Cote d'Ivoire: Alain Lobognon (Ex-député-Maire de Fresco) - "Guillaume Soro doit demander pardon au Président Ouattara"

Guillaume Soro
13 Juillet 2022
interview

C'est un homme qui n'est pas avare en paroles ; mais surtout qui ne manie pas la langue de bois. Et il le confirme dans cet entretien exclusif qu'il a bien voulu accorder au Patriote. Pendant une heure d'échanges francs et directs, Alain Lobognon, ex-député maire de Fresco, ancien ministre des Sports et très proche de Guillaume Soro se prononce, sans faux-fuyant, sur la rencontre entre le président de la République, Alassane Ouattara, et ses prédécesseurs Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié ; explique les raisons de la rupture avec Guillaume Soro dont il dévoile les messes basses et les intrigues pour le pourrissement de la situation en Côte d'Ivoire ; et confirme son retour au RHDP. Exclusif !

Le Président Alassane Ouattara reçoit ses prédécesseurs, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, le 14 juillet prochain suite à une recommandation de la phase 5 du dialogue politique. Comment appréhendez-vous cette rencontre ?

Tout d'abord, je vous remercie pour l'opportunité que vous m'offrez de m'adresser aux lecteurs du Patriote. Je sais que cette interview était très attendue. J'ai décidé de rompre le silence. Ensuite, la question que vous me posez fait partie des raisons qui m'amènent à sortir du silence. Pour moi, cette rencontre entre Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo est nécessaire. Elle est très nécessaire parce que la Côte d'Ivoire doit montrer au monde entier un nouveau visage, celui du slogan qui a accompagné le second mandat du président de la République, à savoir " la Côte d'Ivoire rassemblée". Il n'y a pas meilleure image que de voir nos trois aînés, que sont le président de la République actuel et ses deux prédécesseurs s'asseoir autour d'une même table pour évoquer ensemble les obstacles à lever afin de permettre au pays de continuer sa marche vers l'avant. Quoiqu'on dise aujourd'hui, la Côte d'Ivoire est sur une bonne voie. Le pays est sur une très bonne trajectoire. Associer les prédécesseurs à cette belle dynamique, prendre en compte tout ce qui se dit à gauche et à droite, sortir d'une telle réunion avec de fortes résolutions, je pense qu'il n'y a pas meilleur cadeau de vacances pour les Ivoiriens, surtout pour nos jeunes frères, les élèves, que cette rencontre du 14 juillet 2022.

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Selon vous, cette rencontre va-t-elle apaiser davantage la situation socio-politique ?

Je fais partie des personnes qui estiment que la situation est déjà apaisée. Mais, il n'y a aucune rencontre de trop pour renforcer l'apaisement politique en Côte d'Ivoire. C'est une chance. Il faut la saisir. Je souhaite que les gens aient un regard positif sur cette rencontre.

Mais, certains Ivoiriens sont tout de même sceptiques. Ils estiment que la rencontre entre le chef de l'Etat et Laurent Gbagbo n'a pas empêché le président du PPA-CI de décocher des fléchettes à l'endroit de son successeur, lors de prises de parole publiques ?

C'est normal. Moi, j'estime que c'est le jeu politique. Quand vous prenez monsieur Ouattara et monsieur Gbagbo en tant que citoyens, vous notez que l'un a été président du RDR (Rassemblement des Républicains), l'autre a été président du FPI (Front populaire ivoirien). Deux partis politiques qui ont cheminé un moment ensemble et qui se sont opposés après à cause du fauteuil présidentiel. Je ne pense pas que les propos du Président Gbagbo aient été dans le sens de blesser le Président Ouattara. A mon avis, il fait des sorties pour entretenir sa troupe. Il faut entretenir l'opinion, parce que c'est ça aussi le jeu politique. Quand vous ne dites rien, on dit que vous avez cédé. Quand vous dites trop, on dit que vous en faites trop. Ce sont des hommes d'État. Il y en a un qui gère actuellement le pays. L'autre l'a géré juste avant. Ils se comprennent. Comme on le dit, celui qui est au pouvoir gouverne, celui qui est dans l'opposition s'oppose. Prenons cela comme un jeu entre opposant et homme au pouvoir. Regardons les choses avancer.

Pendant que vous saluez cette rencontre, il y a des personnes comme Damana Pickass, secrétaire général du PPA-CI (Parti des peuples africains-Côte d'Ivoire), qui martèlent que le dialogue politique n'a rien apporté au quotidien des Ivoiriens. Qu'en pensez-vous ?

