Les présidents du continent et autres acteurs du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) veulent passer à l’action dans la réalisation des projets d’infrastructures. L’agenda de Dakar pour l’action dont a accouché le Sommet tenu dans la capitale sénégalaise sur la question du financement des infrastructures émet l’idée de mettre fin à la dépendance exclusive aux fonds extérieurs en s’appuyant sur les ressources internes. La levée de fonds via les modes de financement innovantes sera privilégiée pour réaliser les 16 projets prioritaires ciblés qui mettent l’accent sur le transport et l’énergie. Cette nouvelle démarche met le secteur privé au cœur du dispositif.
« L’heure est à l’action ». C’est le cri du cœur que les présidents africains, le secteur privé, les institutions internationales et les agences de développement entre autres ont lancé à l’issue du sommet sur le financement des infrastructures du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEAPD) qui s’est tenu le 15 juin 2014 à Dakar. Un engagement qui, selon le directeur exécutif du NEPAD, Dr Ibrahim Mayaki répond au souhait de la population africaine qui n’attend que des résultats concrets en matière d’infrastructures de développement.
Cette nouvelle donne permet de voir que les dirigeants africains se sont finalement rendu compte que 13 ans après le lancement du NEPAD, les choses n’ont pas réellement bougé sur le plan du financement des infrastructures. L’option prise de miser sur les financements extérieurs au continent n’était pas la bonne. Pour marquer la rupture et insuffler un souffle nouveau devant accélérer la cadence, l’Afrique est résolument engagée à se passer des types de financements traditionnels jusque-là contrôlés par les institutions internationales et les partenaires bilatéraux pour financer ses infrastructures.
Les participants du sommet de Dakar, ont ainsi décliné leur vision à travers « L’agenda de Dakar » qui est matérialisé par une feuille de route dans laquelle les acteurs ont décidé de militer pour renforcer des synergies novatrices entre le secteur public et le secteur privé afin de mobiliser des investissements africains et globaux pour le financement des infrastructures du continent.
Convaincus que des infrastructures inadéquates constituent une menace aux aspirations de croissance de l’Afrique, des observateurs estiment que, pour atténuer la pauvreté et promouvoir la richesse, il faut développer ces infrastructures. D’où la pertinence de l’adoption du Programme pour le Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) réalisé par l’Union africaine et qui cible 16 projets transfrontaliers. Chaque projet sera piloté par un « président champion » et son impact direct touchera au minimum trois pays dans la même région. Le plan d’Action Prioritaire actuel du PIDA évalue les besoins en investissement dans les infrastructures de l’Afrique à 68 milliards de dollars d’ici 2020 et à 360 milliards de dollars d’ici 2040. Les besoins pour le secteur de l’énergie seulement sont estimés à 40 milliards de dollars (soit 56% des 68 milliards de dollars d’investissement en capital à court terme du PIDA).
Le sommet de Dakar a convenu de mettre l’accent sur une approche régionale pour le développement des infrastructures en Afrique. Son plan d’action concret a statué sur des pratiques de pays à pays et entre les secteurs privés et publics avec des stratégies et mécanismes viables pour améliorer les projets d’infrastructures. Les acteurs ont ainsi mis l’accent sur les moyens aptes à promouvoir les investissements ainsi que les solutions visant à dégeler les défis qui sont liés à la préparation des projets.
Le président de la Banque Africaine de Développement, M. Donald Kaberuka estime qu’il faut miser sur la manière de préparer les projets, rénover leur caractère et tirer parti des ressources internes disponibles pour créer les véhicules permettant d’attirer des capitaux. Une observation jugée pertinente du moment que le coût de la préparation d’un projet d’infrastructure de grande envergure représente entre 7 à 10% du coût d’investissement final du projet. Donc, pour investir 68 milliards de dollars dans des projets d’infrastructure à l’horizon 2020, il faudra consacrer entre 4 à 7 milliards de dollars à la préparation de ces projets. Du moment que ces financements ne sont pas disponibles pour le moment, ils convient d’instaurer une nouvelle approche pour la préparation de projets si l’Afrique veut relever le défi de leur rentabilité financière.
Un engagement politique pour mieux rassurer les investisseurs
Le sommet pour le financement des infrastructures en Afrique a conceptualisé le retour du continent à la croissance et des aspirations pour une nouvelle frontière des investissements. Les chefs d’Etats du Sénégal, Macky Sall, Ibrahim Boubacar Keïta du Mali, Goodluck Jonathan du Nigeria et Yayi Boni du Bénin et les chefs de gouvernement ayant pris part à ce sommet considèrent que le moment est venu de financer le développement de l’Afrique à partir de ses propres ressources conformément à l’agenda 2063 de l’Union africaine. Ils ont pris un engagement ferme pour imprimer un élan à la mobilisation des ressources et à la mise en œuvre effective des projets régionaux d’infrastructure.
Le Dr Mayaki du NEPAD pense que ce forum marque la fin d’un processus et le début d’une ère nouvelle. Pour lui, l’agenda pour l’action déclinée est une feuille de route qui recommande l’alignement des agences d’exécution, l’engagement du secteur privé et la détermination politique. « Nous aurons maintenant la responsabilité de le mettre en œuvre collectivement».
