Comment les jeunes Africains s'engagent-ils dans les processus électoraux ? Leçons du Nigeria et du Sénégal

Osiwa
Jeune votant.
23 Avril 2019
analyse

Les mois de février et mars 2019 ont été à la fois intéressants et légèrement turbulents pour l'Afrique de l'Ouest, avec des élections présidentielles au Nigeria et au Sénégal. Les deux pays ont une importance et une portée stratégiques pour la sous-région, le Nigéria étant le moteur économique du continent et le Sénégal l'une de ses démocraties les plus stables. Pour les observateurs avertis, la situation était plus ou moins la même avec une préparation et une gestion défaillantes de la part des organes de gestion des élections ; des candidats politiques expérimentés s'adonnant encore et toujours à des promesses électoralistes similaires ; un engagement international des partenaires traditionnels de l'Union européenne (UE) et d'Amérique du Nord et un nombre important de salles de veille électorale et un engagement ciblé de la société civile dans un contexte électoral complexe et fluide  à la fois.

Cependant, pour les rares personnes qui découvraient cette nouvelle approche et qui l'ont adoptée avec une vision nouvelle et, oserais-je le dire, une perspective plus audacieuse, il y avait peu ou pas de chances de faire bouger les choses et encore moins de remettre en cause le statu quo.

Cet article vise à mettre en lumière la façon dont les jeunes Africains s'engagent dans les processus électoraux. En outre, nous voudrions attirer l'attention sur le fait que la situation est différente et peut-être plus nuancée que nous ne le pensons, ce qui soulève des questions pour nos démocraties en gestation. Il s'agit là d'une grille d'analyse utile car la population de l'Afrique est jeune ; 60 % de la population totale du continent étant âgée de moins de 25 ans. En Afrique de l'Ouest, d'après les données fournies par la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), ce chiffre devrait continuer à augmenter jusqu'en 2035.

Les jeunes se sont civiquement engagés et leur représentativité importante

Au Nigéria, la moitié des électeurs inscrits était âgée de 18 à 35 ans, mais les principaux candidats à la présidence avaient plus de 70 ans. Les jeunes qui représentaient 51 % des électeurs inscrits dans le pays ont exprimé leur profonde déception face aux choix qui s'offraient à eux. "Tout jeune qui était à la recherche d'une alternative - c'est-à-dire quelqu'un qui, contrairement aux deux principaux candidats, n'est pas un musulman du Nord bien connu, d'un certain âge et de l'ethnie Peul - était déçu". Au Sénégal, 70% de la population votante a moins de 40 ans, la moyenne d'âge étant de 19 ans. La déception a été la même qu'au Sénégal, avec Ousmane Sonko, 44 ans, qui a disputé la présidence avec quatre autres candidats sexagénaires ou presque. La dynamique des âges est extrêmement importante pour une région composée à majorité de jeunes électeurs ; l'âge moyen des candidats à l'élection présidentielle n'était pas représentatif de la jeunesse de sa population qui a quand même participé au processus.

Au Sénégal, Sonko a été porté par un vote majoritairement jeune et a obtenu 15% des suffrages exprimés, se positionnant ainsi comme une figure incontournable de la scène politique sénégalaise. Au Nigeria, YIAGA a réussi à mobiliser un grand nombre de personnes pour s'engager dans le processus, réussissant à faire modifier la loi pour permettre aux jeunes d'accéder aux sphères politiques. Conséquence : Au total, 1 515 jeunes candidats, représentant 23 % de l'ensemble des candidats, se sont présentés aux législatives, 10 soit 14% des candidats à la Présidentielle sont âgés entre 35 et 40 ans, 11 soit 15% des partis politiques ont présenté des candidats âgés entre 35 et 40 ans à la Vice-présidence et enfin, le taux de jeunes ayant candidaté à la Chambre des représentants a enregistré une nette augmentation, passant de 18% en 2015, à 27,4% en 2019.

