Le marché de l'art et du design africain survivra-t-il à l'ère de la disruption et des grands bouleversements dans le monde ? La question s'est invitée ce samedi 10 novembre à Tanger (Maroc), dans le cadre de la 11ème édition du Forum MEDays que l'Institut Amadeus organise annuellement. Des débats qui ont prôné un changement de paradigme et des stratégies de communications agressives pour replacer l'art et le design africain sur le marché international.
(Envoyé spécial à Tanger) – L'interrogation sur les potentialités du marché de l'art et du design africain s'impose du moment que le patrimoine africain est pillé et les acteurs du continent ne tirent pas bénéfice de leur créativité, au bénéfice de promoteurs venus d'ailleurs.
Pour Mme Roukiatou Ba Hampaté, Directrice de la Fondation Hampaté Bâ, il y a un pillage qui fait que plusieurs œuvres africaines sont exposées dans des musées européens sans que cela ne heurte personne. Elle a fait cette révélation dans le cadre du premier panel consacré à l'art et la culture en 11 ans d'organisation du Forum International des MEDays.
Devant cet état de fait décliné, cette fille d'Amadou Hampaté Ba pense que les artistes africains sont un peu livrés à eux-mêmes parce que les États n'ont pas de politique dans ce sens. « Que nous restera-t-il si on nous exproprie de notre patrimoine culturel », s'est-elle interrogée.
Dans cette même dynamique, M. Noureddine Ayouch, spécialiste de la communication confie qu'il y a de plus en plus de musées européens qui font appel à des artistes africains pour des expositions au moment où ils peinent à se faire connaitre chez eux.
Un cas de figure qui révèle certainement un manque de volonté politique de nos Etats matérialisé par une absence de capitale du design en Afrique et que beaucoup d'artistes sont ignorés. Ce qui est également confirmé par la faiblesse de la part consacrée à l'art et la culture généralement, dans les budgets nationaux en Afrique.
Une situation que plusieurs observateurs qui ont pris part à ce panel jugent incompréhensible vu le potentiel artistique et culturel dont regorge l'Afrique. Sans oublier la place essentielle que l'art a toujours joué dans la société africaine.
Pour le confirmer, Mme Roukiatou Hampaté Ba a convoqué l'œuvre de son père qui a toujours milité pour une affirmation de l'identité culturelle africaine avec une ouverture vers le monde extérieur.
« L'art n'était pas dissocié de la vie. Il n'était pas fait pour gagner de l'argent. Le rôle de l'artiste était prépondérant, il était dans la société ce que le vin est pour le pain. Il y avait une fonction de sacralité et a permis de lutter pour l'identité nègre ».
Avant de reconnaitre : « Aujourd'hui dans l'Afrique contemporaine, l'artiste est confronté à de nouveaux défis face à la montée technologique. »
Devant cette nouvelle donne, elle plaide pour la préservation du patrimoine africain immatériel et physique pour permettre à l'art de jouer son rôle économique et social.
Dans cette même dynamique, M. Hicham Lahlou, spécialiste du design a mis le curseur sur les possibilités que peut offrir le design dans cet élan d'émergence économique et d'ouverture des marchés au niveau africain.
Selon lui, rien qu'avec les plus de 200 langues en Afrique, les conditions d'une éclosion sont réunies. A titre d'exemple, M. Lahlou a cité le marché de 400 millions de consommateurs que va générer la future entrée du Maroc dans la CEDEAO.
Un rendez-vous qui, à son avis, risque d'être raté du fait de l'absence d'école ou de joint-venture sur le design dans toute la région.
A son avis, les Etats gagneraient à adopter une démarche inclusive pour espérer introduire le design dans l'économie africaine.
M. Lahlou pense que le secteur de l'hôtellerie africaine qui se distingue par son dynamisme peut être un fer de lance du design africain.
Il appelle ainsi à utiliser les neuf chaines panafricaines d'hôtelleries comme porte d'entrée pour mettre en place un véritable écosystème économique.
Ce qui relève du possible du moment qu'en 2019, révèle M. Lahlou, la grande enseigne suédoise IKEA va travailler avec des designers africains pour la commercialisation de leurs produits.
Selon lui, il faut que les pouvoirs publics prennent conscience qu'il ne faut pas voir la culture juste sous l'angle esthétique mais plutôt comme un secteur pourvoyeur d'emplois, de business, de développement durable…
Dans cette dynamique, M. Kwei-Armah Kwame, artiste africain basé à Londres (Angleterre) pense que la réussite de ces nouveaux paradigmes passe par l'attachement de nos cultures dans nos œuvres d'art, en faisant toujours ressortir l'esprit africain.
Ce qui, d'après lui, va permettre d'en faire un pouvoir économique au niveau mondial où le secteur assure un emploi sur six et du moment que le marché africain sera, dans un futur proche, riche de deux milliards de consommateurs.
Toujours dans cette volonté de repositionner l'art africain dans le monde, Noureddine Ayouch pense qu'il faut des communications à l'échelle internationale. « Il faut que les artistes se fassent entendre sinon ce sont des producteurs qui viennent acheter leurs créations à des prix dérisoires pour aller les vendre ailleurs dix fois plus cher ».
Selon lui, « l'Afrique est une véritable galerie à ciel ouvert et il est temps qu'une communication à l'échelle internationale soit réalisée pour les faire connaitre dans le monde ».
Dans cet ordre d'idées, ce spécialiste en communication mise sur les Technologiques de l'information et de la communication (TIC) pour faire connaitre les produits et les artistes à l'échelle continentale et internationale. Une mission dans laquelle M. Ayouch convoque l'engagement de la presse africaine.