La BAD organise prochainement un forum sur le changement climatique, pouvez-vous nous présenter ses objectifs ?
L'Afrique ne pourra pas répondre au défi du développement durable sans faire face aux impacts du changement climatique, qui sont multiples. Plus personne ne remet aujourd'hui en question la nécessité de mettre en oeuvre des plans d'action pour minimiser ces impacts. Il suffit de regarder, pour s'en convaincre, l'augmentation du nombre des sécheresses graves et des inondations destructrices. La crise qui sévit aujourd'hui en Somalie et au nord du Kenya nous rappelle cruellement cette nécessité.
Sur cette base, la BAD organise, à Durban, dans le cadre de la 17e Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur le Changement climatique (COP 17), en partenariat avec l'Union africaine et la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, un forum afin de discuter des différents problèmes techniques et nous mettre d'accord sur une stratégie globale pour répondre à ces épreuves. Le forum rassemblera les responsables politiques africains, les bailleurs, les chercheurs, les investisseurs privés ainsi que la société civile pour contribuer, ensemble, à la préparation des recommandations politiques destinées aux gouvernements africains.
La crise de la dette en Occident fait que l'on ne parle presque pas de la rencontre à Durban sur le changement climatique, comme ce fut le cas pour Copenhague. Ferez-vous le déplacement en Afrique du Sud à la fin du mois prochain, d'autant plus que l'Occident risque de ne pas être très généreux, la lutte contre la crise mondiale nécessitant des fonds colossaux ?
Bien sûr ! Je ne partage pas votre appréciation sur le manque d'engouement pour la conférence de Durban sur le changement climatique. Bien au contraire, Durban attire de plus en plus d'attention, et pour plusieurs raisons. Comme vous le savez, l'Afrique est frappée de plein fouet par le réchauffement climatique, alors que c'est le continent qui contribue le moins au changement climatique. Durban constitue ainsi un lieu éminemment symbolique pour rappeler au monde entier la dure réalité que représente le changement climatique pour l'Afrique. D'autre part, l'Union africaine est en train de mettre sur pied, avec l'assistance de la BAD, un pavillon Afrique, qui représente une innovation importante par rapport aux éditions précédentes. L'Afrique participera ainsi à la réunion de Durban sous une même bannière, augmentant ainsi le poids de la voix du continent. A ce titre, la BAD est fière d'avoir soutenu les négociateurs pour l'Afrique, qui vont avoir fort à faire pendant la conférence. Outre les différentes discussions de très haut niveau qui sont programmées dans le cadre des rencontres officielles, le pavillon Afrique se distinguera par un programme riche en évènements pour discuter des divers aspects du changement climatique, des défis à relever et de l'expérience que nous avons déjà acquise, en mettant en avant des solutions pour l'Afrique dans tous les domaines touchant au changement climatique (énergie, agriculture, eau potable, assainissement...). Vous le voyez, la BAD jouera un rôle très important à cette conférence. La BAD aura sur place une équipe d'experts qui participeront aux tables rondes ainsi qu'aux évènements parallèles. Nous suivrons de près les négociations sur les questions importantes à résoudre, telles que la réduction de la pollution, le financement climatique, etc.
Enfin, n'oubliez pas que si Durban va abrite la 17e Conférence des parties signataires de la Convention Climat (COP) sous les auspices des Nations Unies, la ville abritera en parallèle un autre événement tout aussi important pour l'Afrique : la Septième réunion des parties au Protocole de Kyoto depuis l'entrée en vigueur en 2005 du Protocole de Kyoto. Les enjeux pour l'Afrique sont donc extrêmement importants et la BAD est fière d'apporter sa contribution pour faire avancer le débat. Maintenant, pour revenir à votre question sur l'impact de la crise économique mondiale sur le financement climatique en général, et plus particulièrement en Afrique, l'Occident passe par la crise la plus grave de son histoire depuis le jeudi noir de 1929. Et cette crise a bien sûr une incidence directe sur les économies africaines. D'après nos prédictions, une baisse d'un pour cent dans le PIB des pays membres de l'OCDE se traduirait par une baisse de 12 pour cent des recettes d'exportation des économies africaines. Les pays du Nord sont confrontés à des difficultés réelles qui vont exiger des mesures douloureuses.
Comment aider l'Afrique dans ces conditions à faire face à l'injustice climatique dont elle est victime ?
Je crois sincèrement que nous devons, dans ce contexte budgétaire difficile, privilégier les solutions innovantes. Comme le président de la BAD le disait dans un discours prononcé récemment à une réunion du G20, un certain nombre de propositions ont été élaborées pour permettre à l'Afrique de faire face au changement climatique, sans alourdir les budgets des pays donateurs.
