Ile Maurice: Méthadone - Un trafic qui gagne du terrain

La méthadone, un médicament utilisé pour réhabiliter les toxicomanes.

Récemment, un garçonnet de quatre ans est décédé après avoir ingurgité la dose de méthadone de son grand-père. En principe, ce produit doit être ingéré au centre de distribution. Or, certains patients le ramènent pour usage ultérieur ou revente. Y aurait-il un trafic du médicament ? Des travailleurs sociaux évoquent l'ampleur du phénomène alors que le système de prise en charge des consommateurs est sur le point d'être revu. Tour d'horizon.

Le 14 octobre, Eliakim Fanfan, quatre ans, décède d'une overdose de méthadone, avalée par accident la veille. La substance appartenait à son grand-père, 59 ans. Le lendemain, ce dernier est arrêté pour homicide involontaire. Si l'enquête détermine qu'il est sous un traitement à la méthadone, d'autres accusations suivront. Mais d'emblée, les autorités et les travailleurs sociaux affirment que le patient n'est pas censé ramener le produit à son domicile mais l'ingérer aussitôt au centre de distribution.

Hélas, au lieu de le consommer, des toxicomanes, inscrits au programme de méthadone, l'utilisent à d'autres fins, notamment sa revente. Ce trafic prend-il de l'ampleur ? "Dans tous les points de distribution de la méthadone, il y a des transactions d'achat et de vente. Étant sur le terrain, j'avais accompagné des journalistes d'investigation français sur ces lieux, il y a trois ans. Je peux vous dire que 50 % de la distribution de cette substance finissent en trafic", soutient Ally Lazer, travailleur social. Quel en est le prix sur le marché ? Il évoque un tarif de Rs 200 pour une fiole d'environ 50 ml.

6 500 patients mauriciens sont sous méthadone, importée de l'inde. Sa distribution est contrôlée par des policiers de 6 à 8 heures tous les matins.

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À Maurice, poursuit-il, la remise de la méthadone s'apparente à l'achat d'un verre d'Alouda au marché. "C'est comme si vous pouviez dire au vendeur que vous allez l'emporter pour consommation ultérieure à la maison. Or, cela n'est pas autorisé. Il faut ingérer la méthadone sur place." Percy Yip Tong, membre fondateur du Collectif Urgence Toxida (CUT), concède l'existence certaine d'un trafic de méthadone mais trouve difficile d'en évaluer l'étendue. Ne pensant pas qu'il y ait une norme précise, il indique qu'il y aura toujours des gens qui essaieront de se faire de l'argent dessus. "Pour le trafic en soi, cela peut aussi exister du côté du distributeur ou du patient qui en garde un peu pour le revendre", déclare-t-il.

D'où vient la méthadone ? Elle est importée de l'Inde, répond le Dr Anil Jhugroo, du ministère de la Santé. Il indique que 6 500 patients mauriciens sont sous méthadone. Sa distribution est contrôlée par des policiers de 6 à 8 heures tous les matins. Comment donc éviter le trafic ? Nos interlocuteurs s'accordent pour l'institution d'une unité dédiée à sa distribution. À Londres, mentionne Ally Lazer, des cliniques spécialisées et structurées sont destinées aux héroïnomanes et ce produit n'est pas recommandé aux jeunes. "Je ne compte plus le nombre de parents qui viennent me voir pour aider leurs enfants. Ce n'est ni pour l'héroïne, ni pour la drogue synthétique mais ils sont devenus accro à la méthadone." De plus, insiste-t-il, la distribution aux postes de police n'est pas adaptée. "C'est difficile de contrôler 300 patients à la fois. Une unité spécifique avec des médecins, infirmiers, psychologues, travailleurs sociaux doit être mise sur pied. Pa kapav donn metadonn koumadir pe distribie Alouda. Akoz sa mem ena trafik.".

Percy Yip Tong évoque le modèle polonais que les responsables de CUT ont visité pour la mise en œuvre du programme de méthadone avec le ministère de la Santé. "La distribution se faisait à l'hôpital, dans un lieu tranquille où l'on peut échanger et prendre un thé. C'est là où l'accompagnement psychosocial est essentiel. À Maurice, au départ, la distribution se faisait à la pharmacie et les toxicomanes se retrouvaient dans la même file que des patients venus récupérer du panadol", confie-t-il. Ce qui a engendré des problèmes à l'hôpital, d'où la migration du système à la police. Hélas, ce changement pousse plusieurs toxicomanes à décrocher du programme. La drogue est un problème de santé et non de criminalité, martèle-t-il. La réussite du programme repose beaucoup sur l'approche psychosociale.

D'après le Dr Jhugroo, il faut renforcer les effectifs dans les postes de police chargés de la distribution de méthadone pour plus de sécurité et de supervision. Au niveau des patients, il faut déterminer la motivation au traitement. "Est-ce pour revendre le produit uniquement ? N'importe où il y a de l'argent en jeu, les gens peuvent emprunter cette voie", affirme-t-il. Quid de la réussite du programme ? Se basant sur des chiffres préliminaires, le médecin évoque un retention rate de plus de 90 %, c'est-à-dire qu'après une année, des patients sous ce traitement y adhèrent toujours. Le succès est similaire tant chez les hommes que chez les femmes, quoique des patients masculins soient plus nombreux à y adhérer, conclut-il.

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