Afrique: Armel Roussel et l'art de la mise en voix de "Celle des îles" de Koulsy Lamko

L'œuvre d'un auteur de la diaspora africaine au Mexique entre ce lundi 18 juillet à 11h dans la " Cour d'honneur " des auteurs africains au Festival d'Avignon. Celle des îles, du Tchadien Koulsy Lamko, dirigé par le metteur en scène Armel Roussel, est présenté au Jardin de la rue de Mons sous forme de mise en voix dans la 10e édition de Ça va, ça va le monde !, organisée par RFI. La lecture est également diffusée en direct sur Facebook Live.

Dimanche, 17h, et il fait 37 degrés. Il fait visiblement trop chaud pour les cigales qui ont arrêté de chanter. Mais la répétition pour Celle des îles reprend, et c'est alors la voix sonore de la comédienne Alvie Bitemo qui retentit dans le pittoresque Jardin de la rue de Mons, chantant les paroles de l'écrivain tchadien Koulsy Lamko : " Ho hisse ! Ho hisse / Et vive les flots / Ho hisse ! Ho hisse ! / Et vogue la galère ".

Un auteur et un poète important

" Koulsy Lamko est un auteur tchadien qui a beaucoup voyagé, en Afrique et ailleurs, explique le metteur en scène Armel Roussel qui dirige pour la sixième fois le cycle de lectures Ça va, ça va le monde !.Depuis plusieurs années, il est installé au Mexique. C'est un auteur et un poète important, il fait partie des figures tutélaires des écritures africaines. C'est un auteur qui a une langue extrêmement poétique, tout en inscrivant ses situations dans des enjeux très concrets. "

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Celle des îles se présente comme un drame lyrique en trois mouvements, porté par trois personnages : Celle des îles, une femme originaire d'Haïti ; Le Peintre ; et puis un autre homme, un Nantais, Le Facteur. C'est l'histoire d'une conteuse et chanteuse de cabaret, nommée Célile ou Celle des îles, qui rencontre Le Peintre, fils du propriétaire du restaurant Le petit bateau négrier près du port de Nantes. Le défi de la mise en voix apparaît dès le prélude du texte, quand l'auteur donne des instructions très précises sur l'ambiance de la scène d'ouverture : " Le spectacle s'ouvre sur une ombre qui danse pendant que se disent les Paroles pour tam-tam, groka et konga. Une danse d'abord langoureuse et de plus en plus frénétique. "

" Certains textes se donnent directement "

Combien de fois a-t-il lu l'œuvre pour la mise en voix ? " Je n'ai pas vraiment le nombre, répond Armel Roussel. En fait, chaque texte pose ses propres problématiques. Certains textes se donnent directement, il y a une évidence qui se repère assez vite. Puis, d'autres textes sont plus exigeants, demandent plus de re-travail, plus de relecture. Souvent, je suis en contact avec les autrices et les auteurs au moment où je prépare. Quand j'ai des questions, je m'adresse à elle ou à lui. "

L'auteur tchadien, Koulsy Lamko, n'est pas intervenu dans la mise en voix de sa pièce, pour une raison simple : " Nous n'avons pas du tout eu de contact avec Koulsy Lamko, confie Armel Roussel. Il vit au Mexique et puis voilà. " Mais,qui sait, Koulsy Lamko sera peut-être parmi les spectateurs du Facebook Live prévu pour diffuser la mise en voix de la pièce au-delà du Festival d'Avignon.

" Je suis la pièce "

Au cœur de la pièce se trouvent les fantômes du passé de la mémoire de la Traite négrière. " Au début, nous nous trouvons dans une situation, celle des Îles, assez carrée : une femme qui se nomme Cécilé, celle des Îles, arrive chez un peintre à Nantes en disant : " Bonjour, je suis venue pour l'annonce, pour le travail au restaurant Le petit bateau négrier ". Mais le peintre ne comprend pas qui est cette femme. Une relation se noue entre eux et on découvre qu'il y a un passif dans leur histoire et qu'elle connaissait le père de cet homme. Cela se déroule à Nantes, l'un des grands ports de la Traite négrière en France. Tout le texte fait référence à ces endroits liés à l'esclavage : que ce soit à Gorée ou dans d'autres endroits en Afrique. En cours de route, on découvre que cette femme n'a pas d'âge, qu'elle est morte et ressuscitée. "

La répétition de la pièce est en cours. L'assistante, assise au premier rang, tient un style rouge dans la main et le texte sous les yeux. Il y a une feuille qui s'envole du pupitre, quelques derniers réglages à effectuer, quelques transitions à parfaire entre les comédiens et les musiciens. Dans quels pièges ne faut-il pas tomber quand on met en voix un texte évoquant la mémoire de la Traite ?

