La RDC-Afrique Business Forum 2021 qui s’est tenue les 24 et 25 novembre à Kinshasa, a vécu. Le processus de fabrication d’une industrie régionale de batteries électriques à partir de la République Démocratique du Congo (Rdc) est lancé. Des accords fermes d’engagement sont signés et une feuille de route est dégagée pour capter des parts importants d’un marché mondial de 261 mille milliards de dollars en pleine croissance et susceptible de faire un glissement vers l’industrie des voitures électriques. En marge de ces deux jours riches en échanges, la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Secrétaire Exécutive de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), Mme Vera Songwé, dans cet entretien exclusif accordé à AllAfrica à Kinshasa, est revenue sur le sens d’une telle initiative et son importance dans un contexte de transformation de l’économie africaine.
Quel est le challenge ou l’opportunité de faire une chaine de valeur sur l’industrie régionale des batteries électriques à partir de la RD Congo ?
D’abord, c’est une bonne chose pour la RDC qui détient 70% des réserves de cobalt dans le monde. Elle a aussi d’autres minerais dont nous avons besoin pour la fabrication des batteries. Durant cette rencontre, nous avons eu avec nous le Gabon qui a du manganèse et dans un bref délai nous aimerions aussi enrôler l’Afrique du Sud avec un peu plus de platine et de lithium.
Ce que nous sommes en train de faire c’est la ZLECAf en marche. C’est de dire comment nous pouvons ajouter de la valeur à travers nos minerais. Il s’agit de pouvoir produire de la matière pour ajouter de la valeur. Ce qui va nous donner une production d’un bien avec beaucoup plus de valeur ajoutée au lieu de se limiter à l’exportation de nos minerais.
Aujourd’hui, le Gabon exporte des cailloux. La RDC fait pareil ainsi que l’Afrique du Sud. Maintenant, si nous pouvons mettre ensemble tous ces minerais pour produire des batteries, nous allons avoir une valeur ajoutée certaine. Le marché du cobalt aujourd’hui dans son état pur c’est 11 milliards de dollars. Le marché du processus de fabrication de batteries électriques après transformation c’est 261 mille milliards de dollars. Donc vous voyez la différence. A Kinshasa, on a aussi parlé des voitures électriques. La demande dans le monde c’est à peu près cinq millions de voitures électriques qui existent.
D’ici dix à vingt-ans, on sera à 60 millions de demande de voitures électriques. Donc, vous voyez que le marché existe pour la production de batteries. Ce que nous avons voulu faire à Kinshasa c’est de dire pourquoi nous ne transformons pas ce rêve que nous avons toujours évoqué sur les atouts qu’a la RDC.
Aujourd’hui, nous voulons concrétiser ces atouts en disant qu’on va transformer le cobalt. On va avoir des investisseurs avec nous dont Afreximbank, la Banque Arabe pour le Développement Économique de l’Afrique (BADEA), l’Africa Finance Corporation (AFC). Les acheteurs aussi sont là dont le président de Bosh.
Qu’est-ce qu’il faut faire pour que ce Forum de Kinshasa ne soit pas une rencontre de plus. Les dés sont jetés et maintenant il faut aller vers quoi ?
Maintenant, il faut aller vers la mise en œuvre. Premièrement, on a enregistré la signature d’engagements à Kinshasa. Deuxièmement, on est en train de travailler sur les lois cadres avec le gouvernement, la GECAMINE, pour donner un accès aux mines. Ce qui va passer à l’étape la plus importante qu’est l’investissement.
Nous avons fait des études qui montrent que la RDC est plus compétitive que les quatre premiers pays producteurs de batteries que sont les Etats-Unis, la Pologne, la Chine. Investir dans la production de batterie à la RDC est trois fois moins cher qu’aux Etats-Unis, par exemple.
On est en train de voir entre AFREXIMBANK, l’AVZ, l’AFC et la BADEA comment structurer l’investissement ? Qui va être « The anchor investor » (L'investisseur de référence,) C’est-à-dire celui qui va investir plus pour pouvoir attirer les autres. Nous pensons qu’avec les quatre structures que nous avions ici, nous en trouverons, avec les Fonds arabes aussi.
Le troisième point concerne la technologie. En Afrique, on n’a pas cette technologie de production de batterie donc nous avons besoin de la préparer. On a eu les détenteurs de technologies avec nous à Kinshasa. D’ici la semaine prochaine, nous travaillons à avoir un accord-cadre avec ceux qui détiennent la technologie pour qu’ils puissent nous dire ce dont ils ont besoin pour pouvoir venir en RDC et faire le transfert de technologie.
Après, il faudra obtenir un terrain, préparer un contrat pour le foncier avec tout l’investissement que ceci va engendrer. On a déjà parlé avec son excellence le président Félix Tshisekedi qui a passé au moins quatre heures de temps avec nous à l’ouverture du Forum. Ça c’est l’engagement primaire dont nous avons besoin. Il y a quelques règlements que la RDC doit changer pour améliorer son climat des affaires. Nous espérons que cela puisse être fait le plus rapidement pour que les investisseurs puissent venir.
Nous n’avons pas attendu en nous posant des questions sur l’attractivité ou pas du cadre d’investissement de la RDC. Nous pensons qu’en venant, on peut aider à améliorer le cadre en y consacrant des investissements. Nous serons ici en janvier 2022 pour mettre en place une Commission qui va assurer le suivi du travail. Nous avons déjà tracé le processus pour ne pas perdre l’élan développé depuis sept mois. Je pense qu’on a une équipe qui est dévouée. Le ministre de l’industrie de la RDC, son collègue des mines et celui des Finances ont tous été avec nous. Nous pensons que nous avons un engagement fort côté gouvernemental.
