Le mystère demeure entier quant à l'identité de la personne ayant pris la décision finale ayant permis la concrétisation de cette transaction, connue comme «Apavou Deal». L'enquête, désormais entre les mains de la Financial Crimes Commission (FCC), progresse à coups de révélations, chacune plus choquante que la précédente. Elle implique d'anciens hauts cadres de la Banque centrale ainsi que plusieurs VVIP.
Jusqu'à présent, ceux suivant ce feuilleton ont été témoins d'un effet domino spectaculaire. Plusieurs protagonistes ont été convoqués au siège de la FCC. L'ex-ministre Padayachy. Ce dernier se décidera-t-il à parler et à impliquer d'autres VVIP ayant jadis occupé des fonctions stratégiques au sein de la défunte Lakwizinn ?
Entre-temps, les citoyens s'interrogent toujours sur l'identité de ceux qui se sont abreuvés à la fontaine de la MIC dans le cadre de cette transaction. En toile de fond : les Rs 300 millions manquantes du compte final, suite à la vente de 70 % des actions d'EastCoast Hotel Investment Ltd (ECHIL), propriétaire de l'hôtel Ambre du groupe Apavou, à la MIC pour un montant de 48 millions d'euros, environ Rs 2,4 milliards. Ce chiffre est contesté. L'ex-administrateur de la MIC, Louis Rivalland, a affirmé que le conseil d'administration n'a jamais approuvé un montant supérieur à Rs 2,1 milliards pour cette transaction, le 7 juin 2024.
L'incompréhension règne également parmi les experts financiers, qui peinent à comprendre la logique ayant motivé la décision de la filiale de la BoM de céder 21% des 70 % d'actions acquises à Sun Resorts pour 14,7 millions d'euros (environ Rs 720 millions). Cette cession permet à Sun Resorts, qui détenait déjà 30 % du capital, de devenir l'actionnaire majoritaire avec 51 % des parts, et donc de contrôler ECHIL.
Dans un rapport publié en avril 2025 par le bureau Corporate Integrity and Anti-Corruption de One Veritas (www.oneveritas.org), intitulé Timeline of illegal conflicts, fraud & collusion in a tax haven, deux anciens protagonistes de la MIC sont pointés du doigt : l'ex-Chairman Mark Florman et Louis Rivalland. Le rapport décrit comment, dans les coulisses feutrées du capitalisme mauricien, certaines opérations d'investissement passent inaperçues, mais laissent une forte odeur de conflit d'intérêts.
Le document revient en détail sur l'acquisition controversée des 70 % d'actions d'ECHIL par la MIC auprès du groupe Apavou. Selon ce rapport, SUN Limited a renoncé à ses droits préférentiels, permettant à la MIC de racheter la totalité des parts détenues par Apavou. Le conseil d'administration de la MIC aurait approuvé cette transaction le 5 février 2024, sous la présidence de Kona Yerukunondu, ex-First Deputy Governor, pour un montant de 48 millions d'euros.
Mais la présence, lors de cette même réunion, de Louis Rivalland, directeur de Swan Life Ltd - quatrième plus grand actionnaire de SUN Limited - intrigue. Selon le rapport, il n'a déclaré aucun conflit d'intérêts ce jour-là («he does not declare his conflict on 5/02/2024»), alors même que Swan avait un intérêt indirect dans une décision favorable à SUN Limited. Une omission jugée grave du point de vue de la gouvernance et de l'éthique.
Le rapport indique également que, le 21 mai 2024, deux administrateurs de la MIC - M. K. Yerukunondu et H. S. Sewraj-Gopal - ont autorisé le virement effectif de 48 millions d'euros sur un compte appartenant à Apavou Hotels Ltd. Aucune communication officielle n'a été émise pour expliquer les critères de valorisation de l'actif repris, ni les modalités de remboursement ou les conditions de sortie de la MIC.
Nous avons tenté, en vain, de contacter Louis Rivalland pour commenter ce rapport.
Alors que ce dossier est minutieusement épluché par les enquêteurs de la FCC, cette opération soulève plusieurs interrogations, notamment :
· Pourquoi SUN Limited a-t-elle volontairement renoncé à ses droits, ouvrant ainsi la voie à la MIC ?
