Ile Maurice: Par-delà la ligne rouge

Depuis ce jour de février 2015, quelque chose s'est brisé dans la République. Ce soir-là, sous les projecteurs complaisants de la MBC, un ex-Premier ministre fut traité comme un voleur de grand chemin. Coffres-forts éventrés, valises alignées, résidence perquisitionnée, et la dignité piétinée sans retenue. Une ligne invisible, mais fondamentale, fut franchie : celle qui sépare la justice de la vengeance. Depuis, à Maurice, la politique n'est plus une alternance démocratique, c'est une guerre de survie.

Les Jugnauth, alors auréolés d'une victoire fraîche en 2014, avaient inauguré une ère nouvelle, où gouverner signifiait punir. Une justice spectaculaire, scénarisée comme un feuilleton. Une décennie plus tard, le décor n'a pas changé. Seuls les acteurs ont interverti leurs rôles. Aujourd'hui, c'est Jugnauth qui vacille. Les valises de billets s'accumulent, le gouverneur de la Banque centrale passe deux nuits en cellule, un ancien ministre des Finances derrière les barreaux pour une semaine.

À chaque élection, Maurice se déchire un peu plus. Le pouvoir devient un outil de domination absolue. Le vaincu ne perd pas seulement les élections : il perd sa voix, ses contrats, son statut, ses droits, ses valises et ses millions. Il est effacé, neutralisé. Tout est bon pour l'écarter. Et dans ce théâtre lugubre, la presse devient l'accessoire ou l'ennemie, selon le camp. On y orchestre les interpellations, on y sème les accusations, on y fait circuler les convocations. Ce n'est plus de l'information, c'est de la mise en scène.

La vérité, c'est qu'on ne réforme pas ce pays. On recommence en pensant que cela va changer. Les mêmes têtes, les mêmes alliances, les mêmes pactes silencieux entre pouvoir et finance. Rien ne change, sinon la vitesse avec laquelle on oublie les promesses. La Freedom of Information Act ? Toujours dans les tiroirs. Le financement des partis politiques ? Toujours opaque. La réforme électorale ? Toujours en discussion pour former le comité. Chaque gouvernement s'installe pour mieux enterrer les engagements d'hier.

Et pendant ce temps, le peuple paie. L'inflation lui ronge les poches. Les jeunes quittent le pays. Les PME crèvent. Les contribuables financent les conseillers, les valises diplomatiques et les procès des puissants. Ce pays, si beau dans sa lumière, vit dans l'ombre de ses renoncements. Il brille à la surface, mais s'effondre à l'intérieur.

Maurice ne manque pas de talents. Elle manque de volonté. Elle manque de mémoire. Le citoyen oublie vite, trop vite. On lui présente des alliances improbables, des discours recyclés, des slogans usés jusqu'à la corde. Et il y croit encore, à chaque fois, par fatigue ou par résignation. Il espère que celui qui a trahi hier ne trahira pas demain. Il oublie que ceux qui promettent l'unité le font en divisant. Que ceux qui parlent de transparence le font la bouche pleine.

Et que dire de ceux qui tirent les ficelles dans l'ombre ? Ces financiers tout-puissants qui arrosent tous les camps, en liquide ou en devises. Ces rois de l'opacité, invisibles à la justice mais omniprésents dans les coulisses du pouvoir. On ne les verra jamais à la barre, mais ce sont eux qui dictent les priorités. Ce sont eux qui remplissent les coffres et vident la morale publique.

Alors, que faire ? Continuer ce cycle de vengeance ? Espérer un sauveur providentiel ? Ou imaginer une autre manière de gouverner ? Une démocratie qui ne soit pas un champ de bataille, mais un espace de partage. Un pouvoir sans culte du chef. Une transition courageuse, de cinq ans, confiée à trois ou cinq personnalités indépendantes, intègres, sans affiliation partisane. Mission : remettre à plat ce qui doit l'être : la Constitution, les institutions, les règles du jeu.

On dira que c'est utopique. Que cela ne marchera jamais. Peut-être. Mais continuer à croire en ceux qui nous ont trahis depuis vingt ans l'est encore plus. Il faut sortir de ce système de peur, de vengeance, de soumission. Il faut apprendre à désobéir au confort du cynisme.

Jeunes, ne vous contentez plus de voter. Reprenez la parole. Refusez de choisir entre deux blocs usés. Créez votre espace. Demandez des comptes. Construisez ce que personne n'a eu le courage d'imaginer. Il vous appartient de faire mentir l'histoire. De refuser la fatalité.

Et aux autres, ceux qui savent et qui se taisent : le silence est une complicité. L'avenir se construit dans le courage. Et l'Histoire, elle, jugera.

Car la République n'est pas morte. Elle est malade. Mais elle peut guérir, à condition d'oser. Oser dire non. Oser dire vrai. Oser choisir une voie qui ne passe plus par la vengeance, mais par la justice. La vraie.

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