La réouverture du dossier de diffamation opposant Ousmane Sonko à Mame Mbaye Niang, annoncée le mercredi 11 décembre par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Yacine Fall, devant les députés lors de l'examen du budget de son ministère, constitue un mécanisme à la fois protecteur contre les erreurs judiciaires et restrictif pour préserver la stabilité des décisions, selon le juriste-consultant Me El Amath Thiam, président de « Justice sans Frontière ».
Dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, le juriste, après avoir décortiqué les contours de cette procédure exceptionnelle, a précisé que la révision représente à la fois une opportunité juridique réelle pour Ousmane Sonko et un risque majeur si aucun élément nouveau solide n'est établi. S'agissant de l'ancien ministre de la Jeunesse, Mame Mbaye Niang, Me Thiam a assuré que cette révision pourrait constituer une menace potentielle pour la décision civile de 200 millions de francs CFA et pour la stabilité de sa victoire judiciaire.
Quel est l'enjeu de cette procédure dans le contexte actuel
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L'annonce faite par le Garde des Sceaux à l'Assemblée nationale, relative à la possible réouverture de l'affaire de diffamation opposant Ousmane Sonko à Mame Mbaye Niang, a suscité un vif intérêt tant dans l'opinion publique que parmi les acteurs judiciaires. Car, une telle démarche soulève en effet deux questions essentielles : sur quel fondement juridique peut-on rouvrir un dossier définitivement jugé ? Et quels défis et risques une telle procédure représente-t-elle pour Ousmane Sonko ?
Quels sont les fondements juridiques de cette procédure ?
La possible réouverture du dossier Sonko/Mame Mbaye Niang s'appuie sur une procédure juridique très exceptionnelle. Car, la révision est une procédure strictement encadrée par la loi organique sur la Cour suprême. Dans le cas d'espèce, seule l'hypothèse du « fait nouveau » peut être valable, et seul le ministre de la Justice est habilité à déclencher ce mécanisme. Il ne suffit pas de contester des points discutés au procès initial. Il faut démontrer que l'élément invoqué était inconnu des juges, qu'il modifie l'appréciation de la culpabilité, qu'il fait naître un doute suffisamment sérieux. Donc, l'exigence de nouveauté, d'objectivité et de pertinence est particulièrement stricte.
Quelles sont conditions à réunir pour enclencher la procédure de révision d'un procès ?
La réouverture d'un procès pénal clos n'est jamais automatique. Le droit sénégalais la rend possible uniquement par la voie extraordinaire de la révision, prévue dans la Loi organique n°2017-09 sur la Cour suprême, modifiée en 2022. Cette procédure est l'une des quatre "procédures particulières", et sans doute la plus exceptionnelle d'entre elles, tant elle remet en question un principe cardinal : la force de la chose jugée. La loi organique sur la Cour suprême énumère de manière limitative quatre (4) cas permettant de demander la révision d'une décision pénale. Le premier cas est relatif à l'apparition de preuves susceptibles de démontrer que la "victime" d'un homicide est vivante. Ce cas vise le scénario extrême d'une condamnation pour meurtre où la personne prétendument tuée réapparaît.
Le deuxième cas de figure est lorsqu'il y'a une contradiction entre deux condamnations pour les mêmes faits, rendant nécessairement l'une des deux personnes innocente. Cela protège contre les erreurs judiciaires fondées sur des appréciations divergentes.
Le troisième cas est relatif à la condamnation d'un témoin pour faux témoignage, après la décision initiale. La fiabilité de la preuve testimoniale étant remise en cause, la condamnation peut avoir reposé sur une base faussée.
Et le quatrième et dernier cas est relatif à la découverte d'un fait ou d'une pièce inconnue lors des débats, de nature à créer un doute sérieux sur la culpabilité. C'est le cas le plus important, car il peut concerner l'ensemble des délits et crimes. À la lumière de ces quatre hypothèses, la situation de Ousmane Sonko ne peut entrer que dans le quatrième cas, celui du fait nouveau. La révision, dans ce cas, dépend exclusivement du ministre de la Justice. Cela introduit une dimension politique incontournable. Le calendrier et la décision échappent totalement à Sonko. Depuis l'initiative jusqu'à la transmission à la Cour suprême, tout dépend du ministre. Le risque pour Sonko est donc que cette réouverture ne soit pas seulement juridique, mais aussi perçue à travers le prisme politique
La loi d'amnistie de 2024 ne fait-elle pas obstacle à cette procédure ?
La loi d'amnistie de 2024 est effectivement adoptée pour effacer les infractions criminelles et délictuelles commises dans le contexte des événements ou manifestations politiques entre 2021 et 2024. Et si l'on considère que la condamnation pour diffamation est liée à ce contexte politique, l'article 5 de la loi d'amnistie devrait priver normalement la Cour suprême toute possibilité de statuer sur des faits amnistiés, ceux-ci étant juridiquement effacés sauf meilleur avis. Le rabat d'arrêt a été rejeté parce que la Cour Suprême avait estimé qu'elle n'avait pas commis d'erreur de procédure.
En droit sénégalais, l'autorité de la chose jugée est un principe fondamental qui garantit la stabilité des décisions de justice. La remettre en cause n'est possible que dans des conditions exceptionnelles, précisément encadrées par la loi organique sur la Cour suprême. La présente analyse vise à éclairer sur les mécanismes juridiques permettant une telle réouverture et sur les enjeux concrets pour le leader de Pastef.
