Tchad: Des ONG veulent saisir la justice internationale

Des manifestants brûlent des pneus usagés dans un quartier de la capitale, N'Djamena.
25 Octobre 2022

Face aux accusations de torture et d'exactions contre des manifestants arrêtés, des ONG entendent saisir la justice internationale.

Des écoles transformées en prison où des manifestants sont torturés, les témoignages abondent et sont accablants pour les forces de l'ordre tchadiennes. Sur nos antennes, des habitants de N'Djamena ont témoigné sur ces atteintes aux droits de l'Homme.

Des exactions que dénonce Dobian Assingar, délégué permanent de la Fédération internationale des droits de l'Homme auprès de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC).

Pour lui, rien ne saurait justifier un tel acharnement contre des populations civiles.

"Chaque jour, nous recevons des informations de parents ou de victimes qui viennent nous voir pour parler de tortures. Les écoles sont devenues des prisons à ciel ouvert. Chaque matin, on voit des ambulances enlever des corps et les amener à la morgue. Chaque jour, nous voyons des personnes couvertes de sang qui nous disent qu'elles ont été battues par les forces de l'ordre. C'est une situation intenable. Je ne sais pas ce qui peut justifier un tel déchainement des forces de l'ordre contre des citoyens ", estime Dobian Assingar.

"On les a entassés comme des animaux et torturés"

La militante des droits de l'Homme, Delphine Djiraibé, dit également avoir recueilli plusieurs témoignages sur ces crimes.

"On a eu des témoignages sur des cas de tortures, des personnes qui ont été arrêtées et gardées dans une école publique dans le quartier Abena. On a eu des témoignages de personnes qui ont entendu ces jeunes crier parce qu'on les a entassés comme des animaux et torturés jusqu'à ce que mort s'en suive. Ils ont pris des dispositions pour que personne ne les regarde mais dans des situations pareilles, Dieu fait qu'il y a toujours des témoins. Ce sont des violations graves des droits de l'Homme, des crimes contre l'humanité. "

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L'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) accuse également le pouvoir de graves violations des droits humains.

"J'ai parlé aujourd'hui même à un membre de la famille d'un garçon de 15 ans qui a été arrêté le 20. La famille a pu lui rendre visite le 20 et le 21. Mais elle n'a plus pu le voir car le poste de police où il était détenu a clairement dit qu'il n'était plus là. Il a été transféré dans un autre endroit. Et depuis lors, la famille n'a aucune idée de l'endroit où se trouve l'enfant", explique Isidore Ngueuleu, conseiller principal pour l'Afrique à l'OMCT.

La faute à l'opposition

Des accusations que refuse de commenter Jean Bernard Padaré, conseiller à la présidence de la République. Pour lui, l'opposition est responsable de la situation qui prévaut dans le pays.

" Le Tchad a été victime d'une tentative de déstabilisation des institutions de la République à travers une insurrection. Ce qui s'est passé est de la responsabilité exclusive des auteurs de cette tentative de déstabilisation. Des informations judiciaires ont été ouvertes et nous faisons confiance aux institutions de la République ", dit Jean Bernard Padaré.

Plusieurs corps, peut-être ceux de manifestants arrêtés, auraient été également repêchés dans le fleuve Chari à N'Djamena.

"Il faut que cette barbarie cesse"

Face donc aux exactions imputées aux forces de l'ordre, les défenseurs des droits humains entendent saisir les juridictions internationales, y compris la Cour pénale internationale, estime Dobian Assingar.

" Notre rôle c'est de documenter toutes les violations graves des droits de l'Homme dans le pays. Nous allons faire le monitoring et les utiliser quelque part. il faut que les auteurs répondent de leurs actes. Nous irons devant les juridictions internationales. Il faut que cette barbarie dans le pays s'arrête" explique-t-il.

L'Organisation mondiale contre la torture (OMCT,) basée à Genève, a indiqué pour sa part, dans un communiqué, avoir saisi quatre rapporteurs spéciaux des Nations unies, dont le défenseur des droits humains et ceux en charge des exécutions sommaires et la torture, pour demander d'urgence des enquêtes indépendantes et impartiales afin que les auteurs soient identifiés, jugés et sanctionnés. L'OMCT évoque au moins 80 morts dans les manifestations de jeudi dernier.

De leur côté, les leaders religieux appellent à l'apaisement alors que la propagation des messages de haine font par ailleurs redouter que la crise politique se transforme en un conflit religieux, opposant musulmans et chrétiens.

"Non" aux messages de haine

Dans un communiqué de presse, les leaders des trois confessions religieuses, le Conseil supérieur des affaires islamiques du Tchad, la Conférence des Evêques du Tchad et l'Entente des églises et missions évangéliques au Tchad, ont dénoncé la circulation des messages de haines sur les réseaux sociaux.

Des appels qui risquent de transformer la tension politique actuelle en un conflit opposant musulmans et chrétiens. Les leaders religieux appellent donc à éviter tout amalgame et accusent les hommes politiques de chercher à manipuler les jeunes.

"Il faut revenir au bon sens tout simplement. Les politiciens sont des gens qui instrumentalisent certaines situations en leur faveur. Les Tchadiens ne doivent pas se laisser prendre au piège dans ce cas. Il faut vraiment abandonner la haine et se tourner vers Dieu qui est le Dieu d'amour" explique à la DW le pasteur Keleypette Donon.

Un avis que partage l'imam Cheick Abdeldaime qui appelle les Tchadiens à cultiver la paix. "Nous voulons la paix, nous voulons la réconciliation et la cohésion sociale. Et tous les Tchadiens savent que le Tchad a vécu plus de 60 ans de guerres et de problèmes. Et c'est maintenant que la porte est ouverte pour la réconciliation à travers le dialogue national. Et c'est par le dialogue que nous pouvons résoudre nos problèmes et non avec des manifestations douloureuses" assure-t-il.

Beral Mbaikoubo est conseiller national de la République et il estime lui que les revendications des manifestants sont dans l'intérêt de toutes les communautés, qu'elles soient chrétiennes ou musulmanes. Le glissement sur un terrain religieux serait donc "de la malhonnêteté intellectuelle".

Selon lui "la violence politique et la discrimination sont des réalités vécues par l'ensemble du peuple tchadien". Il précise par ailleurs que "la misère frappe à tous les niveaux dans ce pays et sans être pétris de mauvaise foi et de malhonnêteté intellectuelle, on ne peut pas faire ce raccourci dangereux qui consiste à voir en ces événements une opposition musulmans-chrétiens, nord-sud ou encore quelque communautarisme".

Au Tchad, la religion a souvent été utilisée par les responsables politiques pour diviser. Les Tchadiens se souviennent encore de la guerre civile de 1979 ayant opposé chrétiens et musulmans et qui a coûté la vie à plus de 4.000 Tchadiens.

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