Dans un contexte de montée des tensions géopolitiques, marqué par la guerre en cours entre la Russie et l'Ukraine et les enjeux stratégiques entre les États-Unis, l'OTAN et la Russie concernant la sécurité en Europe, la question des armes nucléaires retrouve une place centrale dans les préoccupations mondiales.
Récemment, la Russie a ouvertement menacé d'utiliser des armes nucléaires, tandis que le Royaume-Uni et la France envisagent d'augmenter rapidement leurs stocks d'armes nucléaires.
L'Allemagne, la Pologne, la Suède, la Finlande, la Corée du Sud et le Japon cherchent maintenant à se doter d'armes nucléaires.
Même une guerre nucléaire limitée en Europe entraînerait des effets climatiques mondiaux désastreux. D'énormes quantités de débris projetés dans l'atmosphère bloqueraient la lumière du soleil, entraînant une chute brutale des températures mondiales. Il serait beaucoup plus difficile de cultiver des denrées alimentaires dans le monde entier.
L'Afrique serait particulièrement touchée. La sécurité alimentaire du continent serait gravement menacée. Ce qui pourrait entraîner des migrations massives, perturber les chaînes d'approvisionnement et provoquer l'effondrement des structures qui assurent l'ordre public.
Face à cette menace croissante, comment les pays africains peuvent-ils réagir ?.
Sur la base de mon expérience en matière de non-prolifération nucléaire et de politique, je plaide pour une prise de position proactive de la part des dirigeants africains pendant qu'il est encore temps.
Tous les États africains, à l'exception du Soudan du Sud, respectent le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Il s'agit d'un accord international qui limite la prolifération des armes nucléaires. De plus, 43 États africains sont allés plus loin en adhérant au Traité de Pelindaba qui établit une zone exempte d'armes nucléaires en Afrique. Ce traité a été négocié avec la conviction qu'il « protégerait les États africains contre d'éventuelles attaques nucléaires sur leur territoire ».
Alors que les conflits et l'incertitude poussent de nombreux dirigeants occidentaux à soutenir la folle course aux armes nucléaires, les dirigeants africains ont une occasion historique de faire contrepoids.
La participation massive des États africains au Traité sur l'interdiction des armes nucléaires, également connu sous le nom de Traité d'interdiction nucléaire, offre au continent un levier pour répondre frontalement aux risques liés aux armes nucléaires.
Un monde divisé
D'un côté, les États dotés d'armes nucléaires s'accrochent à la dissuasion pour assurer leur sécurité nationale. Ils insistent sur le fait que la possession d'arsenaux nucléaires les met à l'abri.
À l'heure actuelle, neuf États sont dotés de l'arme nucléaire : États-Unis, Russie, Royaume-Uni, Chine, France, Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord. Ces pays possèdent environ 12 331 têtes nucléaires (en 2025).
L'utilisation de seulement 10 % de ces armes pourrait perturber le climat mondial et menacer la vie de 2 milliards de personnes.
De l'autre côté, les pays africains et d'autres États non dotés d'armes nucléaires tels que l'Irlande, l'Autriche, la Nouvelle-Zélande et le Mexique dénoncent les dangers inacceptables que fait peser la dissuasion nucléaire sur l'ensemble de la communauté internationale.
Cette majorité mondiale - les 93 pays qui ont signé le traité d'interdiction nucléaire et les 73 qui y sont parties - défend l'idée que la véritable sécurité passe par l'élimination des menaces nucléaires.
Entré en vigueur le 22 janvier 2021, le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires marque la première remise en cause, en droit international, de la légalité et de la légitimité morale de la dissuasion nucléaire.
Depuis 2022, les États parties au traité d'interdiction nucléaire organisent des réunions officielles pour examiner les risques nucléaires actuels. En mars 2025, lors de leur troisième réunion, 17 États africains ont officiellement reconnu que la dissuasion nucléaire constituait une préoccupation majeure en matière de sécurité. Ils ont appelé les États dotés d'armes nucléaires à y mettre fin.
La dégradation de l'environnement sécuritaire mondial est telle qu'un changement notable s'opère dans la manière dont les États parties au Traité d'interdiction perçoivent la menace nucléaire. Le désarmement nucléaire n'est plus seulement une préoccupation humanitaire ou morale pour ces États, c'est désormais une question de sécurité nationale.
L'Afrique du Sud a averti que toute utilisation d'armes nucléaires entraînerait des conséquences humanitaires catastrophiques qui auraient un impact mondial.
De même, le Ghana a souligné que :
Bien qu'éloignée des zones de tension nucléaire, l'Afrique n'est pas à l'abri des répercussions d'une guerre nucléaire.
L'Afrique a un lien historique unique avec les questions nucléaires. Les essais nucléaires dans le désert du Sahara dans les années 1960, lorsque la France a fait exploser des bombes nucléaires en Algérie, ont eu des conséquences dévastatrices. La contamination radioactive généralisée a porté préjudice aux communautés locales, causé des problèmes de santé durables, déplacé des populations et laissé de vastes zones endommagées sur le plan environnemental et dangereuses pour les générations futures.
Le Nigeria, de son côté, a rappelé que l'Afrique a «depuis longtemps reconnu la menace existentielle que représentent les armes nucléaires pour l'humanité».
Les États réunis en mars 2025 ont conclu qu'il est inacceptable que les pays non nucléarisés soient exposés à des risques qu'ils n'ont ni provoqués ni approuvés, et pour lesquels personne ne rend de compte. Ils ont affirmé que l'élimination de ces risques nucléaires constitue une priorité légitime et relève pleinement de la responsabilité des États
La réunion a considéré qu'il est inacceptable que les États parties soient exposés à des risques nucléaires, « créés sans qu'ils puissent les contrôler et sans qu'ils aient à en rendre compte ». Elle a souligné que l'élimination des risques nucléaires « est une préoccupation et une responsabilité nationale primordiales et légitimes » des États.
Prochaines étapes
Lors des discussions, les délégués ont effectivement demandé si leurs propres préoccupations en matière de sécurité nationale avaient moins de valeur que celles des États dotés d'armes nucléaires. Je pense qu'il s'agit d'une question légitime.
Les dirigeants africains, aux côtés de leurs alliés signataires du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires, cherchent à redéfinir ce que signifie réellement la « sécurité nationale » à l'ère nucléaire.
Plutôt que d'accepter un monde perpétuellement suspendu à la logique périlleuse de la dissuasion nucléaire, ils affirment que la véritable sécurité des nations - et des peuples - passe par le démantèlement de cette menace existentielle.
Ils font le choix de placer la vie humaine, le développement et le droit international au-dessus de la menace d'une force destructrice.
L'issue de ce bras de fer aura des répercussions majeures, non seulement pour l'Afrique, mais pour l'ensemble de la planète.
Olamide Samuel, Track II Diplomat and Expert in Nuclear Politics, University of Leicester