Le 16 août 2012, la police avait ouvert le feu sur des mineurs de la mine de platine de Lonmin qui manifestaient depuis plusieurs jours pour demander une hausse de salaire. Trente-quatre d'entre eux ont été tués, et le drame, inédit dans l'Afrique du Sud post-apartheid, a profondément choqué le pays. La blessure a du mal à se refermer, et le pays hésite sur la façon dont le drame doit être commémoré.
Meshack Mavuso joue le rôle de " l'homme à la couverture verte ". De son vrai nom Mgcineni Noki, cet homme était devenu l'un des leaders du groupe de manifestants. Pour l'acteur, l'une des vocations de la comédie musicale relancé par le State Theatre de Pretoria est de rendre hommage à toutes ces victimes.
" Avant de monter sur scène, on prie, on allume de l'encens, et on appelle les disparus, pour leur dire qu'on est là, aujourd'hui, pour les représenter, pour raconter aux gens ce pour quoi ils se sont battus ", raconte-t-il au micro de RFI.
Afin d'écrire cette œuvre, Aubrey Sekhabi, qui en est aussi le metteur en scène, s'est appuyé sur un livre écrit par plusieurs journalistes. Et le choix du format s'est fait naturellement, alors que d'autres comédies musicales comme "Sarafina ! " racontent déjà l'histoire douloureuse du pays
" Vous savez, ils entonnaient tous beaucoup de chants ", se souvient Aubrey. " Lorsqu'il y a des manifestations, en Afrique du Sud, on chante, lorsqu'on est heureux, on chante, lorsqu'on est en deuil, on chante. Donc, nous racontons notre histoire, sous une forme que l'on connait très bien, à savoir la musique. "
À la sortie, le public est conquis : " La façon dont l'histoire est racontée est très puissante. C'est une histoire importante à transmettre aux générations à venir, pour que l'on se souvienne pourquoi il est important de se battre pour ses convictions et pour ceux qui sont maltraités et victimes d'injustices ", affirme Ntsiki, une spectatrice. La comédie musicale doit se jouer jusqu'à la fin du mois.
Raconter le massacre de Marikana
Mais pour Luke Sinwell, professeur de sociologie à l'Université de Johannesburg, il y a un problème dans la manière dont Marikana est parfois présenté et commémoré. Malgré l'établissement d'une commission d'enquête, qui a rendu son rapport en 2015, personne n'a, jusqu'à présent, été condamné pour sa responsabilité dans ce drame, même si le rapport avait fait porter une large responsabilité aux forces de l'ordre. Depuis, le souvenir de Marikana plane sur le gouvernement de l'ANC, et du président Cyril Ramaphosa, qui était à l'époque membre du conseil d'administration du groupe minier.
Pour le chercheur, il ne faut pas occulter la façon dont les choses se sont déroulées en présentant le drame comme un accident. " Le plus important, c'est comment on se souvient de Marikana. Le gouvernement de l'ANC, tout comme l'industrie minière, présentent les morts de Marikana comme une tragédie, alors que nous considérons que c'était un massacre, et un meurtre prémédité, avec pour but de freiner le pouvoir de la classe ouvrière, qui a émergé au cours de ces grèves dans la zone de la ceinture du platine " explique l'auteur de The Spirit of Marikana : The Rise of Insurgent Trade Unionism in South Africa, qui raconte l'histoire du mouvement de colère des mineurs.
" Il y a eu une réaction en chaîne qui s'est mise en place, et le gouvernement de l'ANC et Lonmin ont travaillé ensemble pour établir un plan afin de mettre fin à la grève. Donc, on ne peut pas présenter ces décès comme une tragédie, comme quelque chose dont on est tous responsables, comme le fait entre autres la comédie musicale Marikana. En présentant les faits comme cela, cela empêche de cerner qui est vraiment responsable ", souligne Luke Sinwell.