Dans chaque parti politique, vous verrez toujours de meneurs de troupes. Damana Pickass est dans ce rôle à mon avis. N'oublions pas qu'il est secrétaire général du PPA-CI. Il doit à ce titre entretenir sa troupe. Il appartient aux Ivoiriens d'avoir la bonne lecture des propos qui sont tenus. Moi, je ne pense pas que les propos de Damana Pickass puissent empêcher la Côte d'Ivoire d'avancer.

Justement, quelle est la bonne lecture à faire de la situation ?

Le PPA-CI est une nouvelle formation politique qui tente de séduire les Ivoiriens. Des élections sont prévues l'année prochaine et il n'entend certainement pas y aller en comptant seulement sur sa base militante ancienne. Il veut l'élargir d'avantage en convaincant de nouveaux électeurs. Et cela est d'autant plus de bonne guerre que bon nombre d'électeurs de ce parti ont rejoint d'autres formations politiques, notamment le RHDP. Par ce discours quelque peu musclé, Damana Pickass veut charmer les nostalgiques du FPI radical afin de les convaincre de revenir à la maison. C'est un jeu politique. Je pense qu'il ne faut pas accorder trop de crédit à ces propos qui ne sont pas les premiers dans l'histoire de la Côte d'Ivoire.

Monsieur le ministre, on vous a connu très actif sur les réseaux sociaux et incisif sur les sujets d'actualité. Mais, ces derniers mois, les Ivoiriens ont le sentiment que l'ancien ministre des Sports est pour le moins discret. Pourquoi ce silence ?

Non. Je ne suis pas discret. Loin s'en faut. Certes, j'ai été ministre et député. Mais les gens m'ont connu sur les réseaux sociaux avant que je n'occupe ces postes de responsabilité. Je continue encore, assez régulièrement, de me prononcer sur les sujets d'actualité. Seulement, certains me trouvent discret parce qu'ils auraient voulu me voir porter la toge de porte-parole des opposants en Côte d'Ivoire. Je dis non ! Je n'entends nullement jouer ce rôle. Il ne faut pas que les gens comptent sur moi pour porter leurs discours. Vous savez, cela fait maintenant un an que je suis sorti de prison. Si vous vous souvenez, le 9 juillet 2021, j'avais dit que je revenais et que les Ivoiriens allaient découvrir un nouvel Alain Lobognon. Eh bien, ce nouveau Lobognon, c'est celui qui prend à contrepied ceux qui avaient pensé pouvoir le convaincre dès sa sortie de prison de les rejoindre dans l'opposition. L'un des reproches qui m'a été fait par certains de mes camarades, mes amis avec lesquels j'ai commencé au RDR, c'était que tous mes propos étaient repris par l'opposition. Je vais même trahir un secret : le 2 août 2019, à l'occasion de la présentation d'un film produit par Fabrice Sawegnon au Sofitel hôtel Ivoire, j'ai eu des échanges avec l'ancien Premier ministre, mon aîné et regretté Hamed Bakayoko (paix à son âme). Il me disait : " tu sais Alain, dès que tu prends la parole à l'Assemblée nationale, tu dis des choses claires mais on ne te sens pas avec nous. L'opposition saute toujours sur tes prises de position". Alors que, moi, quand je porte un sujet, c'est dans un but précis : celui de voir les choses s'améliorer. J'ai été mal compris. Aujourd'hui, je suis de retour. Je me prononcerai sur la culture, sur le sport et bientôt sur les sujets politiques.

Bientôt, c'est quand exactement ?

Je dirai même que j'y suis déjà dans les sujets politiques. Tenez, je me suis récemment prononcé sur le retour au Burkina Faso du Président Blaise Compaoré. Je sais que certaines personnes n'apprécient pas que je le soutienne. Mais, j'estime que ce monsieur a beaucoup apporté à la Côte d'Ivoire. Il a contribué au retour à la paix dans notre pays. Il fait partie des personnes que je vais toujours soutenir. Pour moi, c'est un modèle.

Il y a des gens qui demandent que Blaise Compaoré soit arrêté et jeté en prison au Burkina Faso. Que leur répondez-vous ?

