Deuxième plus grande ville du Togo, située à 350 kilomètres au nord de Lomé, Sokodé fut l'épicentre, en 2013, de trois flambées de choléra. La même année, la Banque africaine de développement accordait un don de 1,15 million d'euros à la municipalité à travers la Facilité africaine de l'eau, afin de financer le projet « Des toilettes pour tous à Sokodé ». Depuis lors, le choléra ne s'est plus abattu sur Sokodé.
La Banque est le principal bailleur de fonds de ce projet d'un coût total de 1,545 million d'euros, au côté notamment de l'ONG Plan international Togo qui a déboursé 210 000 euros, le reste étant pris en charge par la mairie et les habitants eux-mêmes.
« Une nuit, il était deux heures du matin, je devais me soulager. Mais les latrines publiques étaient loin de chez moi », raconte Zalia Zoukoufoulou, habitante de la ville de Sokodé, où seuls 34 % des ménages disposaient de toilettes à leur domicile en 2013 -avant que le projet ne soit lancé. L'anecdote de Zalia révèle la difficulté que rencontrent nombre d'habitants de la ville à vivre dans des conditions sanitaires et d'hygiène satisfaisantes.
Les quelque 100 500 habitants de cette cité étaient confrontés aux mêmes difficultés qu'entraîne l'absence de latrines et toilettes : manque d'intimité, problèmes d'insécurité - en particulier pour les femmes -, problèmes d'hygiène et de salubrité publique. À Sokodé, seuls 34 % des ménages disposaient de toilettes à leur domicile en 2013, avant que le projet ne soit lancé. Lougma Traoré, un autre habitant, explique qu'il déversait « les excréments de [s]es enfants dans la nature ». La défécation à l'air libre et l'absence de lieux d'aisance dédiés favorisent la propagation de certaines maladies, et non des moindres - diarrhées mortelles notamment, mais aussi choléra.
Mettre un terme aux vidanges anarchiques
Comment gérer ces boues fécales, dites boues de vidanges, sans réseau d'assainissement digne de ce nom ? « Les camions de vidange arrivaient la plupart du temps de Lomé, ce qui rendait le prix du service assez couteux pour les ménages. Nous avions alors recours aux vidanges à la main et les ménages reversaient les boues dans les cours d'eau de la ville ou dans les champs de maraichers », raconte Alassane Tchakpedeou, le maire de la ville. « Notre ville était connue pour être la championne des cas de choléra. Chaque année, quand arrivaient les pluies, Sokodé souffrait du choléra, Sokodé souffrait du péril fécal », déplore-t-il.
Prorogé jusqu'au 30 septembre 2018, le projet « Des toilettes pour tous à Sokodé par la valorisation des boues de vidange et le microcrédit » a permis la construction de 788 latrines au bénéfice des populations de sept quartiers de la ville et des communes voisines que sont Tchamba, Sotouba, Bassar, Bafilo et Blitta. Des Comités d'assainissement de quartier (CAQ) ont été créés pour assurer le suivi des acquis du projet et continuer de sensibiliser les habitants pour les inciter à rejoindre la liste des bénéficiaires du projet et réduire la défécation à l'air libre.
« Avoir ces latrines, aujourd'hui, sauve de nombreuses vies », se réjouit Zalia Zoukoufoulou. À l'instar du reste des habitants de Sokodé, c'est tout son quotidien qui a changé et s'en voit amélioré grâce au projet.
Microcrédit et sensibilisation pour un cercle vertueux
Pour permettre au plus grand nombre d'habitants de se doter de toilettes à domicile, le budget a été soigneusement étudié, afin que les bénéficiaires n'aient qu'un quart du coût à leur charge, et un système de microcrédit mis en place pour les aider à régler leur dû. « La construction d'une latrine revient à 400 000 francs CFA (environ 800 dollars, ndlr) et le projet a pris en charge 300 000 FCFA (600 dollars environ). Le bénéficiaire contribue à hauteur de 100 000 FCFA (près de 200 dollars) », détaille Adiétou Katakpaou, coordinatrice du CAQ. Et d'indiquer : « Nous tenons un registre de remboursement qui se fait de façon progressive. L'argent collecté est mis en banque pour que d'autres bénéficient du projet ». Les CAQ tiennent des livres de comptes, qui recensent et assurent le suivi des remboursements par tranches des bénéficiaires. L'argent ainsi collecté permet de financer la construction de nouvelles latrines.
