Congo-Kinshasa: Des experts sonnent l'alerte contre les dangers du cannibalisme

14 Avril 2025

BUKAVU — À Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), l'on observe de plus en plus des actes de cannibalisme orchestrés dans le cadre de la justice populaire.

L'un des cas les plus récents a été enregistré dans la commune de Kadutu, le 19 mars dernier, où un présumé voleur, accusé par ailleurs d'avoir tué un jeune homme âgé d'une vingtaine d'années, a été lynché, brûlé vif et sa chair mangée par la foule en colère.

Dans un entretien avec SciDev.Net, Luc Nkolamulume, médecin au Centre hospitalier Malkia wa Amani de Bakavu, fait savoir que le cannibalisme a des conséquences néfastes sur la santé humaine et il est à décourager de toute urgence. Soulignant que ces conséquences sont d'ordre psychologique, psychiatrique et somatique.

"Le fait de consommer de la viande humaine parfois entraine des maladies qui vont attaquer le cerveau et le détruire progressivement. La personne va commencer à manifester des troubles du comportement et une altération de ses fonctions cognitives"Luc Nkolamulume, Centre hospitalier Malkia wa Amani de Bakavu

« Cette pratique peut entraîner le développement de différentes maladies psychiatriques et psychologiques, allant de la dépression jusqu'aux désordres graves du comportement. Sur le plan somatique, la consommation de la viande humaine a des conséquences tout comme d'autres viandes qui n'ont pas été soumises aux tests préalables avant consommation. La consommation de la chair humaine peut transmettre beaucoup des maladies », précise Luc Nkolamulume.

Plus grave, souligne-t-il, « les personnes qui consomment de la viande humaine crue maximisent davantage la transmission de ces maladies qui peuvent être virales. Cette consommation peut ainsi transmettre du VIH »

Cette même source rappelle au passage qu'il y a une maladie « très grave » qui a est apparue en Nouvelle Guinée vers les années 1950 liée à la consommation de la viande humaine : c'est la maladie de kuru.

« C'est une encéphalopathie spongiforme liée aux prions humains. Le fait de consommer de la viande humaine parfois entraine des maladies qui vont attaquer le cerveau et le détruire progressivement. La personne va commencer à manifester des troubles du comportement et une altération de ses fonctions cognitives », explique Luc Nkolamulume.

Selon ses précisions, avec cette maladie, on perd de la mémoire, on présente aussi des troubles de l'équilibre et de la coordination des mouvements et c'est une maladie qui évolue fatalement vers la mort par perte progressive de l'autonomie.

Pour sa part, Homer Bulakali, directeur du centre hospitalier Bernard de Bukavu, s'appesantit sur les conséquences psychologiques qui peuvent par la suite provoquer des problèmes de santé mentale.

« L'homme n'est pas cannibale. Celui qui a consommé de la chair humaine peut développer deux types de complications : soit il a un complexe de supériorité et il devient sadique et cela ne peut pas rester sans danger psychologique. Soit cela peut amener le rejet de l'individu par la société et cela peut créer une dépression ou une tendance à s'auto-exclure pouvant même aller jusqu'au suicide », explique-t-il.

« Nous décourageons ce comportement et les personnes qui ont déjà pratiqué le cannibalisme doivent être suivies par des psychologues, des psychiatres ou des psycho-cliniciens pour prévenir le pire », ajoute-t-il.

Insécurité et conflits

Pour Luc Nkolamulume, la consommation de la chair humaine est une pratique à éviter aussi parce que la science montre que la chair humaine n'a rien de nutritif comparativement à la chair des mammifères et autres animaux couramment consommée dans les habitudes des humains.

« C'est pourquoi, nous exhortons les personnes qui s'adonnent à la consommation de la chair humaine, à cesser cette pratique pour prévenir des maladies qui peuvent en découler », martèle-t-il.

Selon le sociologue Emmanuel Akonkwa, enseignant à l'Université officielle de Bukavu (UOB) et chercheur au Centre de recherche et d'étude sur les conflits et la paix dans les Grands-Lacs (CRECOPAX-GL), l'exaspération de l'insécurité dans un environnement davantage ruiné par des décennies de conflits violents avec une pluralité d'acteurs peut justifier cette nouvelle manière de traiter l'être humain déviant ou soupçonné déviant.

Il laisse entendre qu'il est nécessaire de faire noter qu'il y a dans différentes cultures (notamment Bantou), la prohibition du cannibalisme, considéré comme l'expression la plus grave du refus d'humanité.

Pour le chercheur, ce phénomène est tout simplement un élément révélateur d'une certaine anomie sociale entendue comme l'absence de régulation, l'absence de normes ou en tant qu'une application anormale des textes régissant le vivre ensemble.