C'est le même spectacle. La même image que nous avons vue lorsque le Président Gbagbo devait rentrer en Côte d'Ivoire (ndlr, le 17 juin 2021). Nous avons vu certains de nos amis demander qu'il soit menotté et incarcéré à la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan. Il est rentré au pays. Le président de la République l'a reçu. C'est aussi simple que ça ! C'est la même chose au Burkina Faso. Il faut qu'on accepte à un moment donné d'évoluer. Ce qui se passe au Burkina est simple. Il y a eu une crise. Il y a eu surtout ce que j'appelle la journée du pardon du 30 mars 2001 au Burkina-Faso, où le Président Compaoré, au nom de tous les hommes qui sont passés à la tête de l'Etat, a demandé pardon pour tous les manquements, tous les morts, toutes les pertes. Ne soyons pas amnésiques. Quand je vois des intellectuels, ressortissants d'autres pays africains qui connaissent des crises, s'inviter dans le débat de ce pays frère je m'interroge. Dans les pays de ces intellectuels, il y a des morts dans les tiroirs. Ils n'en parlent jamais. Ils s'intéressent à ce qui se passe dans d'autres pays. Je trouve cela paradoxal. Préservons notre sous-région. Le Président Compaoré a su préserver la paix dans la sous-région après le départ des doyens comme Houphouët-Boigny, Gnassingbé Eyadema. Je ne sais pas pourquoi il faut le livrer à la vindicte populaire. Il y a un État qui fait face à une menace sécuritaire terroriste, dont plus de 50% du territoire échappe au contrôle de l'Etat. Les gens demandent le retour d'une personnalité dont l'apport personnel peut contribuer à juguler la crise et booster le processus de réconciliation et il se trouve des personnes pour combattre cela. A ceux qui s'agitent contre Blaise Compaoré, je voudrais leur dire que la priorité, aujourd'hui au Burkina Faso, c'est de faire face à la menace terroriste. Que fait-on de ces milliers de Burkinabè qui sont déplacés internes dans leur propres pays ? Que fait-on de ces gens qui meurent chaque jour ? S'il y a des solutions, allons vers ces solutions. Il faut éviter les faux débats. Pour l'heure, il faut sauver le Burkina-Faso.

Vous avez dit tantôt que les gens verront désormais un nouvel Alain Lobognon. Qu'est-ce que la prison a fondamentalement changé en vous ?

La prison n'a rien changé en moi. Elle m'a permis d'abord de me reposer. Et ce repos, je l'ai mis à profit pour opérer une introspection qui m'a permis comprendre que si tout avait été honnête, s'il n'y avait pas eu des manipulations, des mensonges, jamais je ne serai allé en prison et à deux reprises. En janvier 2019, j'entame une grève de la faim pour réclamer mon procès. En juillet 2020, je récidive. Et pendant que je mène ce combat somme toute noble, que font ceux qui sont censés être proches de moi ? Au lieu d'épouser et de plaider ma cause, ils s'en embarrassent plutôt. Ils sont gênés aux entournures. Ils veulent que je reste en prison. Pour eux, cela participe de la lutte. Comme si ma place était en prison et que d'autres personnes devaient profiter de mon état de prisonnier. J'ai dit non, cela ne marchera pas comme ça. Je n'ai pas demandé à être prisonnier. On ne peut pas manipuler l'opinion pour que j'aille en prison et manœuvrer ensuite pour que j'y sois maintenu le plus longtemps possible. Le temps nous a donné l'occasion de découvrir qu'il y a eu beaucoup de manipulations et de désinformation. Nous avons payé le prix. Nous disons non. Reprenons là où nous étions au commencement, c'est-à-dire contribuons à ce que notre parti politique accède au pouvoir d'Etat. Nous y sommes. Les gens se trompent quand ils disent que je suis un opposant. Je réponds que les gens ne savent pas qui je suis. Je me suis battu. Le temps de l'opposition est passé. Je n'ai plus les 25 ou 30 ans que j'avais à l'époque pour me battre. Et puis, contre qui est-ce que je me bats ? Je reprends ma place dans le jeu politique. On mènera tous les débats. Pourvu que ce soit positif.

Est-ce vos camarades proches de Guillaume Soro qui ne voulaient pas que vous sortiez de prison ?

Je pense qu'ils se connaissent eux-mêmes. Depuis plus d'un an que je suis dehors, chaque jour il y a un scoop et le buzz autour de ma personne. Je ne sais pas pourquoi on peut être animé d'un tel sentiment, celui de voir ses camarades en prison. Ma position était qu'on se batte pour que ceux qui étaient en prison sortent. Vous avez été témoins de mon initiative dès le mois d'avril 2017 de faire rentrer les exilés, de faire sortir ceux qui étaient en prison. Pour moi, c'est le dialogue qui permet de régler tous les problèmes. Ceux qui ne veulent pas du dialogue se connaissent. Chaque jour qui passe, ils invectivent, ils insultent. Ils annoncent des morts. Ils annoncent des tremblements de terre. Ils annoncent l'apocalypse en Côte d'Ivoire. Moi, j'ai pris mes distances avec eux. Et j'avance.