« Le projet a acquis un camion de transport des boues de vidange pour la ville de Sokodé, précise Tetouehaki Tchonda, coordonnateur du projet. Dans les zones relativement difficiles d'accès en camion, un mini-système mécanique de transport de boues a été acquis : il s'agit d'un tricycle, d'une motopompe avec des fûts de 100 litres pour la collecte des boues ».
Collecte, traitement et valorisation des boues de vidange
Une fois collectées, les boues de vidange de latrines sont transportées à la nouvelle station de traitement - inaugurée à la fin juin 2018 -, qui permet de réduire les risques sanitaires et environnementaux associés aux déchets humains. D'une capacité de 6 400 mètres cubes, la station est équipée de trois lits de séchages simples et d'une aire de séchage des boues raclées. Les bio-solides générés au terme du traitement des boues de vidange sont mis à la disposition des maraichers et agriculteurs. Partant, le projet contribue ainsi à la fertilisation des sols, donc à la sécurité alimentaire.
Autre retombée positive : sept micro-entreprises communautaires de Sokodé - au sein desquelles les femmes représentent plus de 45 % des effectifs - ont bénéficié d'un renforcement des capacités.
Afin de s'assurer que les bénéficiaires s'approprient au mieux le projet et s'y impliquent pleinement, la Banque africaine de développement a procédé à « un long travail de préparation sociale », explique Ousseynou Guene, chargé du projet et expert en assainissement à la Banque africaine de développement. Et d'ajouter : « Nous avons eu une démarche participative avec les différentes structures communautaires ».
« La ville qui était naguère un foyer de propagation du choléra au Togo, est aujourd'hui une référence en matière d'assainissement, se réjouit-il. Elle est l'unique ville du pays à disposer d'une station de traitement des boues de vidange et où des structures communautaires se sont mues en entreprises prestataires de services. »
Depuis le début de ses opérations au Togo, en 1972, le Groupe de la Banque africaine de développement a approuvé 76 opérations au total, pour un montant cumulé de 538,24 millions de dollars.
Au mois d'août 2018, le portefeuille en cours de la Banque au Togo comptait 13 opérations représentant 297,80 millions de dollars d'engagements nets cumulés. Dix de ces opérations sont déployées à l'échelle nationale, totalisant 143,94 millions de dollars d'investissements (32 % de l'enveloppe globale), et trois autres sont multinationales, représentant 153,86 millions de dollars (68 %).
La répartition sectorielle du portefeuille traduit la prédominance des infrastructures de transport (75,55 %), suivies de la gouvernance économique et financière (13,88 %), puis du secteur social (8,77 %). L'agriculture, l'eau et l'assainissement, l'énergie et le secteur financier comptent pour environ 0,6 % chacun.
Des toilettes pour tous : une promesse ratifiée il y a dix ans
En février 2008, la déclaration d'Ethekwini était signée en Afrique du Sud. Dans celle-ci, 32 gouvernements africains reconnaissent l'importance de l'assainissement et s'engagent à y consacrer 0,5 % de leur PIB national. Dix ans plus tard, le compte n'y est pas. Force est de constater que cet engagement est resté un vœu pieu. Pourtant, le rapport 2014 conjoint de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'Unicef invitait déjà à l'urgence. En effet, les statistiques révélaient que près de la moitié de la population en Afrique n'avait pas accès à des toilettes. En 2012, ils étaient notamment 39 millions de personnes à être contraints à la défécation à l'air libre au Nigeria (contre 23 millions en 1990), 34 millions en Éthiopie, 17 millions au Soudan, et 10 millions au Mozambique. Toutefois, certains pays ont accompli des efforts considérables. C'est le cas de l'Éthiopie, qui, misant sur une collaboration entre les ministères chargés de l'Assainissement, du Cadre de vie, de l'Habitat et de la Société civile, est passée d'un taux de défécation à l'air libre de 92 % en 1990 à 37 % en 2012. Quant au Rwanda, la fourniture de l'eau potable à une grande partie de la population (85 %) et un assainissement assuré pour 65 % des foyers ont permis au pays d'atteindre le plus bas taux de défécation à l'air libre en Afrique subsaharienne - 2,99 % -, selon l'OMS et l'Unicef. Le manque d'accès à l'assainissement expose de nombreux pays africains aux maladies dites hydriques. L'hépatite, la polio, la dysenterie ou encore la diarrhée et le choléra sont la cause, chaque année, de la mort de 760 000 enfants de moins de cinq ans dans le monde, révèle l'OMS.