Une mise en voix n'est pas une mise en scène

" Moi, je suis la pièce, affirme Armel Roussel. Je me base sur ce qui est écrit par Koulsy Lamko, sur rien d'autre. Faire une mise en voix, ce n'est pas comme une mise en scène. La mise en voix est la mise au service total pour la radio en particulier, la mise au service total du texte et de l'auteur. Et on essaie d'en faire quelque chose de vivant, puisque les écritures sont vivantes. Et nous-mêmes, nous sommes vivants.Le piège sur le sujet serait d'être moralisant, mais Koulsy Lamko ne l'est pas. Il est à un endroit où il travaille beaucoup plus sur les troubles. Ce n'est pas un texte qui donne des leçons. C'est en texte qui travaille en creux. Peut-être il y a des pièges que ne n'ai pas vus et qu'on est tombé dedans. On le découvrira quand on va le présenter [rires]. "

Quel est le défi de la mise en voix d'une pièce qui date de 1998 et dont la discussion autour de son sujet principal, la mémoire de la Traite, a peut-être évolué depuis ? " Je ne sais pas ce qui a évolué ou pas évolué. Peut-être côté " Blancs européens ", le rapport à la culpabilité est moins présent qu'il était autrefois. Le temps fait son œuvre. Après, je me souviens d'avoir visité la Maison des esclaves sur l'île de Gorée, à Dakar, au Sénégal. J'ai pu voir des Américains venir en groupe, descendre des bateaux sous les yeux des Goréens, se conduire encore d'une façon problématique et rentrer dans la Maison des esclaves et de se mettre à pleurer en une seconde pour expurger quelque chose, devant l'œil désespéré des Sénégalais. Ce n'était pas en 1998, mais il y a six mois. Donc, je ne sais pas si les choses ont énormément évolué. "

Travailler la profondeur des mots

À un moment de l'histoire, Celle des îles affirme : " Je suis conteuse. C'est ailleurs qu'il faut chercher à rencontrer mes mots, pas à la surface. " Mais comment un metteur en voix travaille-t-il avec les comédiens sur la profondeur des mots ? " C'est un voyage, nous explique Armel Roussel. En l'occurrence, c'est l'actrice congolaise Alvie Bitemo qui joue Célile. Elle est aussi chanteuse, et elle a énormément de densité. Sur un certain nombre de points, Alvie m'apprend plus de choses que moi je lui apprend à elle. J'accompagne. Diriger les lectures, ce n'est pas prendre la place ni de l'auteur ni même prendre la place des acteurs. Il y a des choses qui sont plus évidentes pour Alvie dans ce qui est écrit que pour moi. La compréhension est liée à nos origines, à nos cultures. Donc, c'est elle qui m'apprend. Mais, c'est finalement une bonne chose, parce que si elle me l'apprend à moi, alors elle peut le faire aussi comprendre à l'auditeur et au spectateur. "

Un auteur tchadien au Mexique

La pièce reflète aussi le cheminement de l'auteur vers l'écriture. Koulsy Lamko est né à Dadoura, au Tchad, en octobre 1959. Le futur auteur de pièces de théâtre, poèmes, nouvelles, contes et scénarios, musicien aussi, a quitté son pays natal en 1983, à l'âge de 24 ans, à cause de la guerre civile. Il choisit le Burkina Faso pour continuer ses études de Lettres et d'Art et participe activement à la révolution de Thomas Sankara. Au pays des hommes intègres, Lamko sera l'un des cofondateurs du Festival international du Théâtre pour le développement. À la fin des années 1990 et jusqu'en 2002, il s'installe au Rwanda, où il dirige le Centre universitaire des Arts et achève un doctorat sur " Les nouvelles esthétiques théâtrales en Afrique noire francophone ". Lamko a vécu son exil dans sept pays, dont la France, où il a étudié les Lettres. À partir de 2003, il enseigne la dramaturgie et l'histoire du théâtre à l'Institut des arts de l'université autonome d'Hidalgo au Mexique où il a fondé une Maison pour des écrivains et artistes africains persécutés. Jusqu'à aujourd'hui, il vit au Mexique pour y promouvoir les cultures africaines.

Ses convictions et ses principes du poète citoyen, qui a le droit et le devoir d'exprimer ses utopies, de restituer la parole des opprimés et être témoin de l'histoire, se retrouvent aussi dans sa pièce Celle des îles. En l'absence de l'auteur, c'est donc sur les épaules d'Armel Roussel que repose la lourde responsabilité de procéder à des coupes de la pièce pour la faire rentrer dans le format radiophonique prévu pour les lectures de Ca va, ça va le monde !. " On s'est rendu compte qu'avec les trois quarts du texte que nous avons fait, on était déjà à une durée conséquente. Donc, comment faire pour garder le travail qu'on a fait et arriver à rentrer dans le format radio ? "

" Ce n'est pas un théâtre de la langue habituelle "

