Afrique de l'Ouest: Nouveaux tarifs douaniers de Donald Trump - « Pour les pays de l'AES, a priori, l'impact sera limité pour deux raisons ... », Pr Ousseni Illy, professeur de droit international économique

interview

Pr Ousseni Illy est enseignant-chercheur de droit international économique à l'université Thomas-Sankara, à Ouagadougou, et chercheur associé au Center of the Study of african economies (CSAE) de l'université d'Oxford, en Angleterre. Dans cette interview qu'il a accordée à Sidwaya, le jeudi 10 avril 2025, ce professeur qui enseigne, entre autres, « L'Afrique dans le commerce international » à l'université Paris II en France, « L'Afrique et la politique mondiale » à la China university of political science and law, à Pékin en Chine, le « Droit international du commerce » au Trade policy training center in Africa (TRAPCA) à Arusha en Tanzanie, livre son analyse sur les motivations du Président américain, Donald Trump, dans la mise de ses nouveaux tarifs douaniers sur les produits étrangers entrant aux Etats-Unis. Il y aborde également les implications, l'impact et les conséquences de cette guerre commerciale sur le commerce mondial, les pays africains, les populations.

Le Président américain, Donald Trump a annoncé de nouvelles taxes douanières pour les produits entrant sur le territoire américain, allant de 10 à plus de 100 % pour certains pays. Comment avez-vous accueilli ces nouvelles mesures qui ont commencé à entrer en vigueur, le 9 avril 2025 ?

Le Président Trump, depuis son arrivée, a fait des tarifs douaniers, un de ses outils de politique économique internationale, voire de politique internationale tout court. Cela donnera-t-il les résultats qu'il espère, c'est-à-dire « Make America great again » ? On attend de voir mais rien n'est gagné d'avance. Cela dit, il faut distinguer deux catégories de droits de douane, voire trois, dans sa politique : il y a les tarifs ciblés qui s'appliquent notamment aux pays avec lesquels les Etats-Unis ont un déficit commercial. C'est le cas de l'Union européenne, de la Chine, etc.

Ces tarifs sont les plus élevés et varient d'un pays à l'autre. On a ensuite, ce qu'il appelle les « tarifs réciproques », qui s'appliquent aux pays qui entretiennent des tarifs sur les produits américains. Ces tarifs sont en général équivalents à ceux appliqués par les pays concernés aux produits américains. Enfin, vous avez les tarifs planchers qui sont de l'ordre de 10% et qui s'appliquent à tout produit entrant aux Etats-Unis, quel que soit le pays de provenance.

Personnellement, ces mesures ne m'ont pas trop surpris, puisqu'il l'annonçait déjà lors de sa campagne. Par ailleurs, il l'avait déjà fait lors de son premier mandat, même si c'était avec moins de virulence.

Mais il faut dire que le niveau de certains droits peut surprendre. Je pense notamment au 145% qu'il compte appliquer aux produits chinois. Je pense que c'est du jamais vu depuis la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Qu'est-ce qui explique cette décision de Donald Trump, pour ne pas dire cette déclaration de guerre commerciale qui concerne environ 80 pays du monde ?

Comme je l'ai dit, cela entre dans le cadre de sa politique du « Make America great again », c'est-à-dire, redonner à l'Amérique son prestige d'antan. En fait, pour Trump, les tarifs douaniers sont à la fois un outil de politique économique et un outil de politique extérieure, de négociation. Par les tarifs, il compte relancer l'industrialisation américaine qui a beaucoup souffert de la concurrence étrangère, notamment chinoise mais aussi des délocalisations.

Il utilise également les tarifs pour avoir des concessions sur d'autres questions auprès des partenaires des Etats-Unis. Toutefois, cette stratégie est risquée, surtout lorsqu'elle est dirigée contre quasiment tous les Etats. Et dans tous les cas, les tarifs n'ont qu'un effet temporaire, puisque les gens s'adaptent avec le temps ; soit en les contournant ou en les absorbant, soit en prospectant d'autres marchés.

Ce qui semble étonnant, c'est que même les alliés traditionnels des Etats-Unis ne sont pas épargnés ...

Tout à fait. Personne n'est épargné, même pas l'allié naturel, Israël ! Mais c'est du « Trump », comme on pourrait le dire. Avec lui, il n'y a pas d'alliés ni d'amis, il n'y a que les intérêts américains. Sauf qu'à ce rythme, cela risque de se retourner contre les intérêts américains qu'il entend défendre.

Quid de l'Afrique ? Des pays africains sont-ils concernés par ces surtaxations de Trump ?

Oui, des pays africains sont concernés, une vingtaine au total. Mais en réalité, toute l'Afrique est concernée, puisque les tarifs planchers de 10% sont censés s'appliquer à tous les pays. Parmi les pays les plus durement touchés, on a le Lesotho (50%), Madagascar (47%), l'Ile Maurice (40%), le Botswana (37%) et l'Afrique du Sud (30%). Ces tarifs rentrent en principe dans le cadre de ce qu'il appelle les « tarifs réciproques », c'est-à-dire l'équivalent des tarifs appliqués par ces pays aux produits américains.

Le Burkina Faso fait partie des rares pays qui ne sont pas touchés par ces surtaxes américaines. Qu'est-ce qui explique cela ?