· Sur quelle base le prix d'achat de 48 millions d'euros a-t-il été justifié ?
· Pourquoi les conflits d'intérêts potentiels n'ont-ils pas été déclarés ou gérés conformément aux principes de bonne gouvernance ?
· Enfin, quels bénéfices économiques cette opération génère-t-elle pour le pays et les contribuables, dans un contexte où la MIC est censée protéger les intérêts stratégiques du secteur privé et des finances publiques ?
Avec ce rachat, la MIC prend une position majoritaire dans un projet hôtelier sans réelle clarté sur le retour sur investissement. Pour les défenseurs de la transparence et de la redevabilité, cette affaire appelle des réponses, voire des comptes. À l'heure où les institutions financières publiques sont censées faire preuve d'exemplarité, le silence entourant cette transaction pourrait bien devenir un bruit assourdissant.
MIC. Transparence en vitrine, opacité en coulisses
Créée en pleine crise sanitaire pour «sauver» l'économie, la Mauritius Investment Corporation (MIC), bras financier de la Banque de Maurice (BoM), se retrouve au centre d'une tempête. En quatre ans d'existence, cette jeune institution alimentée par des fonds publics accumule les zones d'ombre.
Dans son rapport annuel arrêté au 30 juin 2024, la MIC se pare des plus hautes vertus éthiques. Elle affirme respecter son code de conduite validé le 11 mai 2023 par son conseil d'administration, indiquant : «MIC is committed to conduct its activities and business in accordance with the highest ethical standards and in compliance with all applicable laws, rules and regulations. The Board of MIC monitors and evaluates compliance with the Code of Ethics.» Elle ajoute que le conseil agit «in good faith, with due diligence and care, and in the best interests of the Company and its shareholders», et précise qu'un membre du conseil est considéré comme indépendant lorsqu'il n'a aucune relation avec l'entreprise pouvant remettre en cause son impartialité.
Sur papier, tout est parfait. Mais dans les faits? Le conseil d'administration s'est réuni 12 fois durant l'exercice 2023-24. Deux membres, Louis Rivalland et Swadicq Nuthay, n'ont assisté qu'à neuf réunions. Cela n'a pas empêché la distribution généreuse d'honoraires. La compagnie a déboursé Rs 1,2 million en 2024 pour chaque administrateur non exécutif (contre Rs 960 000 en 2023), et Rs 2,4 millions pour les administrateurs dits «indépendants» (contre Rs 1,92 million en 2023). Parmi ceux ayant touché Rs 600 000 : Mardayah Kona Yerukunondu, Hemlata Sadhna Sewraj-Gopal, Jean Michel Louis Rivalland, Swadicq Nuthay, Neemalen Gopal et Swaminathan Ragen.
La MIC avait pour mission de soutenir l'économie, d'investir dans des entreprises innovantes, de garantir l'accès aux produits de première nécessité et d'agir comme fonds stratégique d'épargne. Un mandat ambitieux... mais dont la mise en oeuvre laisse perplexe. Kuros Construction Solutions Ltd est un exemple emblématique. Bénéficiaire de Rs 225 millions de la MIC au 30 juin 2023, cette entreprise fondée en 2013, affichait pourtant un chiffre d'affaires de Rs 1,16 milliard au 30 juin 2024.
Pourtant, malgré les millions de roupies reçues, la compagnie n'a pas été capable de verser les salaires de ses employés. Certains ont même dû manifester pour faire entendre leur désespoir. Cette société appartient à Selven Warden... et c'est elle qui a construit la maison de l'ancien ministre Padayachy.
Le cas Mauriplage Beach Resort Limited, gestionnaire de l'hôtel de luxe Maradiva, a obtenu Rs 650 millions au 30 juin 2023 suscite aussi des interrogations. Un montant particulièrement élevé pour une entreprise opérant dans un secteur certes fragilisé par la pandémie, mais dont le profil soulève plusieurs questions. L'un des responsables de Mauriplage, Sanjiv Ramdanee, est le beau-frère de l'ex-Premier ministre, Pravind Jugnauth.
Entre discours vertueux et pratiques douteuses, la MIC semble naviguer dans une zone grise où la bonne gouvernance devient une formule creuse.