Dans cette même dynamique, le Secrétaire Exécutif de la Commission Economique pour l’Afrique, M. Carlos Lopes estime que la réalisation de ces actions aidera à combler le déficit en infrastructure de l’Afrique qui permettra d’augmenter de 2% par an la croissance économique par habitant du continent et la productivité des entreprises de 40%.
Pour lui, « il est appréciable que l’Afrique prenne la responsabilité de financer ses infrastructures du moment que les ressources intérieures représentent près de la moitié des 90 milliards de dollars dépensés au titre de projets d’infrastructure en Afrique ». Comme en témoignent les exemples récents du Cap-Vert avec 44%, de la Namibie 39%, de l’Ouganda 28% ou encore l’Afrique du Sud avec 24% des projets d’infrastructures financés avec des ressources intérieures.
Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, dans la foulée, s’est appesanti sur un élément essentiel dans la réalisation des projets d’infrastructures d’envergure, qu’est la bonne gouvernance avec l’obligation de rendre compte.
C’est dans cette optique que le président de la BAD, invite les leaders africains à minimiser les risques politiques en assurant les investisseurs que le changement d’un régime politique n’entrainera pas une modification des règles du jeu définis au départ. Il saisit l’opportunité pour « vendre » le fonds Africa 50 de 100 milliards de dollars créée par la BAD qui vise à mobiliser le financement privé et à accélérer la réalisation d’infrastructures en Afrique afin de créer une nouvelle plateforme pour la croissance africaine.
Une idée appuyée par le président sénégalais, Macky Sall qui considère qu’il faut éliminer les risques liés à l’instabilité politique. Pour lui, l’engagement des leaders est essentiel. Des réformes sont nécessaires pour mettre en place un cadre juridique et réglementaire favorable pour attirer le secteur privé, harmoniser les législations pour encourager les projets régionaux. Pour ainsi gagner du temps par rapport à la mise en œuvre, le président Sall plaide pour que le management des études des 16 projets ciblés par le PIDA puisse être confié à Africa 50 de la BAD mais sous la supervision du NEPAD et le contrôle politique du Comité d’Orientation des Chefs d’Etats et de Gouvernement.
Miser sur les nouveaux types de financement
Les chances de mobiliser des ressources internes en Afrique sont certaines. Lors de la rencontre de Dakar il a été cité beaucoup de cas ayant permis le financement de projets d’envergure notamment des autoroutes, des ponts, des aéroports… La rencontre de Dakar a permis de lever un coin du voile sur les potentialités qu’offrent, par exemple, les fonds de pension, les fonds de garantie, l’épargne, les envois des migrants, les réserves fiscales, les fonds dormants des banques, les marchés financiers africains…
Le président du Sénégal attire ainsi l’attention sur la nécessité de rompre avec les modèles de financements classiques pour éviter la dépendance de l’extérieur. Une invite dont la pertinence est éclairée par le président Goodluck Jonathan qui a partagé l’expérience de son pays le Nigeria qui, selon lui, a développé des techniques de mobilisation des ressources avec des fonds de banques internes. Ce qui permet à son homologue du Bénin, Yayi Boni de citer la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières en exemple. Selon lui, elle participe à cette nouvelle approche pour lever des ressources internes. Yayi Boni milite pour la création d’un cadre harmonisé et sécurisé régional du moment que la promotion du Partenariat public-privé nécessite une force légale et juridique appropriée.
Ce qui, selon le Dr Carlos Lopes de la CEA, est une condition sine qua non pour attirer aussi l’investissement externe qui nécessite un cadre juridique plus attractif et le climat d’investissement beaucoup plus durable. A son avis, il faut dans ce cadre régler le problème de la disparité flagrante des régimes juridiques en Afrique qui a une incidence sur le financement du développement des infrastructures en particulier à l’échelle régionale. La transparence des procédures, les passations de marché sont tout aussi importantes. Il convient d’y remédier car elles font apparaitre un effet dissuasif sur les investissements étrangers. Il est également capital de veiller à ce que les autochtones soient encore en mesure d’entreprendre des projets d’ingénierie lourde.
De manière plus claire, M. Mayaki pense que la crise financière internationale illustre de la vacuité de la dépendance permanente des fonds étrangers pour financer les infrastructures.
Le passage en revue des contraintes susceptibles de bloquer la levée de ressources internes met également en relief la capacité des Africains à manager les projets d’infrastructures d’envergure. A ce sujet M. Carlos s’est ému du fait qu’il est estimé que l’Afrique dépense pas moins de quatre milliards de dollars par an pour employer plus de cinq mille experts non africains à l’appui des projets d’infrastructure. Un constat qui sidère plus d’un du moment que la diaspora africaine compte plus 300 mille africains hautement qualifiés dont près de 30 mille sont titulaires d’un doctorat. « Nous avons besoin d’accords régionaux solides pour coordonner et harmoniser les politiques visant à mobiliser des ressources pour que la transformation structurelle soit une réalité. Une transformation qui puisse favoriser une industrialisation ». Pour le Secrétaire Exécutif de la CEA : « la situation pour laquelle un pays comme la Thaïlande exporte plus de produits manufacturiers que l’ensemble du continent africain, ne peut pas continuer ».