C'est vrai que le nom du Burkina Faso n'apparaît pas sur la liste mais comme je l'ai souligné, en réalité, la troisième catégorie de tarif, à savoir les tarifs planchers, s'applique au monde entier, y compris donc notre pays. Mais on peut effectivement se demander qu'est-ce explique l'exclusion du pays des tarifs réciproques, dans la mesure où certains produits américains qui entrent au Burkina sont taxés à plus de 20%, conformément au tarif extérieur commun de l'UEMOA. Seul le président américain pourrait dire pourquoi. Il faut néanmoins préciser que le Burkina Faso n'est pas seul dans cette situation.

Quelle analyse faites-vous de la réaction de l'Union européenne, du Canada ou de la Chine qui ont répondu par de nouvelles taxes sur les produits américains entrant sur leurs territoires ?

Je pense que leur réaction est naturelle. Certains avaient voulu régler le problème en saisissant l'OMC mais la brutalité du régime américain ne leur laissait pas le choix que de réagir de la sorte.

Quelles seraient les conséquences à court, moyen et long terme de cette guéguerre de droits de douanes entre les grandes puissances économiques sur le commerce mondial, surtout les populations ?

L'une des conséquences directes de cette guerre commerciale sera le ralentissement du commerce mondial. Selon plusieurs sources, le commerce mondial pourrait chuter de 0,2 point en 2025 et de 0,7 en 2026. Cela va se traduire par des pertes de milliers d'emplois dans plusieurs pays. Il faudra également noter que le pouvoir d'achat des populations sera durement affecté dans certains pays, notamment ceux qui appliquent ces mesures, dans la mesure où c'est en général le consommateur final qui supporte les tarifs.

Quel sera l'impact de ces nouvelles taxes américaines pour les pays africains, notamment ceux de l'AES ?

Les pays africains qui exportent beaucoup aux Etats-Unis seront les plus durement affectés. Déjà au Lesotho, les risques de fermeture d'usines sont annoncés, puisque ce pays avait profité du tarif zéro de l'AGOA pour développer une industrie de l'habillement (jeans) qu'il exportait principalement aux Etats-Unis. D'autres pays comme l'Afrique du Sud risquent d'être également durement impactés.

Pour les pays de l'AES, a priori, l'impact sera limité pour deux raisons : d'abord, du fait de leur exclusion de l'AGOA, ils commerçaient déjà avec les Etats-Unis avec des tarifs. Deuxièmement, aucun de ces pays n'est concerné par les tarifs réciproques ni les tarifs ciblés qui sont les plus élevés. Néanmoins, il se pourrait qu'ils soient affectés par le tarif plancher de 10%, dans la mesure où ce tarif pourrait être plus élevé sur certains produits que le tarif de la nation la plus favorisée qui leur était appliqué depuis leur sortie de l'AGOA.

N'y a-t-il pas un risque d'inflation en Afrique, avec comme effet d'entrainement l'atteinte du pouvoir d'achat des populations africaines ?

Risque d'inflation, je dirai non ; à moins que les pays africains réagissent à leur tour en appliquant des tarifs équivalents. Au contraire, je vois un risque d'afflux de marchandises étrangères sur le continent africain. Les pays affectés par les tarifs américains, à la recherche d'autres marchés, pourraient s'orienter vers l'Afrique, avec un risque d'étouffement de l'industrie locale.

Dans cette guerre commerciale, des organisations internationales comme l'OMC et la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) sont attendues. Quel devrait être leur rôle dans cette situation de conflits commerciaux ?

L'OMC est en temps normal, l'instance chargée de régler ce genre de problème. Elle dispose d'un mécanisme de règlement des différends qui avait toujours su désamorcer les tensions commerciales par l'application des règles conclues en son sein. Mais, il faut noter que ce mécanisme est en panne aujourd'hui, panne accentuée par les méthodes du président Trump, qui a peu de respect pour le droit international.

Quant à la CNUCED, elle n'a aucun moyen pour régler ce type de conflit. Nous sommes à un tournant de l'histoire. Certains pensent que c'est la fin du monde post-Seconde guerre mondiale avec toutes les instances multilatérales mises en place pour encadrer le comportement des Etats. D'autres pensent plutôt qu'il s'agit d'une crise. J'espère qu'il s'agit plutôt d'une crise et que les uns et les autres reviendront à de meilleurs sentiments.

A l'heure actuelle, c'est seulement cela qui pourrait aider à désamorcer toutes les tensions, y compris commerciales qui sont en train de monter çà et là. En tous les cas, personne ne sera à l'abri des conséquences d'un retour brutal au passé, c'est-à-dire un monde sans règles.

A la surprise générale de tous, aussitôt ces droits de douane entrés en vigueur, Donald Trump les a suspendus ce 10 avril 2025 pour trois mois, sauf pour la Chine ; pour ce pays, il a même revu à la hausse ses droits de douane qui passent de 104% à 145 %. Qu'est-ce qui explique ce que certains ont appelé « volteface » ou « atermoiements » de Trump ?

Cette volteface montre que le président n'est pas très sûr de sa stratégie et qu'elle est risquée comme je l'ai souligné. Il y a eu d'abord la très mauvaise réaction des marchés américains à la suite de l'annonce. Je pense que cela a beaucoup joué dans ce revirement. Par ailleurs, on a vu que les autres pays se sont également dits prêts à réagir et certains avaient déjà réagi, en appliquant des contre-mesures. Cela a dû également peser dans la balance.

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