Mark Chataway, Managing Partner, Global Health Practice chez FINN Partners et Semiha Abdulmelik, Associate Director, Transformative Peace in Africa chez Open Society Foundations, décrivent comment l'Afrique peut s'appuyer sur la baisse constante des financements internationaux de la santé pour consolider son système de santé en le rendant plus adapté et plus résilient.
Les Africains sont confrontés au défi d'accélérer les progrès en matière de santé. L'expertise et l'engagement ne manquent pas, mais les investissements ne suivent plus les besoins.
Après des décennies passées à travailler sur la santé et le développement à travers le continent, l'un dans les politiques de santé mondiale, l'autre dans la consolidation de la paix et la gouvernance, nous partageons une inquiétude : sans un renforcement de l'appropriation du financement et des investissements ciblés, les acquis durement obtenus de l'Afrique pourraient s'éroder.
Repenser le récit du financement de la santé en Afrique
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Le financement mondial de la santé a fortement chuté depuis la pandémie. Après un pic d'environ 84 milliards de dollars en 2021, l'aide internationale à la santé est tombée à 64,6 milliards en 2023.
Selon l'Institute for Health Metrics and Evaluation, la projection pour 2024-2025 annonce une nouvelle baisse, de 49,6 milliards à 39,1 milliards de dollars, le plus bas niveau depuis 2009. Cela représente un échec majeur des efforts de plaidoyer pourtant bien financés pour la santé mondiale en Europe et en Amérique du Nord.
"Le déclin de l'aide ne doit pas être perçu uniquement comme un revers. C'est aussi une opportunité : celle de reprendre la main et concevoir des systèmes plus forts, résilients et ancrés dans les réalités africaines"Mark Chataway et Semiha Abdulmelik
Derrière ces chiffres se cachent de vraies conséquences : campagnes de vaccination perturbées, programmes suspendus, vies mises en danger. La situation exige une nouvelle approche, fondée sur la coordination et le leadership africains, et sur un soutien, plutôt qu'une direction, des bailleurs.
Une approche qui ne dépende plus des caprices de politiciens non africains ni des fluctuations de l'opinion publique américaine et européenne.
Trois domaines pourraient faire une différence durable : l'IA et les données massives, des essais cliniques localisés et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
L'IA et les données massives
Elles peuvent permettre aux systèmes de santé africains de franchir un cap en déployant une infrastructure numérique moderne, sans les contraintes héritées, comme cela a été fait avec le mobile et la fintech.
Avec de bons fondements, l'intelligence artificielle (IA) peut soutenir le triage et le diagnostic, anticiper les besoins de la chaîne d'approvisionnement et alimenter des analyses populationnelles orientant des interventions ciblées et une allocation plus intelligente des ressources.
Des essais cliniques localisés
La riche diversité génétique de l'Afrique en fait un lieu attractif pour mener des essais cliniques locaux, créant ainsi une source potentielle et durable de financement des systèmes de santé.
En attirant les investissements internationaux en recherche clinique, des pays comme l'Égypte, l'Afrique du Sud et le Nigeria génèrent déjà des financements qui renforcent les infrastructures de santé, des installations modernisées aux centres de recherche clinique, ainsi que les capacités du personnel.
L'expansion de la recherche clinique à travers les pays africains peut apporter des ressources supplémentaires, améliorer l'accès des patients à des traitements de pointe, et établir un modèle où l'innovation contribue à financer durablement les systèmes de santé locaux.
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf)
Combinée à l'harmonisation réglementaire, elle peut transformer le secteur de la santé en facilitant la production et le commerce transfrontaliers de produits de santé.
Grâce à l'Initiative africaine pour l'harmonisation de la réglementation des médicaments (AMRH), neuf autorités sanitaires africaines reconnues par l'OMS conviennent désormais d'une reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché.
Ainsi, un médicament approuvé dans un pays comme la Tanzanie peut être approuvé dans les autres pays en 90 jours. Cela pourrait réduire considérablement les coûts réglementaires, accélérer l'accès aux traitements et rendre le continent bien plus attractif pour la fabrication pharmaceutique.
Construire la paix grâce à des systèmes de santé équitables
La paix est une condition positive de la société. Du point de vue de la consolidation de la paix, la santé est plus qu'un service : c'est un fondement de cette condition, au niveau des individus comme des communautés.
Les communautés qui bénéficient d'un accès équitable et fiable aux soins sont moins susceptibles de sombrer dans des cycles d'inégalité et de conflit. Lorsque les systèmes de santé vacillent, la paix est menacée.
Le financement durable de la santé doit reposer sur une approche claire de localisation. Renforcer les réseaux de santé communautaires et confessionnels, qui assurent jusqu'à 40 % des soins dans de nombreux pays africains, est essentiel.
