Sénégal: [Feuilles d'hivernage] Au cœur de la crise sénégalo-mauritanienne de 1989 - Diawara, un village toujours marqué

Elle a trainé la triste réputation d’avoir été le lieu de départ du conflit entre le Sénégal et la Mauritanie de 1989. Mais, Diawara tente aujourd’hui tant bien que mal de se départir de son lourd passé.
24 Août 2022

Le conflit sénégalo-mauritanien éclate en avril 1989 à Diawara. Trente-trois ans après, notre reporter est reparti dans ce village du département de Bakel marqué à jamais par cet évènement douloureux.

Nous sommes en plein hivernage au cœur du Gadiaga. Bakel et ses environs rayonnent d'une belle verdure qui fait le bonheur de jeunes garçons suant dans les champs de mil et maïs. En cette période, l'eau n'est plus une denrée rare. Elle est accessible et visible. Des mares se constituent un peu partout. D'un ciel nuageux, l'air frais balayant poussière, feuilles d'arbres et objets légers, de jeunes adolescentes sont aux anges. Torses nus, dévoilant des seins juvéniles, elles y plongent, pleines d'insouciance, toutes trempées. On est entre Bakel et Diawara, sur la route de Bondji, une route bien goudronnée, comme on en voit rarement dans cette partie du pays. Quelques minutes de course à moto suffisent pour mettre les pieds à Diawara.

D'un bon matin, le village est vivant et vibrant. L'activité commerciale bat son plein. Camions et charrettes chargent et déchargent des provisions. Devant la boutique d'un maure, les résultats des élections locales animent les débats, en ce lendemain du scrutin. Qui a la majorité parlementaire ? Qui ne l'a pas ? C'est selon l'obédience politique. Ainsi on prend le risque d'orienter le débat afin de réveiller les souvenirs du conflit sénégalo-mauritanien. " Il faut aller voir le chef de village d'abord ", conseille gentiment un vieil homme assis sur une chaise à l'ombre d'un arbre. Ses consignes suivies à la lettre nous conduisent à la demeure du vieux Demba Ndiaye Sakho.

Ce dernier presque centenaire n'est pas en mesure de tenir une telle conversation. Sa famille décide ainsi de solliciter l'un des témoins de l'histoire, Samba Niouma Sakho. En boubou traditionnel, il a des souvenirs encore frais. " Nous sommes vendredi. Et ce sera bientôt l'heure de la prière. Revenez lundi ", propose-t-il. Lundi, à l'heure du rendez-vous, il mobilise des camarades notables du village, sous l'arbre à palabre. Les visages marqués, ils sont déterminés à réécrire une histoire, tache noire des relations entre deux pays frontaliers.

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C'était un vendredi, troisième jour du mois de Ramadan

Au moment de retracer l'histoire, Samba Niouma Sakho est envahi par l'émotion. La mine devient triste, les yeux, larmoyants. Et il se souvient de cette crise comme si c'était hier. " Nos parents pratiquaient l'agriculture sur l'île. Et les éleveurs mauritaniens y venaient pour faire brouter l'herbe morte à leur bétail. Un jour, ils ont voulu entrer par la force alors que nous agriculteurs n'avions pas fini les récoltes. Tout est parti de cette histoire. C'était un vendredi, troisième jour du mois de Ramadan. Quand le fleuve se retirait, les paysans y cultivaient pendant la période de décrue. Les Mauritaniens pensaient que cette île leur appartenait, et les Sénégalais également, car les habitants de Diawara et Moudéry l'ont toujours exploité.

Avec cet incident, ces cultivateurs sénégalais ont saisi les moutons et les ont gardés, exigeant une réparation en contrepartie de la libération des bêtes ", explique M. Sakho. À l'en croire, s'en est suivie une bagarre, puis l'arrivée des renforts mauritaniens qui ont tendu une embuscade à des habitants de Diawara. " Nos parents qui y étaient, ignoraient l'arrivée des renforts avec des fusils. Quand ils ont ouvert le feu, ils ont tué deux personnes dont mon grand-père. Onze personnes ont été capturées ", raconte Samba Niouma Sakho, encore frustré.