Quel sera le message de la BAD sur les opportunités et les contraintes du changement climatique en Afrique ?
Nous venons d'en parler : l'Afrique est la région la plus vulnérable aux effets du changement climatique. J'ai utilisé à dessein l'expression « injustice climatique » : l'Afrique ne contribue qu'à hauteur de quatre pour cent aux émissions de gaz à effet de serre, mais elle subit de plein fouet les conséquences directes du réchauffement climatique mondial, comme la raréfaction de l'eau ou des variations climatiques extrêmes. Toutefois, sa situation offre une occasion pour poursuivre un développement faible en carbone, par exemple par l'utilisation de l'énergie propre pour donner un accès abordable à l'électricité. Par conséquent, nous allons mettre l'accent sur la nécessité de gérer de façon durable les ressources renouvelables et non renouvelables du continent - entre autres l'eau, les forêts, les sols. Il faut également que les pays africains aient la capacité technique et financière pour faire face, bien sûr, à ces risques, mais aussi pour intégrer le changement climatique dans leurs plans nationaux de développement. Il faudrait aussi que l'architecture du financement du changement climatique soit mieux adaptée aux besoins africains. Et là encore, nous pensons qu'il est possible d'atteindre ces objectifs sans alourdir les budgets des pays donateurs.
D'après certaines estimations le changement climatique entraîne chaque année une perte de cinq à dix pour cent du PIB de l'Afrique. Pouvez-vous confirmer ce chiffre ? Si tel n'est pas le cas, quel est le coût économique des conséquences du changement climatique en Afrique ?
Les évaluations des coûts économiques du changement climatique sont toujours incertaines, car les modèles tiennent compte de nombreuses hypothèses. L'impact varie également selon le degré de réchauffement considéré. Malgré ces divergences, ces différents modèles convergent en affirmant que les impacts en Afrique sont disproportionnés à sa contribution au changement climatique.
Si rien n'est fait, les pertes économiques en Afrique pourraient représenter de 1,5 à trois pour cent du PIB d'ici 2030 et 10 pour cent d'ici la fin du siècle. Etant donné la diversité environnementale et socioéconomique en Afrique, les impacts économiques seront différents selon les pays et les secteurs. Le PIB des pays sahéliens pourrait baisser de cinq pour cent ; ce chiffre pourrait s'élever à 10 pour cent au début de 2030 pour les pays d'Afrique du Nord. En Afrique de l'Est, les périodes de sécheresse et d'inondations coûtent déjà l'équivalent d'environ 10 pour cent du PIB, et l'augmentation probable de ces phénomènes pourra alourdir la note. Mais oublions les chiffres : nous parlons ici de la vie de personnes, de communautés et de régions. Traduisons ces chiffres dans la dure réalité que connait l'Afrique aujourd'hui : la famine dans la Corne de l'Afrique affecte 13 millions de personnes et a déjà causé la mort de 30 000 enfants de moins de cinq ans ! Deux millions d'enfants souffrent de malnutrition et un demi-million est au bord de la famine. Le coût humain est terrible, sans aucune comparaison avec le coût économique.
Depuis son lancement, quel est le premier bilan du fonds Climdev de la BAD ?
Le fonds spécial ClimDev a été établi en mai 2010 mais il n'est pas encore opérationnel. Pour que le fonds soit déclaré effectif, 35 millions de dollars US doivent être sécurisés. Des activités de démarrage ont été entreprises et nous sommes prêts pour commencer la mise en oeuvre dès que les fonds seront engagés. Une table ronde des donneurs est prévue pour janvier 2012 afin de mobiliser des ressources. La Suède et le Royaume-Uni ont exprimé leur intention de contribuer au fonds.
Le programme indicatif pour 2012-2014 du Fonds Spécial ClimDev requiert 145 millions d'euros pour financer 72 projets. Le programme annuel pour 2012, finançant 20 projets, nécessite l'engagement de 39 millions d'euros, un seuil par lequel le fonds pourra démontrer sa contribution à l'agenda sur le changement climatique.
La Banque africaine de développement n'a pas attendu la mise en place du ClimDev pour s'engager résolument dans le financement climatique. Nous avons été en mesure de puiser dans nos propres ressources pour appuyer nos pays membres régionaux dans leur lutte contre le changement climatique. C'est ainsi, par exemple, que nous sommes déjà en train de mettre en oeuvre un projet de « support institutionnel pour les institutions climatiques en Afrique » de 35 millions de dollars approuvé en 2009, dont le but est de développer les capacités de centres climatiques régionaux à générer des informations appropriées sur le climat et à les rendre disponibles aux utilisateurs.