Ces réseaux atteignent souvent les zones où les systèmes publics sont les plus faibles, notamment les régions reculées ou post-conflit. Ils s'appuient sur des décennies d'expérience auprès des populations vulnérables. Acteurs intégrés aux communautés, ils utilisent leur expertise et leur position de confiance pour fournir des services de santé efficaces et promouvoir la cohésion sociale.
L'accès universel à des soins de santé primaires de qualité doit devenir la norme, non un objectif lointain. Chaque citoyen devrait recevoir le même prix et la même qualité de soins de base (consultations, services prénatals, prévention) qu'il se rende dans un établissement public, privé ou confessionnel. Cela exige un engagement de long terme fondé sur un partage équitable des risques et des bénéfices.
Les solutions entrepreneuriales, mises en lumière dans le rapport de l'Observer Research Foundation et de Gilead, montrent comment des innovations locales peuvent se développer lorsque les règles sont claires.
Comme le montre l'expérience du Ghana, les organisations confessionnelles peuvent jouer un rôle moteur. La Christian Health Association of Ghana (CHAG) par exemple, est officiellement intégrée au système national d'achat et de réglementation et fournit environ 30 à 40 % des services, démontrant ainsi que le recours à des prestataires confessionnels peut élargir l'accès aux soins dans les zones mal desservies.
L'équité de genre doit également être intégrée. Des systèmes de santé qui autonomisent les femmes, en tant que prestataires, leaders et décideuses, sont plus résilients et efficaces. Malgré leur rôle essentiel en première ligne, les femmes restent sous-représentées aux postes de direction, exposées à des risques spécifiques, et confrontées à des obstacles pour accéder aux soins appropriés.
Combler cet écart n'est pas seulement une question d'équité : c'est un investissement stratégique dans de meilleurs résultats de santé pour toute la communauté.
Enfin, les services de santé mentale accessibles, adaptés culturellement et évolutifs, doivent être au centre des systèmes de santé, surtout dans les contextes post-conflit. Les violences laissent des traces psychologiques profondes. Répondre aux besoins en santé mentale est donc un élément clé de la transformation des conflits et des mécanismes de justice réparatrice.
Perspective commune : L'urgence d'agir
Plusieurs facteurs rendent ce moment critique. Les pays donateurs réaffectent leurs budgets, souvent au détriment de la santé mondiale et du développement. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont déjà annoncé des réductions d'aide jusqu'en 2027. Quelques pays, comme l'Espagne et la Suède, augmentent leurs contributions, mais ils restent des exceptions.
Dans le même temps, de nouvelles formes de coopération émergent. Mais la force motrice de la stratégie « America First Global Health Strategy » des États-Unis, publiée en septembre 2025, est une priorité renouvelée pour les maladies infectieuses : VIH, tuberculose, paludisme et polio.
Washington prévoit de reprendre le financement des fournitures et des travailleurs de première ligne via des accords bilatéraux avec les gouvernements et les organisations confessionnelles. Cela offre des opportunités pour les acteurs locaux déjà engagés, mais l'approche reste centrée sur les maladies spécifiques plutôt que sur le renforcement des systèmes.
Quand les financements internationaux diminuent, les premiers à souffrir sont toujours les mêmes : les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes vivant dans la pauvreté. Pourtant, des exemples encourageants montrent ce qui fonctionne.
Ainsi, SEDF, le pool d'investissement d'Open Society, a investi 4 millions de dollars dans l'entreprise kényane Hewatele pour étendre la production locale d'oxygène, stabilisant ainsi les prix et l'approvisionnement.
Par ailleurs, le programme Merck for Mothers (MSD) au Nigeria a montré que des efforts cofinancés et pilotés localement peuvent réduire de manière significative la mortalité maternelle.
La leçon : l'impact grandit lorsque financement, coordination et leadership s'alignent. Les cadres régionaux pourraient connecter ces réussites et multiplier les résultats à travers les frontières.
Appel à l'action
Le déclin de l'aide ne doit pas être perçu uniquement comme un revers. C'est aussi une opportunité : celle de reprendre la main et concevoir des systèmes plus forts, résilients et ancrés dans les réalités africaines.
Cela nous pousse à investir dans ce qui fonctionne déjà : à savoir les fabricants locaux, les prestataires confessionnels et les réseaux communautaires, et à les considérer comme des piliers de la santé publique.
L'Afrique a l'expertise, l'innovation et l'énergie pour façonner son propre avenir en matière de financement de la santé. Les dirigeants doivent rompre avec un siècle de promesses financières non tenues. Ce qui est nécessaire maintenant, c'est un engagement politique et une coopération régionale pour concrétiser cette vision.
Lorsque les moyens sont réunis, les systèmes de santé africains obtiennent des résultats remarquables. En investissant dans des soins primaires équitables, une production locale et des services communautaires, le continent peut construire non seulement des systèmes de santé plus solides, mais aussi la paix et la prospérité que ses populations méritent.
Mark Chataway et Semiha Abdulmelik répondent respectivement aux adresses e-mails mark.chataway@finnpartners.com et sabdulmelik@opensocietyfoundations.org