« Chaque fois que l'anomie sociale atteint des proportions considérables (à l'instar de l'instabilité des 1998-2004 et de l'occupation de régions de l'est du pays depuis février 2025 qui détruisent le peu d'harmonie existante), le recours à la justice populaire, à l'intolérance et finalement au cannibalisme deviennent l'expression des frustrations populaires », ajoute-t-il.

« Les autorités locales sont quasi inexistantes aujourd'hui. Elles ont fui la guerre pour la plupart. La recommandation serait qu'elles reviennent s'occuper des problèmes de sécurité comme avant février 2025. Au Gouvernement national de prendre toutes les dispositions qui s'imposent pour ramener la paix en arrêtant cette guerre de laquelle dépendent les pratiques cannibales aujourd'hui », prescrit le sociologue Emmanuel Akonkwa.

Autorité de l'Etat

Le Centre africain pour la paix, la démocratie et les droits de l'homme, une organisation indépendante qui oeuvre pour la paix, la démocratie et des droits de l'homme fait par exemple savoir que trois personnes avaient été tuées et mangées par des Interahamwe, le 16 février 2004, à Kaniola dans le territoire de Walungu, toujours au Sud-Kivu.

Avec ce qui se produit aujourd'hui, Emmanuel Akonkwa regrette que les jeunes générations soient replongées dans ces années-là où les pratiques et agissements pareils servaient à dissuader le vol et autres comportements criminels ou déviants. « Mais il s'agit d'une régression dangereuse et difficilement récupérable », déplore-t-il.

Pour Justin Lugerero Mufungizi, chercheur en sociologie politique et de l'intégration à l'UOB, « le cannibalisme symbolise l'individualité vaincue non civilisée, l'animalité, la barbarie, l'absence de sens humains, l'indolence psychique et somatique de la société. De telles pratiques symbolisent une société en voie de disparition ».

Pour faire face à cette situation, ce dernier pense qu'il faut un éveil des consciences sur le respect des trépas. Il cite quelques acteurs clé, à commencer par l'État qui doit d'abord assurer la justice au sein de la société.

A l'Etat, il ajoute les acteurs moraux (églises, sectes, ordre des associations philanthropiques,.... ) pour pérenniser la culture des vrais valeurs sur la mort ainsi que la responsabilité individuelle et collective.

Le sociologue Emmanuel Akonkwa renchérit en affirmant qu'il est grand temps que l'autorité de l'Etat sur la partie occupée du pays soit rétablie, cette partie qui a toujours été victime de conflits violents et souvent exogènes depuis 30 ans bientôt.

« Parce qu'en rentrant en profondeur, on trouvera que le lynchage suivi du cannibalisme vient du fait d'une justice laxiste qui laisse libres les criminels, permettant tacitement la récidive. Cela conduit la population à désormais arrêter pour toujours le mal mais très mal », dit-il.

Prise de conscience

Pour cet expert, le mal est devenu « profond » et il faut des stratégies plurielles sur le court, moyen et long termes pour l'endiguer.

« On devrait développer des curricula scolaires abordant sensiblement les questions de paix, de justice et de tolérance pour prévenir et dissuader ces comportements à l'avenir, mais aussi capitaliser tous les espaces de rencontres, d'échanges entre personnes de différents âges et obédiences pour prêcher les valeurs humaines de tolérance, de justice et de paix (groupes des jeunes, clubs de sport, communautés ecclésiastiques, etc.), propose le sociologue Emmanuel Akonkwa.

De son côté, la mairie de la ville de Bukavu mène la guerre contre ces pratiques qu'elle qualifie de « barbares et ignobles ». Ceci avant d'inviter les populations à privilégier la voie légale en remettant les présumés coupables de vol aux autorités compétentes pour qu'ils subissent la rigueur de la loi, en lieu et place de se rendre justice jusqu'à arriver à consommer la chair humaine des présumés voleurs lynchés.

« Nous déplorons ces actes et nous avons décidé de nous impliquer activement pour restaurer l'ordre et redonner la place à la justice formelle en barrant la route à la justice populaire. C'est pourquoi, nous appelons la population à une prise de conscience collective pour qu'ensemble nous puissions mettre fin à cette spirale de violence qui menace la stabilité sociale et nos valeurs culturelles », déclare le maire Ladislas Muganza, interrogé par SciDev.Net.

L'autorité urbaine appelle les habitants de la ville au respect des normes sociales et des droits humains et met en garde les auteurs et commanditaires des cas de justice populaire et du phénomène de cannibalisme sur l'ensemble de la ville de Bukavu. Indiquant que les services de sécurité ont été instruits pour mettre la main sur les récalcitrants...

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