Pourtant, vos anciens camarades qui sont autour de Guillaume Soro vous accusent de les avoir trahis...

Ceux qui disent qu'Alain Lobognon les a trahis feraient mieux de dire aux Ivoiriens quand et à quel moment nous nous sommes assis dans un parti politique pour travailler ensemble. Ils ne vous donneront jamais de réponse, parce que nous n'avons jamais pris d'engagements ensemble qui auraient été trahis. Si quelqu'un peut vous dire aujourd'hui qu'il a été trahi, c'est bien moi. J'ai été trahi. Je promets de consigner tout cela dans un livre de mémoire où les Ivoiriens sauront ce qu'on appelle la trahison.

Dîtes-nous clairement ce qui a causé la rupture entre vous et votre ancien mentor Guillaume Soro ?

Il faut ici et maintenant rectifier que Guillaume Soro n'a jamais été mon mentor.

Mais, vous avez porté âprement son combat ?

Non. Mes mentors sont là où vous savez. Ce sont mes aînés avec lesquels j'ai commencé le RDR, avec lesquels on s'asseyait autour du Président Ouattara et avec qui on débattait des sujets de l'avenir. C'est vrai que j'ai accordé mon amitié et ma fraternité à Guillaume Soro à partir de la crise de septembre 2002. Cette amitié m'a valu des inimitiés au sein du mouvement qu'il dirigeait. La preuve, si on doit résumer, on dira qu'Alain Lobognon est le dernier des mohicans à être parti du cercle de Guillaume Soro. Avant moi, tous ceux qui étaient là sont partis. Personne n'a parlé de trahison. Pourquoi sont-ils partis ? Les gens ne se posent jamais la question. Pour moi, c'est simple. Je ne suis pas venu en politique pour insulter, pour vilipender, pour manquer de respect aux aînés. Je vais trahir un autre secret. J'ai passé un an en isolement, sans voir un médecin lorsque j'étais en prison. Seule mon épouse venait me voir. Le 25 décembre 2020, j'ai été conduit à l'Institut de cardiologie d'Abidjan où j'ai fait un bilan de santé.

Dans les échanges avec l'un des médecins, j'apprenais qu'il y avait une possibilité pour moi de rentrer en contact avec Hamed Bakayoko, Premier ministre. J'échange ce jour-là avec Guillaume Soro et je lui présente la situation. Il me dit : "Alain, c'est une très bonne chose. Je pense que nous devons aller à l'apaisement. S'il t'appelle, essaie de lui demander s'il peut m'appeler pour qu'on aille à l'apaisement ". Le 7 janvier 2021, à la demande d'un ami membre du gouvernement, l'actuel ministre d'Etat, ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara dit " Photocopie ", m'appelle. Il me demande s'il peut envoyer Amadou Coulibaly dit Am's vers moi. Je lui réponds qu'il n'y a pas d'inconvénient à cela. Après notre conversation, j'appelle Guillaume Soro à qui je fais le point. Il me répond que les gens veulent nous libérer et que lui, il a demandé à ses frères de ne jamais sortir de prison. Je tombe des nues. Et je lui demande pourquoi il refuse que ses frères sortent de prison. J'ajoute que c'est à cause de lui qu'ils sont en prison et qu'il devrait se battre pour que ses frères sortent de prison. Je rappelle à Guillaume Soro que ses frères Simon et Rigobert ne sont plus les enfants que leurs parents ont laissés. Ils sont devenus des époux, des pères de famille qui ont besoin de retrouver leurs familles respectives.

A Guillaume Soro, je dis également que je me battrai pour qu'ils sortent de prison. Plus tard, la décision est prise d'aller aux élections législatives de mars 2021. Guillaume Soro m'envoie une note et il me demande de donner mon avis. C'était un projet de déclaration. Je lui réponds que ça ne vaut pas la peine. Il me fait savoir qu'il veut un avis motivé et écrit. Depuis ma cellule de la prison de Grand-Bassam, je réponds à ce projet de déclaration qui était un texte au vitriol. C'était un véritable pamphlet adressé au président de la République, à M. Gbagbo, à M. Bédié, à l'opposition dans son ensemble, aux Ivoiriens. Dans ce texte, les Ivoiriens et l'opposition sont traités de tous les noms. Soro estime qu'il y a eu des morts durant la désobéissance civile et que pour lui, l'opposition ne devait pas enjamber tous ces morts et aller aux élections législatives. Comme il demandait mon avis, Je le lui ai fait connaître.

