La météo diplomatique est particulièrement capricieuse ces derniers temps entre Paris et Alger. Tant le froid glacial alterne rapidement avec le coup de chaud, des embellies succédant invariablement à des détériorations brusques des relations, que l'on sait passionnelles, entre les deux Etats.
Eole, maître des vents, Zeus, dieu suprême des tempêtes ou même Neptune, divinité de la mer, gouverneraient-ils les rapports entre ces deux pays riverains de la Méditerranée ?
Dernière preuve en date de la volatilité du climat diplomatique entre la France et l'Algérie ou de la versatilité de leurs dirigeants, la dégradation aussi soudaine que surprenante survenue dans le récent processus de rapprochement entre l'Hexagone et « le pays au million et demi de martyrs ».
Après près de huit mois de brouille née de la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par la France, une opération de rabibochage était en marche pour tourner la page de cette énième crise.
En effet, le dégel est parti d'une interview retransmise par la télévision algérienne le samedi 22 mars dernier au cours de laquelle le président Abdelmadjid Tebboune s'est montré disposé à dialoguer avec Emmanuel Macron, « son unique point de repère », au sujet des tensions diplomatiques entre les deux Etats.
Quelques jours après, les deux hommes se sont entretenus au téléphone.
« Un long échange franc et amical », selon le communiqué conjoint publié à cette occasion, faisant cas de volontés réciproques de renforcement de la coopération sécuritaire et migratoire ou de la reprise des travaux de la commission mixte sur l'histoire et la mémoire (1).
Cerise sur le gâteau, pour ne pas dire sur le Makrout El Louz, la visite le 6 avril courant, à Alger, du ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot.
Alors que les derniers gros nuages noirs ont commencé à se dissiper au-dessus de l'axe Paris-Alger, annonçant le retour d'un ciel radieux, voilà que survint un coup de tonnerre qui soulève des vagues sur les deux rives de la Méditerranée.
En effet, tout est parti vendredi dernier de l'interpellation, à Paris, de trois Algériens, dont un agent consulaire.
Poursuivis pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivis de libération avant le 7e jour » de l'influenceur algérien Amir Boukhors, des faits qui remontent à avril 2024, ils ont été mis en examen puis placés en détention provisoire.
Le lendemain samedi, l'ambassadeur français en poste à Alger est convoqué au ministère des Affaires étrangères qui, dans un communiqué, exprime « la vive protestation de l'Algérie suite à la décision des autorités judiciaires françaises de mettre en examen et de placer en détention provisoire un de ses agents consulaires en exercice sur le sol français, dans le cadre de l'ouverture d'une information judiciaire sur un supposé enlèvement du voyou Amir Boukhors, dit AmirDZ, en 2024 ».
En représailles, douze agents de l'ambassade de France sont sommés de quitter le territoire algérien sous quarante-huit heures après hier lundi.
Une décision inédite dans l'histoire diplomatique entre les deux Etats, selon plusieurs sources. Et Dieu seul sait, depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962, le nombre de frictions qui ont miné les relations entre l'ancienne métropole et son ex-colonie de peuplement sans que pour autant celle-ci arrive à une telle extrémité. C'est dire le degré de gravité de cette nouvelle poussée de fièvre. Cela, d'autant plus que le Quai d'Orsay brandit, pour sa part, la menace de mesures de réciprocité si cette décision d'expulsions était maintenue.
Retour donc à la case départ entre deux nations qui, depuis la colonisation jusqu'à la guerre d'indépendance, ne sont jamais parvenues à entretenir des relations apaisées.
Quand bien même le « Coq gaulois » ne serait pas à l'abri de tout reproche, le « Fennec algérien » de son côté n'en finit pas de faire souvent dans la surenchère, tirant profit d'une sorte de rente mémorielle qui est comme un viatique pour les apparatchiks politico-militaires.
N'y a-t-il lieu, près de deux siècles après le début de la colonisation et plus de soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, d'oeuvrer véritablement à solder ces passifs qui ne passent décidément pas ? Cela pour enfin regarder sereinement l'avenir au lieu de souffler éternellement sur les brûlures de l'histoire ou de raviver un passé douloureux que l'on convoque à souhait.
C'est à ce prix que Paris et Alger parviendront à célébrer la fraternité retrouvée entre peuples de la méditerranée et à bâtir des ponts entre communautés prises au piège de cet interminable brouillard mémoriel.
Alain Saint Robespierre
Lors de sa visite à Alger le 25 août 2022, Emmanuel Macron a annoncé la création de ladite commission pour revisiter « sans tabous » la colonisation et la guerre d'Algérie. Après un arrêt intervenu en octobre 2024, les travaux devraient reprendre incessamment à la faveur de la récente tentative de normalisation des relations entre les deux Etats.