Sahara Occidental: Aminatou Haidar, 10e récipiente du Prix du courage civil nous éclaire sur les périples du peuple saharaoui

29 Octobre 2009
interview

De passage à Washington, où elle devait recevoir le 10e prix annuel du Courage civil,   Madame Aminatou Haidar, l'une des grandes figures de la lutte pour la libération du peuple sahraoui a bien voulu se prêter aux questions de l'équipe d'allAfrica.com. L'interview a eu lieu le 23 octobre 2009.

Pourriez-vous nous donner un bref   aperçu de la situation au Sahara occidental?

Le Sahara occidental comme vous le savez est une ex-colonie espagnole dont le dossier de décolonisation se traite annuellement à la 4e commission   des Nations unies . Le peuple sahraoui attend toujours l'application de son droit légitime   á l'autodétermination.

L'occupation marocaine du Sahara occidental depuis 1975   a causé beaucoup de drames. Le peuple saharoui est divisé en deux parties : une partie vit au campement de réfugiés  à Tindouf sur le territoire algérien, dans des conditions humaines très difficiles. L'autre partie d'où je viens est celle restée sous administration marocaine . Cette occupation a engendré   des violations   flagrantes   des droits de l'homme sur le peuple saharaoui. Le Maroc dès son invasion a eu l'intention de faire un génocide collectif. Il a soumis le peuple saharaoui à une punition collective : il y a eu les fosses communes ,   des personnes vivantes jetées   à partir d'hélicoptères, l'armée a torturé, tué, violé des centaines de personnes. La disparition forcée qui est un crime contre l'humanité a touché toutes les couches sociales sans distinction d'age :   vieux , mineurs, femmes   enceintes… Et moi personnellement j'ai été victime de ce crime. A l'age de vingt-ans,   j'ai été arrêtée par la police marocaine. J'ai passé quatre ans dans un endroit secret sans être jugée, les yeux bandés tout le temps, totalement isolée du monde extérieur. J'ai subi toutes sortes de tortures   physiques et psychiques. Ma famille ignorait totalement où je me trouvais. A cause de la terreur qui régnait du temps de Hassan II personne n'osait   poser de questions sur le sort des disparus. Les violations des droits de l'homme persistent toujours. Au moment même ou je vous parle, la situation est très dramatique aux territoires occupés. Nous sommes privés de tous nos droits, même les militants des droits de l'homme adoptés officiellement par Amnesty International   et très connus au niveau des ONG internationales défendant les   droits de l'homme .

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Nous sommes régulièrement torturés,   arrêtés , expulsés de nos lieux de travail, transférés abusivement vers des villes marocaines et depuis deux mois le Maroc a accéléré la vitesse de la répression contre la population en général, mais surtout   contre les militants des droits de l'homme.

Le mois d'août, le 5 exactement, ils ont empêché un groupe de six jeunes   qui étaient invités par l'organisation britannique   á Londres Talk Together , avec d'autres jeunes marocains et européens   de   débattre   sur la situation au Sahara occidental.

Le 5 octobre, les autorités marocaines ont   arrêté cinq défenseurs des droits de l'homme á la frontière mauritanienne. Maintenant ils se trouvent dans une situation illégale, sans papiers. Ils ont confisqué tous leurs papiers. Ils n'ont plus de passeport,   ni de permis de conduire en bref, ils n'ont aucune pièce d'identité. En plus la surveillance est permanente.

Le 8 octobre ils ont arrêté a l'aéroport de Casablanca un groupe   de sept activistes de droits de l'homme parce qu'ils ont rendu   visite à leur famille au camp de   réfugiés   et c'est considéré comme un crime au Maroc. Maintenant ils se trouvent dans une situation très catastrophique à la prison de Sali aux alentours de Rabat. Et le plus grave c'est qu'ils vont comparaître devant un tribunal militaire et ils peuvent purger d'une sanction allant de quinze ans   à la peine de mort. Leurs familles ne peuvent pas les visiter, nous ne savons pas dans quelle situation ils se trouvent. Heureusement qu'un groupe d'avocats a pu les rencontrer . Ils ont confirmé qu'ils sont dans une situation malheureuse.

L a police arrête des jeunes filles, qui ont entre 16 et 17 ans et   leur   font vivre   toutes sortes d'atrocités : ils les deshabillent,   leur font subir des attouchements sexuels filmés et les menacent de tout poster   sur internet. J'ai parlé à une de ces filles   hier . Elle dit qu'elles sont dans une situation psychique alarmante. La situation actuelle s'est détériorée, mais malheureusement la communauté internationale  est comme un spectateur passif.

Il y'a une structure de l'ONU qui s'appelle la Minurso c'est la Mission des nations Unies pour le référendum du Sahara occidental, qui est installée sur le territoire depuis 1991, mais c'est l'unique mission des Nations unies qui n'est pas mandatée pour promouvoir , protéger les droits de l'homme, ni même observer. Et bien qu'il y ait des rapports internationaux de Human Rights Watch, d'Amnesty International et du Haut Commissariat même   qui ont revendiqué la mise en place d'un mécanisme de protection   sur le territoire pour que le mandat, les compétences de la Minurso soient élargis, il n'y a aucune réponse   jusqu'à aujourd'hui. Et ça vraiment ça va aggraver la situation.