L'Afrique représente à peine deux pour cent des projets du Mécanisme de développement propre. Comment expliquez-vous un tel retard ?
L'explication tient à un certain nombre de raisons ; une des plus importantes est liée à la nature spécifique des projets en Afrique (par rapport à la taille, à la disponibilité des données et au financement notamment). Mais il y a d'autres raisons telles que le manque d'entités capables de regrouper de petits projets, l'inefficacité des institutions chargées du Mécanisme de développement propre (MDP), le manque de cadre règlementaire approprié et de mesures incitatives, le manque de consultants. Une autre raison importante est liée aux connections électriques régionales. Leur rôle devrait être primordial dans les marchés régionaux d'électricité. Pour toutes ces raisons, les projets du Mécanisme de développement propre en Afrique présentent de plus grands risques qu'ailleurs, ce qui amène les investisseurs à exiger une plus grande rentabilité par rapport à des investissements similaires en Chine, en Inde ou au Brésil. Une autre raison est que le continent africain n'a pas encore atteint le niveau d'industrialisation qui offre des opportunités faciles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme c'est le cas dans d'autres pays.
Quelles sont les initiatives de la BAD pour les projets de mécanisme de développement propre sur le continent ?
La BAD est activement engagée dans la promotion et la mise en oeuvre de projets MDP à travers des initiatives telles que le « programme de soutien des projets carbone en Afrique », la participation au « Cadre de Nairobi » et à la Foire annuelle du Carbone en Afrique (Africa Carbon Forum). En termes d'initiatives propres, nous allons lancer sous peu la Facilité africaine du carbone.
La Banque a également soutenu, par d'autres initiatives, le développement de la composante MDP des projets hydro-électriques de Sahanivotry (15 MW) à Madagascar (enregistré) et de Buseruka (9 MW) en Uganda (en cours de validation). La Banque a également apporté son soutien à la publication du « Guide des programmes d'activités » en Afrique. Il s'agit-là d'un aspect très important. Puisque vous posez la question sur les mécanismes de développement propres, vous savez que ces projets sont de petits projets et que le processus de passage par le MDP est difficile. Le programme d'activités permet de surmonter cette barrière en offrant la possibilité de traiter plusieurs projets de petite envergure par lots. Comme l'Afrique représente un grand vivier de projets de petite envergure, le programme d'activités offre donc des opportunités réelles pour le continent et lève les entraves qui pénalisent beaucoup de promoteurs de petits projets.
De plus, la Banque travaille sur un certain nombre d'initiatives qui vont contribuer au développement à faible intensité en carbone en Afrique.
Quels sont les programmes de la BAD pour la promotion des politiques publiques d'économie verte et le développement du « green business » en Afrique ?
L'accent mis par la Banque africaine de développement pour promouvoir les économies vertes sur le continent a pour but d'étendre l'accès aux énergies renouvelables et la mise en oeuvre d'initiatives d'efficience énergétique sur le continent. Elle supporte également des initiatives REDD+ (« Réduire les émissions de CO2 provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts ») à travers un usage soutenable de la terre et des interventions sur la gestion des ressources, le développement de moyens de transport soutenables et faibles émetteurs de carbone ainsi que la mise en oeuvre de systèmes de gestion soutenable de la terre et de l'eau. Cela est effectué en poursuivant trois grandes lignes d'activité. Tout d'abord en développant et en renforçant les cadres institutionnels et de régulation pour encourager les investissements. D'autre part, par la fourniture de l'assistance technique.
Enfin, en rendant disponibles des instruments de financement pour des opérations des secteurs public et privé, en utilisant une gamme complète d'instruments y compris des projets de coopération technique, des facilités de préparation des dons pour assister les clients publics et privés dans la préparation de leurs investissements ainsi que des prêts pour des projets innovants, y compris des prêts pour le support des politiques. Afin d'atteindre ces objectifs et mobiliser les financements concessionnels additionnels nécessaires, la Banque africaine de développement est présente sur tous les fronts. Elle met en oeuvre des programmes et des projets financés par des plateformes de financement global, elle développe des instruments de financement nouveaux tels que le Fonds vert pour l'Afrique, elle catalyse le support du secteur privé afin de générer des ressources additionnelles pour des investissements dans l'économie verte à travers le lancement d'emprunts obligataires verts et la finance carbone.
Contact
Hela Cheikhrouhou