives que le Subramania Bharati Eye Hospital de Moka a obtenu une certification ISO. Iona Melanie Oree a occupé les mêmes fonctions dans plusieurs ministères et s'est aussi retrouvée à la National Development Unit.
À l'Agro-industrie, un de ses dossiers majeurs était la conservation. Elle s'est rendue dans plusieurs îles autour de Maurice pour découvrir les espèces de flore et faune endémiques et a travaillé sur la création d'un trust pour La Vallée de Ferney dont elle a été un des premiers trustees. Après qu'on lui a assigné les fonctions de secrétaire permanent en 2008, elle a été confirmée à ce poste en 2012 et a retrouvé le ministère de la Santé. À un moment, elle s'est rendue compte qu'il y avait un problème d'oxygène dans les cylindres de plusieurs hôpitaux dont les voyants étaient au rouge. Elle a dû rapidement trouver un autre fournisseur, tout en suivant les procédures. Après enquête, il s'est avéré que l'oxygène fourni par l'ancien prestataire était adultéré. «Si je n'étais pas intervenue, des malades auraient trouvé la mort.»
Iona Melanie Oree a présidé plusieurs conseils d'administration dont celui du Mauritius Standards Bureau et a agi comme secrétaire de sir Victor Glover lorsqu'il a présidé la commission d'enquête sur les courses.
En 2019, son tour était venu d'être nommée Senior Chief Executive. Mais elle était sans doute dans le collimateur d'un haut fonctionnaire car elle n'a jamais obtenu cette promotion. Elle a tenté à deux reprises d'obtenir un rendez-vous avec le Premier ministre d'alors à travers son bureau privé mais s'est toujours entendu dire qu'il était trop occupé pour la recevoir.
Trois épisodes ont marqué la vie d'Iona Melanie Oree. Le 28 février 2013, sa fille Sonam, qui avait complété ses études de droit au BPP School of Law à Londres, obtenant son LLB avec First Class Honours et qui était affectée au Middle Temple, a fait un malaise alors qu'elle était en visioconférence avec ses parents. Ce qui a été pris pour un ulcère puis pour une maladie tropicale, s'est avéré être un cancer du système lymphatique. L'University College of London Hospital où elle était traitée, menait à l'époque une recherche sur un protocole expérimental de chimiothérapie. Il leur manquait un participant pour compléter la cohorte. Bien qu'ayant été avertie par sa mère qu'une personne sur 1 000 suivant ce protocole courait de sérieux risques du fait qu'un des médicaments avait comme effets secondaires d'accélérer le cancer et le faire monter au cerveau, Sonam Oree a tenue à être la dernière participante à cette cohorte. «Elle m'a dit, 'j'ai déjà le cancer et même si je dois mourir, au moins cette recherche pourra aider les autres patients cancéreux.'»
Après avoir obtenu une rémission en juillet 2013, un mois plus tard, cette jeune femme de 24 ans a fait une convulsion et est tombée dans le coma. Admise à l'unité des soins intensifs, le cancer avait gagné son cerveau. En décembre 2013, le spécialiste qui la suivait a signifié à ses parents qu'il n'y avait plus rien à faire. Elle est morte sous leurs yeux, le 2 février 2014. À leur retour à Maurice, les Oree qui habitaient Montagne-Longue, ne pouvaient plus rester dans leur maison tant ils y avaient des souvenirs de leur fille. Ils ont contracté un emprunt pour se faire construire une autre maison sur un terrain acheté par Jayprakash Oree à Trou-aux-Biches et où ils vivent aujourd'hui. Leur chagrin est aussi vif qu'hier.
Le vendredi 17 avril 2020, pendant le lockdown, Iona Melanie Oree a regagné sa maison comme d'habitude. Quelques semaines avant, elle avait préparé un Memo pour le conseil des ministres ayant trait à l'annonce du premier confinement. En fin d'après-midi, à sa stupéfaction, elle a reçu une lettre de la Fonction publique en special dispatch. À défaut d'avoir pu trouver une faute dans son travail, c'est par rapport à son âge, soit 60 ans, qu'on lui a annoncé que son «retirement from the public service will take effect on Monday 20th April», soit deux jours après. Cela voulait dire qu'elle était interdite de son bureau. Elle n'a jamais pu récupérer ses affaires. «J'ai accusé le coup. C'était comme si que j'étais une criminelle alors qu'on n'avait strictement rien à me reprocher dans mon travail. L'ironie de la situation est que le gouvernement d'alors avait répété que personne ne perdrait son emploi pendant la pandémie du Covid-19. Là, il allait à l'encontre de la politique qu'il avait prêchée. J'étais blessée au plus profond de moi et je l'ai davantage ressenti à la fin du confinement, quand tout le monde avait repris le travail, sauf moi.»
Quand on touche le fond, c'est là que l'on voit le vrai visage des gens. «Des fonctionnaires qui avaient travaillé avec moi, changeaient de trottoir lorsque je les croisais en chemin, comme si que j'étais une pestiférée.»
Etrangement, son fils Ravi, Occupational Health and Safety Officer, qui comme autorisé par la loi, cumulait quatre emplois à temps partiel dont deux dans des corps parapublics, a été remercié dans trois de ces emplois peu après le renvoi sommaire de sa mère. «Out of the blue, on lui a trouvé des lacunes. C'est incroyable...» Ravi Oree a pu se refaire et exerce aujourd'hui à temps partiel auprès de deux organisations.
Si sa nomination comme présidente de la PSC a restauré sa confiance en elle, elle veut montrer au public qu'elle a des valeurs et qu'elle travaillera «in all fairness and equity. Toutes les institutions du pays ont perdu leur crédibilité durant les dix dernières années et la PSC n'y faisait pas exception. I am here to restore the trust in the PSC, pour montrer qu'elle est indépendante et que les fonctionnaires seront nommés sur la base de la méritocratie. Toutes les applications seront traitées sur un level-playing field et le meilleur candidat sera retenu...»