Afrique: COP 28 | Sami Khomsi, Membre du Laboratoire Dessalement et valorisation des eaux naturelles au Centre d'Etudes, recherches et technologies des eaux (Technopole de Borj-Cédria) à La Presse «La Tunisie a une grande place à faire valoir auprès de la COP 28»

Lors de la conférence sur le changement climatique de Charm el-Cheikh (COP27).
1 Novembre 2023

La Tunisie a une grande place à faire valoir auprès de la COP 28. Sans parler des projets de reboisement de l'Afrique du Nord. Notre pays a une vocation agricole largement impactée par le réchauffement climatique. La Tunisie doit chercher et faire valoir une ligne d'investissements dans les énergies renouvelables et la conversion énergétique auprès des agences internationales.

La Tunisie se prépare à participer à la prochaine Conférence des parties sur le climat COP 28 qui va se dérouler à Dubaï aux Émirats Arabes Unis. Pensez-vous que cette grande messe mondiale sur les changements climatiques puisse permettre des avancées notables pour contrecarrer les catastrophes naturelles (les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations qui dépassent déjà les seuils de tolérance ?

La réponse à cette question nécessite de se pencher sur les résultats de la COP 27 de Charm Echikh en Egypte. En effet, cette conférence comme les précédentes a buté sur un accord global mondial contraignant dans lequel les plus grands pollueurs historiques reconnaissent leurs responsabilités dans le réchauffement climatique en cours.

Il serait judicieux à mon sens de rappeler que les COP sont organisées dans le cadre juridique et institutionnel de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc), signée en 1992 et sous l'égide de laquelle les COP sont organisées. Malgré la prolongation de la COP 27 en Egypte au-delà de son temps officiel et malgré les batailles diplomatiques et de communications des organisations et associations de protection de l'Environnement au plan mondial, la COP 27 a échoué dans ses résultats, les pays les plus pollueurs, comme la Chine et les USA, rechignent encore à reconnaître leur impact dans le réchauffement climatique et les dérèglements atmosphériques globaux.

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Qui doit payer pour les impacts croissants et palpables de la crise climatique ? Et comment appliquer une série de politiques incitatrices dans les industries des énergies renouvelables dans les pays du Sud ? C'est à cette question que s'attelle la COP 28 aux Emirats.

Si en Egypte, lors de la COP 27, le principe de payer ou de lancer un ensemble de mesures financières à même de contribuer au développement des énergies renouvelables a été unanimement évoqué et retenu, il n'en reste pas moins que certains pays, tels que la Chine populaire, y sont opposés considérant que ces mesures sont injustes puisque le développement industriel de la Chine est tardif par rapport à celui des USA et de l'Europe. Quoi qu'il en soit, la COP 28 devra réitérer le principe de pollueur/payeur et mettre au point des politiques et des chiffres de compensation pour les pays sous-développés et les pays les plus touchés par la hausse des températures et dérèglements globaux au premier chef desquels l'Afrique, et l'Amérique Latine.

La COP 28, quels enjeux pour la Tunisie ?

La participation de la Tunisie par une délégation officielle et par le biais aussi des associations environnementales est très importante et cela pour plusieurs raisons : la Tunisie doit être présente et faire valoir ses droits en rétributions futures, souligner que son territoire est très impacté par le réchauffement global lequel territoire national est soumis aussi aux aléas climatiques intrinsèques à la région.

La Tunisie est très largement impactée en effet par le réchauffement tout comme la région de l'Afrique du Nord et du Bassin méditerranéen. La rétribution des pays souffrant de cela ne peut être qu'un facteur de stabilisation globale du Sud de la Méditerranée car les crises de migrations des subsahariens est aussi induite directement par la désertification accrue et prolongée des pays du Grand bassin du Niger-Tchad qui ont vu leurs récoltes baisser drastiquement.

