Djibouti: La démocratie vacille alors que le président cherche un nouveau mandat

analyse

Le président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, a fait adopter des modifications constitutionnelles supprimant la limite d'âge pour se présenter à la présidentielle de 2025. Ces modifications lui permettent de rester au pouvoir au-delà de 2026.

Il est déjà au pouvoir depuis 26 ans et est assuré de remporter les élections d' avril 2026. Guelleh dirige un pays situé dans la Corne de l'Afrique, à la jonction de la mer Rouge et de l'océan Indien, l'un des endroits les plus stratégiques au monde. Federico Donelli, qui a étudié le paysage politique djiboutien, décrypte les dynamiques qui ont permis à Guelleh de rester au pouvoir.

Qui est Ismaïl Omar Guelleh et quel est son style de gouvernance ?

Ismaïl Omar Guelleh, plus connu sous le nom d'IOG, est président de Djibouti depuis 1999. Il a succédé au premier président du pays, Hassan Gouled Aptidon, dont il a été le chef de cabinet pendant plus de deux décennies.

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Aujourd'hui âgé de 77 ans, Guelleh est l'un des dirigeants les plus anciens d'Afrique de l'Est.

Il appartient à l'ethnie majoritaire Issa-Somalie, qui monopolise le pouvoir depuis que le pays a obtenu son indépendance de la France en 1977. La population de Djibouti est composée de deux groupes principaux : les Issa-Somalis et les Afars. Cette démographie reflète celle de la région de l'Afar voisine, en Éthiopie et encore davantage celle du Somaliland, un État de fait, en raison des liens claniques et familiaux étroits.

Par conséquent, la dynamique politique à Djibouti est souvent étroitement liée aux développements dans ces États voisins. Cela est particulièrement vrai en matière de sécurité, de mobilité transfrontalière et de réseaux claniques.

En théorie, Djibouti est une république avec un régime présidentiel et un système multipartite. Dans la pratique, cependant, le pouvoir politique reste très centralisé, laissant peu de place à une véritable concurrence politique.

Le parti au pouvoir, le Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), domine le parlement, avec 45 sièges sur 65. La grande coalition présidentielle, l'Union pour la majorité présidentielle (UPM), contrôle 58 sièges au total, consolidant ainsi l'influence de l'exécutif sur le pouvoir législatif.

Les coalitions d'opposition telles que l'Union pour le changement démocratique (UAD) et l'Union pour les mouvements démocratiques (UMD) sont confrontées à des contraintes importantes. Elles ont parfois boycotté les élections. Cinq élections présidentielles et cinq élections législatives ont eu lieu depuis 1999.

Les organisations internationales dénoncent régulièrement les restrictions imposées aux médias et aux voix dissidentes. La plupart des média sont contrôlés par l'État. La majorité des médias sont contrôlés par l'État.

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Guelleh doit également sa longévité à un réseau très soudé de fonctionnaires, de membres de sa famille et d'alliés politiques qui occupent des postes clés au sein du gouvernement et des entreprises. La coalition qui le soutient n'affiche pas tout le temps l'unité. Des rivalités subtiles ont parfois émergé entre les personnalités politiques et les membres de son cercle restreint. Mais ces dynamiques ne constituent pas une menace politique.

Qu'est-ce qui explique sa longévité ?

Le mandat de Guelleh peut être attribué à la fois à des changements institutionnels, des facteurs géopolitiques et des dynamiques au sein de l'élite.

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Un premier élément d'appréciation est la réforme institutionnelle. Au fil des ans, le parlement djiboutien a affaibli les principales garanties démocratiques de la Constitution de 1992.

Tout d'abord, la limitation du nombre de mandats présidentiels a été supprimée en 2010. Ces changements ont permis à Guelleh de briguer un nouveau mandat et ont ramené la durée du mandat présidentiel de six à cinq ans.

En novembre 2025, le parlement a de nouveau suivi le même schéma en supprimant la limite d'âge pour être candidat à la présidentielle. Cela a levé la dernière barrière qui aurait pu empêcher Guelleh d'être candidat en avril 2026.

Un deuxième facteur est l'importance stratégique de Djibouti. Situé à l'entrée du détroit de Bab el-Mandeb, une voie maritime vitale reliant la mer Rouge et l'océan Indien, le pays abrite plusieurs bases militaires étrangères. Il accueille les bases américaines, de la France, de la Chine, du Japon et de l'Italie. Pour de nombreux partenaires internationaux, la stabilité du gouvernement djiboutien est considérée comme un gage de prévisibilité dans une région instable.

