Ile Maurice: Réforme électorale - Dépoussiérons le rapport Sachs !

10 Décembre 2025

En 1966, la Commission Banwell, agissant sur la demande de l'administration coloniale britannique, recommandait un nouveau système électoral propre à Maurice et prenant en compte le caractère multiethnique du pays. Il s'agissait d'un modèle hybride, un mélange du système uninominal majoritaire à un tour (first-past-the-post) et de représentation proportionnelle sous la forme du Best loser system.

La Commission Banwell était convaincue que pour garantir la paix sociale, il était essentiel de s'assurer que les groupes ethniques minoritaires puissent être représentés équitablement au sein du Parlement. Autant dire qu'elle n'avait pas tout à fait tort. Le pays avait été placé en état d'urgence après les émeutes raciales de 1965. Il était donc vital d'instituer un système électoral qui ne discrimine aucune communauté. Ainsi, si la formule du Best loser system partait d'une bonne intention, en revanche, elle institutionnalisait le communautarisme et le communalisme de par sa reconnaissance dans la Cédule 1 de la Constitution.

Soixante ans après son indépendance, l'État mauricien organise toujours les élections générales selon la formule recommandée jadis par la Commission Banwell. Au début des années 2000, l'alliance MSM-MMM, conçue sur un modèle d'arrangement à l'israélienne pour la fonction premier-ministérielle et dont les figures de proue étaient feu sir Anerood Jugnauth et Paul Bérenger, s'engageait à réformer le système électoral.

C'est ainsi qu'Albie Sachs, éminent juge sud-africain d'origine juive ayant la confiance de Nelson Mandela et ayant vécu les affres de l'apartheid, était nommé par l'État mauricien pour mener des consultations élargies sur la réforme électorale. Les attributions de la Commission Sachs concernaient l'instauration d'un nouveau système électoral avec une grande dose de proportionnelle, la proposition d'un texte de loi sur le financement politique, une révision du rôle de l'Electoral Supervisory Commission et une meilleure représentation des femmes dans la sphère politique, entre autres. Sur la base de ses consultations, la Commission Sachs soumettait un rapport très pertinent en janvier 2002.

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Or, jusqu'à la fin de son mandat, le gouvernement MSM-MMM, sans doute par calcul politique, n'osa pas mettre en oeuvre le rapport, bien qu'ayant obtenu plus de 75 % des sièges au sein du Parlement, lui octroyant le pouvoir d'amender la Constitution.

Alors que le gouvernement vient de lancer l'exercice d'appel aux propositions invitant les partis politiques, les académiciens, les syndicats, les ONG, la société civile et la diaspora mauricienne à soumettre leurs suggestions au Bureau du Premier ministre d'ici à fin janvier 2026, il serait intéressant de dépoussiérer le rapport Sachs et de revenir sur quelques-unes de ses recommandations, notamment celles portant sur la formule d'allocation des sièges à l'Assemblée nationale.

Il y a un dénominateur commun dans les propositions de la Commission Sachs : c'est la nécessité de démocratiser et d'élargir l'espace parlementaire tout en ayant une Opposition mieux représentée. D'abord, la Commission opte pour le maintien du système de first-past-the-post (FPTP), avec 62 députés directement élus au suffrage universel, tout en mettant en exergue son gros point faible : la disproportion entre le nombre de voix obtenues et celui de sièges alloués à l'Assemblée nationale.

Ainsi, la coalition MSM-MMM avait remporté les élections générales de 2000 par 57-3, alors qu'elle avait obtenu au final 52 % des votes au suffrage universel. Pour corriger cette asymétrie électorale, la Commission Sachs devait mettre sur la table cinq modèles de représentation proportionnelle, celle-ci pouvant inclure ou pas le système du Best loser.

Le modèle que la Commission recommande avec plus d'insistance est celui de l'élection de 62 députés à travers le système de FPTP, auxquels l'on ajouterait 30 autres élus sur la base de la proportionnelle. L'on se retrouverait ainsi avec une Assemblée nationale avec un maximum de 92 parlementaires et une très bonne représentation de l'Opposition. Ce modèle protégerait aussi la majorité gouvernementale dans le sens qu'elle ne pourrait pas se voir allouer moins de sièges que le pourcentage de votes remportés au suffrage universel.

De même, la Commission Sachs recommande qu'une partie des meilleurs perdants soient choisis parmi les candidats inscrits sur une liste préalablement soumise à la Commission et qu'un parti ayant recueilli au moins 10 % des votes au suffrage universel puisse automatiquement se faire représenter à l'Assemblée nationale.

Dans le cadre des consultations publiques sur la réforme électorale, le gouvernement gagnerait à s'appuyer sur le rapport Sachs. La réforme électorale est une priorité de long terme. Un approfondissement de la démocratie parlementaire est souhaitable si l'on aspire à ce que l'Assemblée nationale devienne cette agora où les élus peuvent débattre de manière constructive sur l'avenir du pays. Cet avenir se dessinera dans un futur proche dans la nouvelle Assemblée nationale dont la construction sera financée par l'Inde.

Le gouvernement dispose jusqu'à la fin de son mandat pour transformer la scène politique. Aura-t-il le courage d'aller jusqu'au bout ? Saura-t-on trouver une solution au Best loser system, un système désuet qui ne fait pas honneur au mauricianisme ? Ou encore une fois ratera-t-on le train de l'histoire avec un autre rapport finissant au fond des tiroirs. Alors que le processus est en marche, le gouvernement doit fédérer le plus grand nombre sur cet enjeu crucial qu'est la réforme électorale. La population n'a pas encore digéré le fait que la réforme du système des pensions a été imposée et n'a pas fait l'objet d'une consultation populaire.

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