La Tunisie a une grande place à faire valoir auprès de la COP 28. Sans parler des projets de reboisement de l'Afrique du Nord. Notre pays a une vocation agricole largement impactée par le réchauffement climatique. La Tunisie doit chercher et faire valoir une ligne d'investissements dans les énergies renouvelables et la conversion énergétique auprès des agences internationales.

L'eau est la première victime du réchauffement climatique. Oubliée des négociations climatiques depuis toujours, elle devrait faire son entrée dans la COP 28, sachant que la crise planétaire du changement climatique est inextricablement liée à l'eau. Qu'en pensez-vous ?

Effectivement l'eau est l'enjeu majeur et l'élément le plus sensible aux changements climatiques : les gaz à effet de Serre (méthane dioxyde de carbone) par le réchauffement qu'ils occasionnent perturbent la fréquence, la distribution, la rythmicité des pluviométries et on le voit bien dans notre zone méditerranéenne qui enregistre des périodes de sècheresse et de canicule inhabituelles dans le Maghreb, la péninsule ibérique, les Italie, la France et la Grèce pour ne citer que les exemples les plus saillants. Les incendies de forêts sont devenus plus fréquents dans les maquis et la garrigue et les forêts méditerranéennes en général.

Ceci est l'expression d'un déficit hydrique dans le sol et le couvert végétal dû aux pluviométries changeantes elles-mêmes contrôlées par le réchauffement global : on voit bien les effets dominos en climatologie. Des relations de causes à effets consécutifs dans le temps et l'espace. Le fait que l'eau fasse son entrée dans la COP 28 est très important et démontre un changement de mentalités stratégiques mondial important. L'eau est le réceptacle de la pollution à travers toute la planète et est l'élément naturel physique intégrateur des équilibres hydro-bio-biogéochimiques.

Les conditions climatiques de la Tunisie s'aggravent-elles ? Quelles seraient les conséquences pour le secteur hydrique?

Les conditions hydriques de notre pays vont en s'aggravant: une diminution des précipitations et changements des périodes de pluie. Notamment dans le Nord, le centre et les côtes. Cela amène à une surexploitation des nappes phréatiques et assèchement progressif des grandes nappes intra-montagnes. A la longue et à moyen terme cela mènera au tarissement des nappes, la salinisation des nappes côtières et la salinisation accrue par les sels dans les systèmes d'irrigation, cela conduira à une désertification accrue dans certaines régions notamment dans le Centre et Centre Nord du pays. On voit déjà cette désertification en marche dans de nombreuses zones telles que Kairouan.

D'autre part, la situation des barrages est assez inquiétante. Nos barrages, qui sont assez anciens et nécessitent de plus en plus d'entretiens, sont en deçà de leurs capacités de stockage à cause du manque de pluie ces dernières années. Les lacs de retenues de nos barrages sont très partiellement remplis car les bassins versants reçoivent moins d'eau de pluie depuis les 3 dernières années.

Comme l'a bien souligné le professeur Hamza El Fil, Chef du Laboratoire dessalement et valorisation des eaux naturelles au Centre de recherches et des technologies des eaux (Technopole de Borj-Cédria), nous devons aller vers le dessalement d'eau dans certaines régions pour assurer une desserte en eau potable. Ces stations de dessalement devraient être des centrales fonctionnant au solaire pour diminuer l'impact carbone de celles-ci.

Ce qui est certain et sans tomber dans les alarmistes exagérés, c'est que nous connaissons un changement du climat dans toute la Méditerranée y compris en Tunisie : étés plus chauds, plus longs, disparition des contrastes de saisons, quantités de pluies plus limitées, répartition chaotique et épisodes catastrophiques majeurs comme le cyclone qui a frappé Derna en Libye. D'autre part, nous constatons la migration des oliviers en Italie vers le Nord de la péninsule italienne ainsi que des fontes de glaces très rapides sur les Apennins. Cela va sans dire que nous sommes dans une phase de réchauffement mais des inconnues demeurent: l'ampleur du changement (quantité d'augmentation de la Température moyenne).