 

Nourrissez vous des espoirs pour une résolution positive de ce conflit. Et quel dénouement ferait la satisfaction du   peuple saharoui ?

Depuis deux ans , il y a des négociations entre le Maroc et le Front Polisario qui est le représentant légitime du peuple saharaoui mais jusqu'à présent il n'y a pas eu un respect des mesures prises, pour moi au moins,   on ne voit aucun progrès sur le terrain particulièrement en ce qui concerne les droits de l'homme. Le Maroc doit respecter les droits de l'homme dans n'importe quelle situation, en temps de guerre comme de paix. Pour nous la seule résolution que nous attendons des Nations unies c'est de donner la liberté d'expression au peuple saharaoui, la possibilité de choisir ce qu'il veut.   Si le peuple saharaoui veut être intégré au Maroc, pas de problèmes,   mais on ne doit pas l'obliger à faire partie du royaume chérifien. S'il choisit d'être autonome, il faut respecter ce droit aussi.

Ce qui est inacceptable c'est que la communauté internationale reste silencieuse face à une telle situation. Ça fait trente quatre ans qu'il y a une occupation illégale et il n'y a aucun pays qui reconnait la souveraineté marocaine au Sahara occidental mais malgré tout   le Maroc n'est nullement inquiété. Nous attendons une décolonisation, l'application du droit à l'autodétermination   à travers un référendum,   . Nous ne rejetons pas les propositions des Nations unies, mais la décision finale appartient au peuple saharaoui. C'est le peuple saharaoui qui doit choisir son devenir et son avenir.

Qu'est ce que vous attendez spécifiquement des Etats-Unis. La Secrétaire d' État américain, Madame Hillary Clinton va au Maroc au début du mois prochain, quelle message aimeriez vous qu'elle transmette aux marocains pour le peuple saharaoui ?

Comme nous le savons tous, l'Amérique   est le pays le plus puissant du Conseil de sécurité   et c'est pour cette raison que nous attendons un grand soutien de sa part. Sans de pression des Etats-Unis au sein du Conseil de sécurité, il n' y aura pas de changement car le Maroc est vraiment soutenu par la France. Il n'ya aucun pays opprimant une autre nation qui   jouit de la grande impunité du Maroc et c'est grâce au soutien de la France.   La France bloque le processus de paix.

Qu'est – ce la France gagne de cette occupation marocaine ?

La France ferme les yeux à cause de ses intérêts économiques au Maroc,   mais la dignité humaine devrait valoir plus que les intérêts   économiques. Ces violations de droits humains du Maroc   ne portent   pas atteinte uniquement au peuple saharaoui mais à l'union du Maghreb en général.

Est-ce que les autres pays du Maghreb vous soutiennent

Oui surtout l'Algérie. L'Algérie soutient notre droit à l'autodétermination, la Libye aussi et la Mauritanie.

Et la Tuinisie   ?

Pas tellement.

Vous venez tout juste de recevoir le 10e prix   annuel   du Courage civil ,   quel effet cela   vous fait-il ?

C'est un grand honneur pour moi de recevoir encore une   fois   un prix   des   Etats-Unis qui m'a déjà décernée   des prix prestigieux   comme le " Civil Collège Prize" ou le prix   Robert F. Kennedy l'année passée. Ça pour moi c'est   un grand soutien, c'est un grand support c'est une reconnaissance de ma lutte, mais surtout ça va m'ouvrir beaucoup de portes, celles des institutions de la société civile américaine et ainsi attirer l'attention sur le problème saharaoui qui est presque oublié ou méconnu ici aux Etats-unis

Un mot, pour la fin ?

Je lance un appel au peuple américain. Nous avons vraiment besoin de leur soutien. Nous attendons   des Etats-Unies qu'ils   jouent   un rôle primordial pour mettre fin à ce drame   et ils devraient surtout exercer des pressions sur le Maroc pour   qu'ils respectent les droits du peuple saharaoui. Les Etats-Unis doivent être neutres, supporter la légalité internationale. Pour l'instant ils vont dans le droit chemin, ni avec l'un ni avec l'autre. Nous ne demandons que le respect du droit international, pas plus.

Les enfants , les femmes, les vieux subissent la répression marocaine au quotidien. Nous sommes un peuple non-violent et notre résistance est non violente. Nous sommes très pacifiques, nous respectons bien le peuple marocain. Nous n'avons aucune haine envers le peuple marocain. Notre droit c'est un droit légitime, c'est la liberté , la dignité, c'est l'autodétermination.

Surtout je lance un appel pour que la population civile américaine se mobilise pour la libération des prisonniers politiques, des militants de droits de l'homme. Il faut se mobiliser pour sauver leurs vies, ils risquent la peine de mort et ça c'est unjuste.

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