Cependant, les jeunes Nigérians se sont retrouvés à devoir choisir entre des politiciens d'expérience lors de l'élection présidentielle. Ces chiffres indiquent que les jeunes Africains sont plus nuancés dans leur prise de décision que nous ne le croyons. Nous devrions peut-être reconsidérer le mythe de la jeunesse apathique. Si nous disons que les jeunes sont apathiques, posons-nous les bonnes questions ? Les candidats les plus âgés et les plus expérimentés inspirent-ils les jeunes électeurs ? Leurs promesses électorales trouvent-elles un écho auprès des jeunes électeurs majoritaires ?

Les médias sociaux et autres plates-formes sur Internet sont de puissants leviers.

Au Nigeria et au Sénégal, Facebook, Twitter, WhatsApp et diverses applications mobiles ont été largement utilisés pour partager des informations, améliorant davantage l'engagement et la participation dans ce processus. Étant donné la nature hautement participative de ces plates-formes, elles ont été utilisées par divers groupes pour faire campagne, mobiliser les électeurs, faire participer différents segments de la société aux débats électoraux et élargir la portée de l'engagement civique, des initiatives d'éducation électorale et du suivi citoyen/indépendant des élections. Au Nigeria, CWCD Africa a lancé l'application mobile Zabe comme outil civique visant à renforcer la participation démocratique. "Zabe.ng est une application d'observation électorale qui fournit une méthode rapide et efficace de collecte des résultats. On s'attend à ce que les observateurs citoyens fournissent à l'application des informations crédibles sur les incidents, les événements et les résultats collectés au cours du processus électoral[1]..." Grâce à cette application, 10 000 observateurs électoraux citoyens ont été déployés dans tout le pays. L'équipe Zabe, indique qu'environ 87 % des utilisateurs étaient des jeunes. Au Sénégal, la plate-forme SénégalVote a également déployé de jeunes observateurs indépendants pour diffuser des informations en temps réel et a été régulièrement citée et saluée par les jeunes utilisateurs sur Twitter. Quel est l'impact de ces outils sur l'engagement des jeunes dans les processus électoraux ? Étant donné leur grande portée, ces plates-formes sont-elles réglementées pour protéger contre les discours haineux et les fausses nouvelles ?

Les femmes (jeunes et autres) restent invisibles dans le leadership politique.

Au Nigéria et au Sénégal, des femmes de tous âges étaient présentes dans les débats en ligne, les bureaux de vote et les salles de crise, représentant leurs partis politiques respectifs. Elles semblaient jouer un rôle de soutien - administrer, coordonner et mobiliser les autres pour un engagement efficace dans le processus électoral. Ces chiffres n'ont toutefois pas été reflétés dans les candidatures. Au Nigeria, selon la CENI, 47,4% des électeurs inscrits étaient des femmes, et " le nombre de jeunes candidates aux élections générales de 2015 était inférieur à 20%, [et] c'est encore moins élevé aux élections générales de 2019 ". Au Sénégal, les femmes représentent 43% de l'assemblée nationale et le pays se vante d'avoir des femmes politiques de premier plan, mais aucune n'a été candidate aux élections présidentielles.  Pourquoi n'y avait-il pas de candidates à la présidence ? Pourquoi les femmes sont-elles encore invisibles dans les espaces de prise de décision ?

Il apparait que les politiciens aguerris comptent peut-être sur les jeunes candidats pour mobiliser leurs pairs, mais ne les respectent pas suffisamment pour les inclure dans la prise de décision, du niveau local au niveau supranational. Les Africains devraient-ils se joindre au reste du monde pour s'interroger sur la puissance et l'utilisation des outils Internet afin de garantir des réponses adaptées et constructives. En définitive, nos sociétés patriarcales et le manque de transparence en politique semblent être les principaux défis de nos processus électoraux. Les partenaires techniques et financiers pourraient peut-être mobiliser des ressources pour s'attaquer à ces problèmes, en plus des initiatives standard de renforcement des capacités des jeunes et des femmes et d'engagement civique.

Cette réflexion n'apporte certainement pas toutes les réponses. Toutefois lorsque nous réfléchirons ensemble, nous pouvons commencer à nous interroger sur les bonnes questions. En fin de compte, c'est ce qui doit se passer si nous voulons préserver les acquis de nos démocraties naissantes - l'avenir de ce continent essentiellement jeune l'exige.

[1] http://saharareporters.com/2019/02/14/zabe-app-hits-3000-downloads-nigerians-gear-elections

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