À la répétition générale, le chronomètre à l'œil, Armel Roussel se déplace pour voir les différents angles de sa mise en voix, réajuste un micro, et, ses lunettes sur le nez, suis avec une très grande attention le jeu verbal de ses acteurs. Comment faire naître la langue souvent décrite comme philosophique et poétique de l'auteur sur scène ? " C'est une des grandes difficultés par rapport au texte de Koulsy Lamko. Ce n'est pas un théâtre de la langue habituelle.Les personnages parlent avec un langage qui n'est pas du tout un langage du quotidien. C'est un langage très choisi, avec des mots extrêmement choisis, une donnée très philosophique et poétique. Ainsi il arrive à équilibrer le concret de la situation, le plancher des vaches, et la hauteur de la langue. "

Chez Armel Roussel s'exprime l'intensité du travail intérieur de la mise en voix aussi par des tout petits gestes. Parfois il se passe les doigts sur son crâne rasé, balance légèrement ses pieds d'avant en arrière tout en jouant avec le briquet dans sa main. Mais aussi sur scène, la particularité du travail de la mise en voix n'empêche pas le gestuel et les expressions de visage devant le micro. " Il y a les yeux furieux du Facteur, personnage central, à la fois naïf, vif et furieux. Il y a le regard étonné du Peintre, presque naïf. Et puis, il y a l'intelligence perçante du regard d'Alvie qui joue Cécile. "

Il est 18h, la répétition générale se termine, les cigales ont repris leur concert. Tout est prêt pour la mise en voix en public de Celle des îles de Koulsy Lamko, lundi 18 juillet, à 11h. L'entrée est libre. Et le Facebook live vous attend pour le direct.

Les lectures auront lieu du 15 au 20 juillet à 11h (entrée libre) dans le Jardin de la rue de Mons (Maison Jean Vilar), dans le cadre de la 10e édition de Ça va, ça va le monde ! au Festival d'Avignon 2022. Les lectures seront diffusées aussi en direct par Facebook Live. Les créations seront également diffusées sur les antennes de RFI tous les samedis du 30 juillet au 3 septembre à 17h10 (heure de Paris) et seront disponibles sous forme de podcast sur rfi.fr.

L'édition 2022 de " Ça va, ça va le monde ! "

RFI présente Ça va, ça va le Monde ! en coproduction avec le Festival d'Avignon et la compagnie [e]utopia, avec le soutien de la SACD, Wallonie-Bruxelles International, l'Institut Français, et l'Institut français du Bénin. Ce cycle de six lectures d'œuvres d'auteurs et autrices africains et haïtiens est coordonné par Pascal Paradou et dirigé par le metteur en scène Armel Roussel.

15 juillet : Opéra Poussière de Jean D'Amérique (Haïti)

Lauréat du " Prix Théâtre RFI " (2021)

Oubliée de l'Histoire, Sanité Belair revient sur terre. Lieutenante de l'armée révolutionnaire haïtienne, résistante anticolonialiste, exécutée en 1802, à l'âge de 21 ans, par les soldats français, elle va se battre de nouveau pour réparer la mémoire et trouver sa place aux côtés des " pères de la Patrie ".

16 juillet : Course aux noces de Nathalie Hounvo Yekpe (Bénin)

Sur une proposition des Francophonies - Des écritures à la scène

Trois femmes et les " on-dit ". L'une est célibataire, l'autre est mariée par intérêt et la troisième de force. Un drame qui raconte la difficile lutte des femmes africaines pour choisir leur vie et faire face à la pression sociale et familiale.

17 juillet : Terre Ceinte de Mohamed Mbougar Sarr (Sénégal)

Adapté et mis en lecture par Aristide Tarnagda, et co-produit par La Charge du Rhinocéros

Écrit en 2015 par celui qui deviendra le premier écrivain d'Afrique subsaharienne à obtenir le prix Goncourt, ce roman explore la violence du terrorisme et ses conséquences sur une ville qui entre en résistance.

18 juillet : Celle des îles de Koulsy Lamko (Tchad)

À Nantes, l'Haïtienne Celile ou Celle des îles, conteuse et chanteuse de cabaret passe un casting pour égayer les soirées du restaurant " Le petit bateau négrier ". Femme ou esprit, elle réveille les mémoires détruites de l'esclavage.

19 juillet : Procès aux mémoires de Laura Sheïlla Inangoma (Burundi)

Sur proposition des Récréâtrales

Un procès. Trois femmes sont accusées d'assassinat et de sorcellerie. Mais les cadavres sont introuvables. Et les réseaux sociaux s'en mêlent. Une narration contemporaine sur la mémoire du sacré, la place du spirituel et les enjeux de la modernité.

20 juillet : Fantôme de Dieudonné Niangouna (République du Congo)

Mis en lecture par Catherine Boskowitz

Une famille confrontée à l'histoire et à la mémoire, celle d'un père tué au Cameroun par un rhinocéros blanc ? Trois frères et sœurs, accompagnés de leur neveu se retrouvent pour vendre la maison familiale, mais tout bascule quand surgit un vieillard qui ressemble étrangement au père décédé.

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