Une chose est sûre : cela affecte les modes de culture et d'occupation des sols agricoles et forestiers. Des pays comme la France et l'Italie sont en train de promouvoir des projets pour changer la nature des couverts forestiers méditerranéens et de massifs alpins et péri-alpins : On a vu cette année l'ampleur des incendies en Grèce, en fait, il faudrait des variétés d'arbres plus résistantes aux chaleurs. Voilà un axe de recherche important dans lequel la Tunisie aura son mot scientifique à dire car riche de son expérience forestière et de ses compétences dans les institutions de recherche--enseignement agronomique: Certe, Inat, Inrat, Itam, Ingref. Rechercher l'adéquation nécessaire entre le couvert végétal et l'appauvrissement en eau des sols.

La carte d'occupation des sols agricoles doit aussi inéluctablement changer : types de cultures et surface cultivables. Il n'est plus question de cultiver des milliers d'Ha de tomates par exemple. L'Agroforesterie doit impérativement être institutionnalisée en axant sur des techniques qui ne consomment pas d'eau.

Les pays africains sont parmi les plus exposés aux impacts négatifs du changement climatique, et pourtant l'Afrique est le continent qui reçoit le moins de financements liés au climat. Une injustice qui perdure ? Quelle est votre appréciation sur ce sujet ?

C'est un sujet très important et qui nous concerne fondamentalement. Je pense qu'il faudrait exploiter la dette africaine (70 % du PIB) en faveur de la sauvegarde des milieux naturels, du climat et des bassins hydrogéologiques comme cela est préconisé par le rapport onusien de Sejal Pattel (2021). Je pense qu'une grande partie de la dette africaine devrait être recyclée et reconvertie en investissements pour la sauvegarde des équilibres hydrologiques et de l'environnement avec notamment : créations d'espaces verts plus nombreux, grands travaux d'aménagements des bassins versants pour la conservation des eaux et des sols, reboisements intensifs sur des milliers de Km2, forages de stockage de dioxyde de carbone dans les anciens forages pétroliers et autres.

N'oublions pas que l'Afrique a été exploitée pour ses richesses naturelles (Bois, pétrole, minerais...) donc la reconversion de la dette africaine en investissements internationaux pour endiguer les effets néfastes des changements climatiques sur les populations africaines n'est qu'un retour de justice et d'équitabilité envers l'Afrique. D'autre part, la crise migratoire des citoyens des pays subsahariens vers l'Europe via l'Afrique du Nord est en partie aussi l'expression d'une migration climatique résultant d'une chute de rentabilité des terres agricoles des pays du Bassin du Niger-Tchad, très affectées par l'avancée du désert du Sahara.

Il est bon de rappeler ici que ces pays affectés par l'avancée du désert ont aussi connu une dégradation des deniers publics suite à la pandémie de Covid-19 et dont les effets sur le PIB se font encore sentir. Donc la conversion de la dette extérieure africaine en investissements dans la nature et l'eau est non seulement souhaitable, mais obligatoire pour rétablir les équilibres macro-économiques en investissant dans la fixation des populations sur leurs terres, c'est là tout l'enjeu des fonds pour lutter contre les effets du réchauffement climatique entre-autres de la COP 28 ! Il est judicieux de signaler que le réchauffement climatique de 2 degrés coûterait à l'Afrique dans les estimations économiques les plus optimistes entre 60 à 110 milliards de dollars par an en 2050-2060.

C'est dire l'impact de ce changement sur les économies et les deniers publics en Afrique donc de la perte d'emplois et de décroissance. Cela montre l'impact probable du changement climatique sur les PIB des pays africains. On voit bien par exemple que la Tunisie, l'Egypte et les pays du bassin Tchad-Niger seraient très fortement impactés avec une perte nette de 3 à 5 % du PIB, ce qui peut s'avérer catastrophique dans certaines situations.

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