Qui peut déclencher la procédure de révision dans ce cas ?
Cette procédure est placée sous le contrôle exclusif du Garde des Sceaux. Le législateur a choisi de réserver l'initiative de la révision, dans ce quatrième cas, au seul ministre de la Justice. L'article 93 de la loi organique est très clair : le droit de demander la révision appartient exclusivement au Garde des Sceaux lorsqu'il s'agit d'un fait ou d'une pièce nouvelle. Avant de décider, le ministre doit recueillir l'avis d'une commission spécialisée, composée notamment : des directeurs de son ministère ; du Procureur général près la Cour suprême ; Et d'un magistrat du siège de la Cour Suprême désigné par le Premier président.
Une fois cette étape franchie, le ministre saisit le Procureur général près la Cour suprême, qui saisit à son tour la Cour suprême. Aucun autre acteur ni le condamné, ni ses avocats, ni les citoyens ne peut introduire cette procédure. Cette exclusivité montre à quel point la révision est considérée comme une voie politiquement et institutionnellement sensible, qui peut affecter l'autorité des jugements.
Quelles sont les différentes étapes de la procédure de demande de révision ?
Dès que la demande de révision est transmise, l'exécution de la condamnation est suspendue de plein droit, si elle n'a pas encore été exécutée. Si le condamné est détenu, le ministre peut ordonner une suspension temporaire de l'exécution. À l'issue de son examen, la Cour suprême peut : soit rejeter la demande, ce qui ferme pratiquement toute possibilité de contestation future. Soit admettre la révision et ordonner un nouveau procès qui pourrait aboutir à la réforme de la décision et le prononcer de la relaxe. La révision est donc un mécanisme à la fois protecteur contre les erreurs judiciaires et restrictif pour préserver la stabilité des décisions.
Quels sont enjeux de cette révision pour Ousmane Sonko ?
L'annonce d'une réouverture éventuelle de l'affaire ne constitue pas seulement un acte juridique. Elle intervient dans un contexte politique chargé où les perceptions, les attentes et les risques sont nombreux. Pour Ousmane Sonko, cette étape est autant une opportunité judiciaire qu'un défi stratégique puisque c'est une procédure à double tranchant sur le plan judiciaire. Le premier défi tient à la nature même de la révision. Car, une révision mal engagée pourrait verrouiller définitivement la condamnation. Si la Cour estime que le "fait nouveau" n'est pas suffisamment sérieux, elle peut déclarer la demande irrecevable ou la rejeter.
Dans ce cas, la condamnation serait renforcée, la possibilité d'une nouvelle réouverture deviendrait extrêmement limitée. Autrement dit, une révision rejetée peut être plus dommageable qu'une révision jamais demandée.
Donc pour Ousmane Sonko, les enjeux sont multiples. La révision peut représenter une chance historique d'obtenir la relaxe et se lancer dans la course pour les élections de 2029, si les conditions légales sont réunies. Mais cette voie demeure risquée, car un rejet verrouillerait presque définitivement la condamnation, tout en relançant une bataille judiciaire et politique complexe. Il s'agit donc d'une procédure à manier avec prudence, rigueur avec des éléments probants. Cette affaire révèle ainsi une tension délicate entre droit, politique et stabilité institutionnelle, exigeant une lecture rigoureuse, objective et éclairée des textes.
Quelle opportunité un nouveau procès peut offrir à Ousmane Sonko
Si la Cour suprême admet la révision, la défense pourra présenter de nouvelles preuves, contester les fondements de la condamnation, et éventuellement obtenir une relaxe. C'est l'aspect le plus favorable pour Ousmane Sonko, surtout dans un contexte où sa condamnation reste très débattue. L'opportunité repose sur une possibilité d'obtenir la relaxe. Si un fait nouveau solide existe, la révision peut permettre de corriger la décision initiale, de rétablir l'honneur du condamné et de clore définitivement un dossier très exposé médiatiquement. Donc l'opportunité pour Ousmane Sonko est d'être définitivement blanchi, soit par l'effet de l'amnistie, soit par une révision admise.
Quel est l'enjeu de cette réouverture pour Mame Mbaye Niang ?
On oublie souvent que la révision n'est pas une procédure unilatérale. Elle peut aussi mettre en péril les intérêts de la partie civile de Mame Mbaye Niang. Le risque principal pour lui est relatif à la remise en cause des 200 millions de dommages et intérêts. S'il s'avère que la Cour suprême estime recevable la demande et juge qu'il existe un doute sérieux quant à la culpabilité d'Ousmane Sonko, l'arrêt de condamnation pourrait être annulé.
Ensuite, la procédure pourrait être réexaminée et les 200 millions alloués à Mame Mbaye Niang sont automatiquement fragilisés. Autrement dit, toutes les conséquences civiles d'un jugement annulé s'effondrent avec lui. Donc, Mame Mbaye Niang a l'obligation de défendre à nouveau son dossier. Une révision implique de rejustifier les accusations et défendre à nouveau l'existence du préjudice moral ; d'affronter la production éventuelle de pièces nouvelles qui pourraient contredire sa position.