En résumé, je lui ai dit que ses arguments étaient faux. Parce que, premièrement, il y a eu 3000 morts dans ce pays en 2010-2011, cela ne l'a pas empêché d'accepter le poste de Premier ministre. Et surtout d'aller aux législatives de 2021 pour devenir président de l'Assemblée nationale plus tard. Je lui ai dit que je n'étais pas d'accord avec lui, tout en le conseillant de revoir son argumentation. Je lui également rappelé qu'il avait demandé à l'opposition d'être unie, ce que l'opposition a fait. Je ne comprenais pas pourquoi au moment où l'opposition s'unissait, lui, Soro Guillaume, parlait de trahison. Je lui ai dit que je n'étais pas d'accord avec sa démarche. J'ai la note. Ceux qui ont des doutes, un jour je leur ferai lire les deux notes. Ils comprendront les vraies raisons de ce divorce qui ne dit pas son nom. J'ai répondu en 29 points. Je lui ai dit que s'il publiait la note, c'en était fini politiquement pour lui. Parce qu'à un moment donné, il faut savoir raison garder. Je le lui ai dit. Heureusement, il a suivi ce conseil. Il a renoncé à publier la lettre. Mais, malheureusement, il a refusé d'aller aux élections législatives. Je le dis clairement : Guillaume Soro n'a jamais été trahi.

Quelque temps après, je reçois la visite d'Am's. Avec lui, j'ai eu trois reconcentres, trois échanges. La première rencontre se situait autour du 16 janvier, la seconde autour du 26 février et la dernière le 30 mars 2021. Lors de la première rencontre, c'est moi qui ai mené le débat. J'ai dit : "Am's, moi, je veux vraiment qu'on libère tout le monde. Libérez Simon, libérez Soul To Soul, libérez Sékongo, libérez les femmes, libérez les jeunes qui sont en prison. Libérez ces personnes. Je pense que si vous le faites, vous allez voir que l'atmosphère va se détendre". Ce que je vous dis, je ne l'ai jamais dit à un média. Et c'est là que Am's me répond que l'atmosphère est tendue parce que Guillaume Soro, depuis qu'il a démissionné (de la présidence de l'Assemblée nationale), n'a plus jamais pris le Président au téléphone, il a passé tout son temps à lancer des invectives, des flèches... Je le rassure que je vais militer pour que Guillaume mette un peu d'eau dans son vin.

Quand on finit, je lui fais le compte-rendu fidèle de mon entretien avec Am's. Guillaume Soro dit qu'il a compris. Sans attendre ce qu'il allait faire, quelques jours après, les femmes ont été libérées. Mais, les gens n'en parlent pas. J'ai demandé leur libération et elles ont été libérées. Les autorités n'ont jamais dit : " Non, non elles ne sortent pas de prison parce que d'autres sont en prison ". Elles sont sorties. Je n'ai pas lu un seul communiqué disant qu'on se félicite de l'apaisement. Et Am's, en pleine campagne électorale, est venu me voir pendant que ma candidature avait été validée par la Commission électorale indépendante puis le Conseil constitutionnel. Je lui ai réitéré ce que je lui avais déjà dit : " libérez Soul, libérez Sekongo, libérez Simon, libérez Rigobert ". Et on a échangé. Puis, lors de notre dernière rencontre, le 30 mars 2021, Am's ne manque pas de me dire que je suis en prison à cause de la rigidité de Guillaume Soro qui a coupé tout lien avec le président de la République. Et lorsque Am's part, il appelle mon épouse qui lui dire ceci : "Ton époux-là est comment ? Il n'a jamais posé une seule revendication pour lui. Mais, il demande qu'on libère les autres ".

Quelque temps après, le journal " Générations Nouvelles " ( proche de Guillaume Soro) titre, à sa une, qu'Alain Lobognon dit que tant qu'on ne libère pas les autres, il ne sort pas de prison. Je tombe des nues, car, je ne me rappelle pas avoir reçu une proposition de sortir de prison que j'aurais refusée. Je me rappelle avoir dit à Guillaume Soro que je ne sortirais pas de prison si on me proposait cette possibilité et qu'on décidait de maintenir ses frères. C'est mon épouse qui a réagi, qui a appelé les journalistes pour leur dire : "Arrêtez, depuis quand le gouvernement vous a fait des confidences ". Bref, ce journal était devenu la tribune idéale pour m'attaquer. Je peux vous dire que j'ai fait beaucoup d'efforts pour aider mes amis à sortir de prison si bien qu'après ma rencontre avec Am's, quelques jours plus tard, les jeunes de Korhogo ont été libérés. Je me souviens même avoir pris l'engagement auprès d'Am's d'œuvrer pour que Guillaume Soro et le président de la République se parlent.