Au rapatriement des corps des défunts, Diawara se déchaîne. Comme le sang de leurs fils a coulé, se venger était devenu un devoir. Au nom de l'honneur. " Quand les populations ont vu les cadavres, elles ont tous afflué vers l'île. C'était la bataille rangée. Nous avons combattu avant d'être rapatrié par les gendarmes ", dit l'autre témoin de cette histoire Balla Sakho. Ensuite le phénomène s'est propagé dans tout le département de Bakel. " Dans les villages de l'île, l'information s'est propagée. Les habitants ont commencé à saccager les commerces des Mauritaniens, à les violenter, à les battre. Et ça a fait le tour du pays. " C'est le ministre de l'Intérieur de l'époque, André Sonko qui s'est déplacé pour que les fils de Diawara soient libérés ", dit-il.

" Dundo Xore ", l'île des convoitises

Le Dunde Xore (la grande île en Soninké) est séparé de la rive sénégalaise par une bande d'eau étroite selon Samba Niouma Sakho. Elle est profonde et ne s'assèche jamais. Alors que de la rive mauritanienne, dit-il, elle est plus éloignée, mais les eaux sont très basses durant la saison sèche. Au bord du fleuve, de jeunes dames lavent le linge et la vaisselle, les pieds sur un sol écartelé. " En mars ou avril, les récoltes finissent mais les paysans n'abandonnent pas complètement les champs. Du côté de la Mauritanie, au mois d'avril le pâturage est épuisé, le bétail n'a plus rien à brouter. Alors qu'au niveau du fleuve, les eaux sont basses et la traversée devient facile pour les Peuls de la Mauritanie et leur bétail. C'est la conjugaison de tous ces facteurs qui font qu'à la même période, les Peuls de la Mauritanie qui craignaient pour la vie de leur bétail se retrouvent sur l'île dans les champs des Soninkés du Sénégal qui voulaient tout exploiter sans rien laisser ", rappelle M. Sakho.

Aujourd'hui, cette bande de terre est inoccupée. À l'en croire, depuis cette crise, les cultivateurs de Diawaranko ne peuvent plus y aller pour cultiver. " Comme on y cultivait plus, les gens y allaient chercher du bois mort. A cause des effets environnements l'aire d'élevage est passé de l'autre côté ".

Ici, on pardonne mais on n'oublie pas

1989-2022, il y a 33 ans éclatait le conflit entre le Sénégal et la Mauritanie. Une page sombre des relations entre les deux pays. Après plus de trois décennies, les populations de Diawara ont pardonné mais n'ont pas oublié. Elles déplorent la perte de leurs fils mais aussi la " guerre froide " qui sévit actuellement. " C'est mieux qu'en 1989. C'est ce que nous pouvons dire ", lâche Ibrahima Diao, le visage serein. Au milieu de ses camarades, notables de Diawara, Samba Niouma Sakho dresse un tableau sombre des relations entre les populations riveraines des deux pays.

Il en veut pour preuve les difficultés des populations de Diawara à se déplacer en Mauritanie. " Les relations sont tendues. Nous subissons toutes les peines du monde pour voyager en Mauritanie. On nous rançonne, on nous emmerde, on nous persécute ", déplore le vieux Sakho. Même aller présenter des condoléances est un parcours du combattant pour les habitants de Diawara. " Pour aller présenter des condoléances à des parents vivant à Guidimakha, nous sommes obligés de débourser 3000 FCfa, tout en subissant des tracasseries ", dit-t-il.

