Afrique: Viridiana Ponce, retrouver ses origines africaines au Mexique

Comme beaucoup de Mexicains, la jeune femme, artiste et activiste, a longtemps ignoré ses racines africaines. À travers des projets pédagogiques et culturels, elle travaille désormais à reconstruire la mémoire collective oubliée.

Dans les ruelles colorées du quartier de la Huaca en plein cœur de Veracruz, Viridiana Ponce déambule et s'émerveille : " Venir ici permet de remonter le temps ". À l'époque coloniale, les maisons y ont été construites avec le bois récupéré des bateaux qui s'échouaient dans le port de Veracruz en atteignant la Nouvelle-Espagne. Fréquentées au XXe siècle par des musiciens et artistes célèbres, les allées de la Huaca n'attirent plus aujourd'hui que quelques touristes. " Cela paraît ambitieux, mais je veux redonner à la Huaca son identité originelle : celle un quartier noir. " La jeune femme vient de commencer un projet culturel avec les enfants de cette zone populaire. " À travers des ateliers de peintures et d'expressions scéniques, nous abordons les origines du carnaval. "

Tradition incontournable, le carnaval de Veracruz rassemble chaque année plusieurs centaines de milliers de personnes, pourtant ses racines restent largement méconnues par les Mexicains. " Même ici, la plupart des gens ignorent que sa principale influence vient d'Afrique. "

Au Mexique, au moins 250 000 personnes sont arrivées enchaînées depuis le continent africain, principalement entre le XVIe et XVIIe siècle. Les colons espagnols ont pratiqué la traite d'esclaves pour construire les villes et installer la vice-royauté. Au fil des siècles, la présence africaine a perduré et a donné lieu à d'importants métissages, " mais au moment de la Révolution, elle a été occultée pour construire l'identité de la nation mexicaine ", analyse Viridiana. " Tous mes projets tentent de reconstruire cette mémoire historique perdue. "

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Beaucoup de Mexicains ignorent leurs origines africaines

Au quotidien, la jeune femme passionnée par l'histoire se définit comme " une activiste afro-mexicaine ", mais cela n'a pas toujours été le cas : " C'est seulement à 28 ans que j'ai réalisé que j'avais moi aussi des ancêtres africains. " Plusieurs années après, elle ne parvient toujours pas à expliquer cette prise de conscience tardive. " C'est incroyable, car cela se voit sur mon visage, s'étonne-t-elle en montrant ses cheveux coiffés en dreadlocks, aussi loin que je me souvienne, j'ai grandi en souffrant de la discrimination. " Issue d'une famille mixte, Viridiana a vécu le racisme et eu du mal à se construire personnellement : " Avant je supportais mal mon physique, je voulais moi aussi la peau et les yeux clairs ", déplore-t-elle, mais au fur et à mesure de la découverte de ses racines, elle s'affirme et s'épanouit : " Maintenant je me sens pleine d'orgueil, car je suis la petite fille de la famille qui ressemble le plus à notre grand-mère qui est une femme noire. "

Viridiana n'est pas la seule à avoir longtemps ignoré l'origine de sa famille. " Il y a une grande déconnexion des Mexicains avec leur passé ", explique-t-elle. En 2020, un recensement de l'Institut national de statistiques entreprend pour la première fois de compter la population afro-mexicaine. L'enquête révèle qu'un peu plus de 2,5 millions de personnes s'auto-reconnaissent comme " Afro-Mexicains " ou " Afro-descendants ", soit environ 2% de la population. En réalité, l'ascendance africaine serait beaucoup plus importante dans la démographie du pays, certains la considèrent comme l'une des trois racines du peuple mexicain avec l'espagnole et l'indigène, mais consciemment ou non beaucoup de Mexicains méconnaissent leurs origines. " Non seulement la souffrance de nos ancêtres qui sont arrivés ici par la force a presque été oubliée, mais en plus notre identité est forgée de telle manière que l'on ne parvient même plus à voir cette histoire ", conclut l'activiste.

" C'est comme si j'avais mis des lunettes "

Viridiana est née à Veracruz, la plus grande ville du golfe du Mexique fondée en 1519 lors du débarquement d'Hernán Cortés. Elle connaît la cité par cœur, mais depuis la révélation de ses origines, elle lui porte un nouveau regard : " Comme si j'avais mis des lunettes, j'ai enfin vu toutes les traces de nos ancêtres ici et là. "

Justement, en traversant le centre historique, Viridiana s'arrête au milieu d'une allée piétonne, en face d'un bâtiment jaune qui sert de centre culturel. " Maintenant que je sais ce qu'il s'est passé ici, je le partage dès que possible, car presque personne ne connaît l'histoire de cette place. " L'endroit servait de marché aux enchères pour la vente des esclaves qui venaient de débarquer dans le port, raconte la Veracruzana. " C'est ici qu'ils séparaient les familles ".

Au moment de la pandémie, Viridiana a laissé son emploi d'enseignante pour embrasser une nouvelle carrière d'artiste indépendante. " À la fermeture des écoles, j'ai profité de cette liberté forcée pour me lancer, puis je me suis rendue compte que c'est ce que je veux faire au plus profond de moi-même. " La jeune femme mène plusieurs projets : en parallèle de la rédaction d'un conte illustré sur la cité de Veracruz, elle dirige son premier film. " C'est un docu-fiction très lié à mon histoire personnelle ", récit d'une communauté noire vivant de la pêche sur une plage au nord de Veracruz. Le film retrace la lutte des habitants pour défendre leur territoire, entremêlé des souvenirs de Viridiana : " Car j'ai passé mon enfance sur cette plage ", mais aujourd'hui l'endroit " absorbé par la zone portuaire " n'existe plus. C'est désormais le combat quotidien de la jeune artiste : faire parler les voix du passé, retrouver les mémoires et les transmettre : " Pour que l'histoire ne se perde pas ".

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