Par conséquent, les pressions extérieures en faveur d'une réforme politique ont été limitées. Cela a renforcé la stabilité du pouvoir actuel.

Troisièmement, la cohésion de l'élite au pouvoir a joué un rôle central dans la politique intérieure. Un réseau de personnalités influentes, comprenant des membres de la famille du président, des conseillers de longue date et des personnalités économiques, s'est formé autour du leadership de Guelleh. Ce groupe contrôle les institutions clés de l'État et les secteurs économiques, ce qui incite fortement à maintenir la continuité du leadership.

L'économie de Djibouti repose principalement sur les services portuaires et logistiques, en particulier son port international qui dessert le commerce régional, ainsi que sur les revenus générés par l'hébergement de plusieurs bases militaires étrangères.

Dans le même temps, l'absence d'un successeur ouvertement désigné a déclenché une concurrence discrète au sein de ce cercle. La perspective d'une ère post-Guelleh a, ces dernières années, encouragé diverses personnes à chercher à accroître leur influence. Cela va des membres de la famille aux conseillers principaux et aux personnalités politiques.

Les rivalités émergentes ne remettent pas ouvertement en cause l'autorité du président. Néanmoins, elles illustrent la dynamique interne complexe qui sous-tend l'ordre politique actuel.

Quelles sont ses réalisations et ses promesses ?

Au cours de ses plus de deux décennies au pouvoir, Guelleh a présidé à une période de relative stabilité à Djibouti. Alors que la Somalie et l'Éthiopie voisines ont connu une insécurité et des conflits internes persistants, Djibouti est resté relativement épargné.

Le gouvernement présente souvent cette stabilité comme l'une des caractéristiques déterminantes de son mandat.

Djibouti s'est imposé comme un hub stratégique. La présence de plusieurs bases militaires étrangères, ainsi que des installations portuaires et logistiques, a généré d'importantes recettes pour l'État.

Depuis 2016, les investissements et la gestion chinois ont joué unrôle croissant dans le développement des principales infrastructures portuaires du pays, intégrant davantage Djibouti dans les réseaux commerciaux mondiaux. Ces facteurs ont renforcé la visibilité du pays dans les accords internationaux en matière de commerce et de sécurité.

En outre, Djibouti joue un rôle important dans la diplomatie régionale. C'est un membre de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD). Il s'agit de l'organisation régionale chargée de traiter les conflits liés aux ressources, à la concurrence politique et à l'identité. Djibouti a récemment participé, entre autres, aux tentatives de médiation dans le conflit soudanais.

Le gouvernement a également mis en avant certaines réformes institutionnelles comme des signes de progrès. On peut citer à titre d'exemple l'abolition de la peine de mort en 2010.

Cependant, les défis structurels restent importants. Djibouti a une population très jeune. Des problèmes tels que le chômage, le coût élevé de la vie et la participation politique limitée persistent.

Que nous apprend le vote sur la limite d'âge sur la politique djiboutienne ?

La décision a été adoptée sans débat public et sans voix dissidente parmi les 65 législateurs présents. Cela reflète à quel point l'Assemblée nationale s'aligne sur l'exécutif.

Le vote met également en évidence le rôle central du consensus des élites dans le système politique djiboutien. Les personnalités clés de la coalition au pouvoir, notamment les représentants des élites Issa et Afar cooptées, ont soutenu la réforme. Pour ces groupes, le maintien de la continuité du pouvoir est souvent considéré comme un moyen de préserver l'accès aux ressources économiques et politiques. Cela est préférable aux incertitudes liées à un changement de direction.

Le fait de contourner un référendum populaire sur cette disposition limite la possibilité de connaître les niveaux réels de soutien ou d'opposition. Cela a pour effet d'exclure en particulier les jeunes citoyens qui n'ont connu qu'un seul président.

Dans l'ensemble, le vote montre que les dispositions constitutionnelles peuvent être modifiées lorsqu'elles entravent la continuité du pouvoir. Cela renforce un modèle dans lequel les règles formelles s'adaptent aux besoins politiques plutôt que de les contraindre. Cela souligne également l'importance de la cohésion des élites dans le maintien de l'ordre politique actuel.

À l'approche de l'élection présidentielle de 2026, le discours dominant du gouvernement reste celui de la continuité, soutenu par ceux qui considèrent la stabilité comme essentielle à la protection des intérêts nationaux et régionaux.

Cependant les difficultés économiques et l'incertitude autour de la succession continuent de peser sur l'opinion publique, en particulier parmi les jeunes.

Federico Donelli, Associate Professor of International Relations, University of Trieste

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