Selon lui, une réunion entre les notables des villages sénégalais et mauritaniens et les gendarmeries ont tenu une réunion, il y a deux semaines pour pacifier les relations. " Mais ça reste toujours tendu ", ajoute-t-il. Le jeune Ousseynou embouche la même trompette. Pour lui, les Sénégalais ne sont pas bien traités en Mauritanie depuis cette crise. " Pour traverser et venir à Diawara, ils ne déboursent que 200 francs. On les voit tous les jours se pavaner avec leurs marchandises. Et on n'ose pas le faire chez eux. On n'y pense même pas ", insiste Ousseynou.

Au marché, le commerce bat son plein. De jeunes charretiers distribuent les marchandises dans les différents dépôts. Sidi Moustapha vend des denrées alimentaires depuis 2003. 33 ans après la crise entre les deux pays, il nourrit encore des regrets. Mais également des inquiétudes. " Ça va mieux mais il y a toujours des événements ou des comportements qui nous rappellent cette terrible crise. Et c'est à déplorer ", souligne-t-il. Son parent et proche Abdourahmane va dans le même. " Il y a moins de tension. Mais ça ne veut pas dire que les gens ont tout oublié. Mais nous faisons tout pour faciliter les relations ", estime-t-il.

Un fauché, victime de la crise

Abdoulaye Camara est né et habite à Bakel. La crise entre la Mauritanie et le Sénégal l'a fauché en 1989. Après avoir reçu une balle à la cuisse, il finit par perdre sa menuiserie, son matériel, son véhicule et son argent. Aujourd'hui, pour se relever, il est à la fois agriculteur et menuisier. Et il s'en sort difficilement.

La crise entre la Mauritanie et le Sénégal a changé des vies. Celle d'Abdoulaye Camara a viré au drame, un soir de l'année 1989. Assis sur une chaise, dans une maison à Bakel, il peine à sourire même pour cacher son chagrin. Ce regrettable épisode de sa vie le traumatise encore. " La crise m'a trouvé en Mauritanie. J'étais en pleine possession de mes moyens physiques. J'étais un grand garçon ", dit-il, les yeux rougis, mains posées sur les cuisses. Ayant appris la menuiserie au Sénégal, il part en Mauritanie en 1986 pour monnayer ses talents. Ainsi, il installe un atelier de menuiserie et acquiert au fur et à mesure du matériel. La chance commence à lui sourire. Abdoulaye Camara commence à gagner des marchés et à créer des emplois.

" Je m'en sortais si bien. Je gagnais des marchés à coups de millions. Je créais des emplois ", se rappelle-t-il, d'un air désemparé. Cette belle vie ne dura pas longtemps, puisque tous ses biens partirent en l'air malgré les alertes d'un de ses amis, déterminé à le sauver. " Un après-midi, un ami est venu me demander de fuir puisque les Sénégalais étaient traqués ", explique-t-il, les yeux embués de larmes. Hélas, il n'aura pas le temps de fuir. Descendant de son immeuble, il est touché par une balle à la cuisse. Il reste cloué au sol, criant de douleur. Heureusement pour lui, les secours arrivèrent et l'évacuent d'urgence à l'Hopital Principal de Dakar où il est interné plusieurs jours. " J'ai survécu par miracle. La crise m'a fait perdre mon véhicule, tout mon matériel ", regrette-t-il.

De nanti, Abdoulaye Camara est obligé de repartir à zéro. Il se relève difficilement. " À mon retour, j'ai galéré. Je peinais à joindre les deux bouts. Il m'arrivait de rester des jours sans aucun franc. La crise m'a ruiné ", se plaint Abdoulaye Camara. Après mûres réflexions, il décide de retourner à la terre à travers l'agriculture. La première somme récoltée est utilisée pour l'achat de matériels. Et petit à petit, il refait sa vie. " J'ai du matériel mais je dois acquérir d'autres machines en fonction de l'avancée technologique ", dit-il. Aujourd'hui, il est à la fois agriculteur et menuisier pour nourrir sa famille. " Je vais le matin au champ. Et l'après-midi je vais à la menuiserie ", lâche-t-il. Abdoulaye Camara, c'est une vie fauchée par la crise entre la Mauritanie et le Sénégal.

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