Quand j'arrive à la MACA, le soir du 30 mars 2021, j'appelle un intermédiaire et je lui fais cette commission : "Dis à Guillaume Soro d'appeler Ibrahim Ouattara (ndlr, Téné Birahima Ouattara) ". Le lendemain, Guillaume me fait passerce message : "J'ai compris mais je vais réfléchir ". Il me fait encore appeler le lendemain, et me dit qu'il a fait mieux. Au lieu d'appeler Ibrahim Ouattara, il a appelé le président de la République. Et qu'ils ont pris rendez-vous. Pour moi, c'était une mission de bons offices. Mais, curieusement, Guillaume Soro et ses camarades vont donner dans des invectives. Conséquence, le processus de dialogue est interrompu et nous allons à un procès pénal où l'accusé est le seul responsable.

C'est ce qui s'est passé. J'ai eu cette malchance de passer en dernière position. Mais, tous ceux qui sont passés avant moi m'ont accusé d'être le responsable de leur arrestation parce que j'aurais animé une conférence de presse le 23 décembre 2019. Bien entendu, je me suis défendu devant les juges jusqu'à ce que je sois condamné. Quand je sors de prison parce que ma condamnation couvre le temps de détention, je m'engage, par la voix de mon porte-parole, à mettre fin aux désaccords entre le président de la République et Guillaume Soro. Guillaume m'appelle tout heureux, il marque son accord pour cette démarche et propose qu'il qu'on se rencontre en France. Et contre toute attente, après notre communication, je vois qu'on m'insulte quelques heures après. Un collaborateur de Guillaume Soro se fend d'un communiqué arguant que " Lobognon n'a pas eu l'autorisation de Guillaume Soro pour initier un rapprochement (entre lui et le chef de l'Etat) ". J'ai répondu en disant que Guillaume Soro n'a pas à me donner d'autorisation. Il sait qu'il ne m'a jamais donné de consignes. Parce que c'est comme ça qu'on fonctionne lui et moi. Ceux qui m'ont connu savent que je reste toujours indépendant. Et quand je prends une initiative, je vais jusqu'au bout. Je n'ai pas trahi Guillaume Soro, c'est lui qui a trahi. C'est lui qui a trahi beaucoup d'engagements.

Vous êtes quand même allé à Paris. Avez-vous pu rencontrer Guillaume Soro ?

Le 31 juillet 2021, j'arrive à Paris pour rencontrer Guillaume Soro. Je lui envoie des messages pour lui dire que je suis là. Mais, il ne me répond pas. Et le 4 août, il m'envoie un émissaire en la personne de M. Habib Sanogo. Celui-ci me dit que Guillaume n'est pas en France, voire en Europe. Je lui dis tout net : " Arrêtez-moi ce jeu ". Pour moi, c'était effectivement un jeu. J'ai compris que Guillaume Soro ne voulait pas me rencontrer. Pourquoi ? Savait-il certaines choses que j'ignorais ? Peut-être. Ce qui est clair, dans la nuit du 4 au 5 août, j'ai rédigé une note de 10 pages que j'ai envoyée à Guillaume Soro. Certains individus, autour de lui, menacent de publier cette note. Je serai ravi qu'ils le fassent, parce que je me suis engagé, j'ai pris des contacts avec un chef d'Etat que je ne citerai pas. Ils ont tellement insulté les chefs d'Etat en Afrique que quand vous prenez une initiative, ces chefs d'Etat ont peur. Dans cette note, j'ai fait des propositions concrètes et constructives qui permettraient à Guillaume Soro d'être là et peut-être même qu'il aurait pu participer à cette rencontre du 14 juillet 2022. Mais, il a réuni son cabinet, ses communicants pour dire qu'ils ne veulent pas de dialogue. Ils vont faire une résistance.

Vous avez côtoyé l'homme. Qu'est-ce qui explique sa radicalisation ?

J'avoue qu'à ses côtés, il n'y avait pas cette radicalisation. Je vais anticiper sur les questions de vos lecteurs qui peuvent se demander pourquoi " quand il a quitté l'Assemblée nationale tu ne l'as pas retenu ". J'étais en prison quand Guillaume Soro quittait l'Assemblée nationale. Mes positions, il les connaît. Il est quand même un homme d'Etat. Il devrait savoir qu'à un moment donné on doit pouvoir éviter certains extrêmes comme par exemple appeler à des coups d'État, à la mort d'individus, à l'apocalypse en Côte d'Ivoire. J'aurais été à ses côtés, je lui aurais dit non tout en lui demandant de recadrer ses amis. C'est une posture qui lui a probablement été conseillée par ses meilleurs amis.