Quel est l’impact attendu sur l’économie africaine et les populations du continent ?
La première chose recherchée c’est la création d’emplois pour diminuer le taux de chômage. Si tout cela réussit, la RDC devient un centre de production de batteries avec tout ce qui est technologie, innovation... Le pays deviendra un centre qui va attirer beaucoup d’autres investissements, créer d’avantage d’entreprises mais aussi encourager cette connexion à l’économie nationale. Une usine de production de batterie peut aider à la création de 50 mille emplois.
Des marchés vont naitre face aux besoins d’alimentation des travailleurs, ainsi que leurs équipements. Donc l’économie locale va tout de suite bénéficier de cette implantation. Il sera aussi question de développer toute une industrie de logistique vers l’Angola, la Tanzanie, entre autres pays qui seront impliqués.
Une industrie financière va également se développer parce que toute petite et moyenne entreprise créée autour des mines aura besoin de prêts bancaires.
Il faut aussi noter que les petites et moyennes entreprises qui gravitent souvent autour des mines sont gérées par des femmes. Donc ça va encourager l’autonomisation économique des femmes sans compter celles qui sont embauchées dans les usines de fabrication de batteries.
L’industrie aura besoin également d’une main d’œuvre qualifiée. Ce qui va encourager l’installation d’écoles supérieures de formation professionnelle sur les métiers qui gravitent autour de la fabrication de batteries. Tout ça montre que l’impact attendu sera très large avec le transfert de technologies et de connaissances.
Aujourd’hui, nous parlons de batteries et peut-être d’ici quatre à cinq ans, on aura d’autres industries qui peut-être vont nous conduire vers celles des voitures électriques. Nous avons déjà quelques pays africains qui ont fait des bicyclettes électriques. Peut-être qu’on pourra aussi le dupliquer en RDC de façon moins chère car les batteries seront produites ici.
Si cette initiative lancée parvient à réussir, je suis sûr que le Produit intérieur brut de la RDC qui est à peu près 60 milliards de dollars peut être multiplié parce que rien que le marché des batteries va faire 261 milliards.
Supposons qu’on parvient à faire 10 voire 20% de ce marché cela fera 50 milliards. Ce qui veut dire qu’on aura doublé le PIB de la RDC. En le faisant, on diminue la pauvreté, on augmente la prospérité et la République Démocratique du Congo serait prête pour l’émergence.
Au-delà des batteries électriques, quelles autres chaines de valeur à développer pour mieux asseoir la transformation économique de l’Afrique dans ce contexte de relance?
Il y’en a beaucoup avec évidemment le café qui revient le plus dans les débats. Nous voyons aujourd’hui l’Ethiopie, la Tanzanie, l’Ouganda, le Cameroun qui s’investissent déjà dans la mise en valeur de leur cacao. Nous avons le Ghana et la Côte d’Ivoire sur la filière chocolat.
Nous avons dans toute la bande du Sahel notamment le Cameroun, le Niger, le Mali, le Burkina Faso sur le coton. Il faut voir si nous pouvons avoir une chaine de valeur sur ce produit qui sera transformé. Aujourd’hui, tout ce coton est exporté de manière brute vers la Chine pour y être transformé avant de nous revenir sur le continent.
Je pense qu’il y’a pas mal de chaines de valeur que nous pouvons transformer sur le continent. Nous avons la chance avec les batteries parce que le marché est en train d’émerger avec tout le débat autour du changement climatique. Nous avons donc un créneau à ne pas rater.
Du côté des services, il y a tout un secteur qui offre de la valeur ajoutée avec tout ce qui est informatique, intelligence artificielle… Là aussi, je pense que nous pouvons créer des chaines de valeur qui seront assez intéressantes pour le continent et surtout pour la partie création d’emplois, augmentation de richesses. Nous pensons à l’innovation aussi.
Dans cette même dynamique, il y a aussi la chaine de valeur sanitaire avec l’industrie pharmaceutique à développer.
Quel appel lancez-vous à la population africaine et surtout aux leaders africains dans ce contexte de relance économique ?
Le cri que nous lançons c’est qu’il y a soixante ans nous étions encore dans le combat de la libération politique de nos pays. Aujourd’hui, nous sommes à la porte de la libération économique. Nous pouvons le faire. Nous avons la ZLECAF. Nous avons cette conjonction qui fait que les pays peuvent commercer entre eux pour un commerce intra-africain plus soudé. Je pense aux jeunes qui ont cette ambition de penser au-delà de leur pays et du continent.
Nous avons le financement car on a vu qu’entre la BAD, l’Eximbank, l’AFC, la BADEA et autres que la source africaine existe pour transformer le continent, pour soutenir des idées pas africaines seulement mais mondiales et qui doivent être soutenues. Comme l’a dit le président Tschisekedi, nous ne devons pas avoir honte de ne pas connaitre.
Posons les bonnes questions pour avoir les meilleures réponses. Il faut que l’Afrique montre qu’elle est prête, les financiers du continent aussi et le marché en demande. Nous n’attendons que le leadership de nos dirigeants pour ouvrir les portes comme l’a fait son excellence monsieur le président Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.