Pensez-vous qu'il fait totalement fausse route ?

Mais, il a fait fausse route. Je vous ai parlé du cas de nos amis qui sont à Bouaké et qui l'ont lâché. Dans son entourage, j'étais celui qui prenait des initiatives pour lui dire : "Guillaume, règle les problèmes avec celui-là, assieds-toi vous allez parler". Vous avez vu un certain intellectuel qui serait le plus grand philosophe (ndlr, Pr Franklin Nyamsi) ; cet individu a montré que ce qu'il dit c'est ce que Guillaume Soro doit faire. Alors que dans son pays, il y a plein de crises, il n'arrive pas à les résoudre ! C'est en Côte d'Ivoire qu'il a décidé de créer la chienlit. Et tout ce qu'il a dit a été respecté à la lettre. Oui, Guillaume Soro a fait fausse route. Il n'a qu'une seule porte pour sortir de l'abîme.

Laquelle ?

Qu'il fasse amende honorable. Je lui ai dit que le grand Houphouët qui a commis l'erreur d'arrêter ses propres collaborateurs en 63/64 n'a pas manqué le 9 mai 1971, de reconnaître son erreur. Qu'il s'agissait de faux complots et qu'il a été trompé. Il a demandé pardon. Je lui ai montré cette voie. La vie d'un Etat, ce sont de perpétuels recommencements. Ce qui change, ce sont les acteurs, les dates et les lieux. Je le dis aujourd'hui, Guillaume Soro doit demander pardon à la Côte d'Ivoire, aux acteurs politiques mais surtout à son aîné, le président de la République, Alassane Ouattara. Je le dis et j'insiste là-dessus. C'est la seule voie pour lui. Le pardon anoblit. Mais quand on passe son temps à invectiver un aîné, cela n'est pas bon du tout. Car, c'est contraire à nos valeurs. Dans notre société, que vous soyez du sud ou du nord, il y a une règle non écrite qui comprend trois articles. Article premier : l'aîné a raison ; article 2 : l'aîné a toujours raison ; article 3 : même si tu considères que l'aîné n'a pas raison, il faut te référer à l'article premier pour savoir que l'aîiné a raison. Si on fait fi de cette règle non écrite pour penser que si ce n'est pas moi, c'est le chaos, on fait fausse route. Avec ou sans Guillaume Soro, la Côte d'Ivoire continuera d'avancer. D'ailleurs, elle avance déjà très bien.

Mais, Monsieur le ministre, vous avez aussi lancé des flèches à un aîné, notamment Alassane Ouattara ...

J'ai dit et je continue de le dire, sortez-moi une seule flèche que j'ai lancée au président de la République. Vous n'en trouverez pas. Le fait que j'ai dit que je n'apprécie pas que la côtière soit dans cet état piteux, que le Gbôklè qui est ma région soit la plus pauvre de Côte d'Ivoire, peut-être que c'est ça que vous appelez flèche ! Peut-être les flèches, c'est d'avoir dit dans une interview accordée au journal " " Le Temps que si on veut parler du bilan (du président de la République) on peut mieux faire si on veut régler la questions des droits de l'homme, la question de la corruption. Mais ça, c'est le rôle de quelqu'un qui est dans une posture. Et c'était à une époque bien précise.

Aujourd'hui, trouvez-vous que les choses ont changé ?

Aujourd'hui les choses ont changé. Il ne faut pas être de mauvaise foi. On peut dire ce qu'on veut mais je pense que les signaux virent au vert.

Après votre rendez-vous manqué avec Guillaume Soro, quelles sont aujourd'hui vos relations ?

Dans le dernier paragraphe de ma note de 10 pages adressée à Guillaume Soro, je dis en substance que je lui conserve ma fraternité et mon amitié. Et je crois avoir écrit que je mettais fin à notre collaboration. Parce que j'ai estimé que je n'étais pas venu en politique pour manquer de respect aux uns et aux autres, pour insulter. Surtout que quand toi-même tu es l'objet d'injures. Donc, politiquement lui et moi on ne peut plus cheminer ensemble.

Avec le recul, regrettez-vous d'avoir fait chemin avec Guillaume Soro?

Je ne le regrette pas. La vie est ainsi faite. Il y a des rencontres et des séparations.

Comment voyez-vous désormais votre avenir politique ?

J'ai eu tort de penser que ma présence au sein de la rébellion a créé un fossé entre mes amis et moi, notamment ceux avec qui j'ai commencé le parti, je me suis battu. C'est vrai que j'ai eu cette impression. Quand je suis revenu de Bouaké, on ne m'a plus jamais associé à quoique ce soit au niveau du parti. Je l'ai dit à certains aînés.

On faisait plutôt la part belle aux nouveaux venus. Les mêmes reproches qu'on me faisait au sein de la rébellion en me traitant d'être un satellite du RDR, j'ai senti la même chose après la crise. Que ce soit au gouvernement ou au sein du RHDP, je sentais un certain ostracisme. Je dis, j'ai eu tort. J'ai compris que la manipulation et la désinformation étaient passées par-là. Je n'ai pas senti cette solidarité quand il y avait des problèmes. On inventait des problèmes et tout le monde s'y mettait.

C'est vrai qu'une année, j'ai été nommé secrétaire général adjoint chargé de la prospective. J'ai donné une fin de non-recevoir à cette nomination parce que je n'avais pas été associé à quoique ce soit. J'ai eu tort. J'ai compris. Pendant longtemps, on m'a fait passer pour l'extrémiste, le faucon. C'est lui qui ne veut pas qu'on vienne au RDR. On m'a collé cette étiquette. C'est lui qui ne veut pas qu'on vienne au RHDP. Il faut même le neutraliser. C'est pourquoi je me suis demandé si ce n'est pas à la suite de tous ces mensonges que je suis allé en prison pour la première fois.

Finalement, Lobognon a été en prison mais ça n'a pas empêché les gens de ne pas venir au RHDP. Je veux dire que mon nom a servi d'épouvantail à certains pour réaliser leur rêve. Je ne vous cache pas que j'ai renoué avec tous mes anciens camarades du temps du RDR. J'ai rencontré ma mère naturelle, Mme Diabaté, au sein du parti qui n'a pas manqué de me dire de revenir ; j'ai rencontré Gilbert Kafana Koné (président du Directoire du RHD) qui m'a dit de faire table-rase du passé ; je suis en contact régulier avec le ministre d'Etat Téné Birahima Ouattara ; et l'un de mes mentors, le ministre Cissé Bacongo. On se voit tous les jours pour discuter des sujets du pays. Mes amis savent que j'ai repris ma place (au sein du RHDP). Alain Lobognon n'est pas militant du PDCI, ni du PPA-CI encore moins du FPI. Je peux vous dire qu'Alain Lobognon a sa tête au RHDP. Si la tête y est, c'est que les pieds y sont.

A propos, le RHDP poursuit depuis un peu plus de quatre mois sa restructuration. Quel regard portez-vous sur ce processus ?

Je pense que la restructuration était nécessaire. Et l'orientation, qui en a été donnée, est la meilleure. Le ministre Kafana Koné demeure une référence pour nous qui avons fait le RJR. C'est celui-là même qui nous poussait. Aujourd'hui, on note une effervescence autour des candidatures pour diriger les structures locales.

Vous étiez député-maire de Fresco. Envisagez-vous de reconquérir ces deux postes électoraux ?

J'ai toujours été un fils des élections. J'étais en prison, j'ai été candidat. Ce n'est pas maintenant que j'ai la plénitude de ma liberté que je vais y renoncer. Je serai candidat aux municipales (prévues en 2023). Aux régionales, j'ai déjà annoncé que je soutenais l'un des vice-présidents de l'Assemblée nationale et actuel président du conseil, Basile Fregbo. C'est le lieu pour moi de lancer cet appel à tous les cadres de la région. Il faut qu'ils fassent bloc autour de lui. En quelques mois de présidence, il a changé la donne. Je le dis souvent, le Gbôklè c'est la région la plus pauvre de Côte d'Ivoire. Il faut que nous nous donnions la main pour son développement.

Pour finir, Blé Goudé a reçu son passeport. Il devrait rentrer au pays. Quel rôle doit-il jouer une fois en Côte d'Ivoire ?

Blé Goudé est chef d'un parti politique. S'il revient, c'est la première fois qu'on verra Blé Goudé dans le rôle de leader de parti politique. Il avait une étiquette qui n'était pas très bien acceptée ( par l'opinion). On verra ce que le parti politique va donner. Moi je suis favorable au renouvellement de la classe politique. Les anciens sont là, on les regarde. Ce qu'ils auront décidé, on va y aller.

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