Tunisie: Lutte contre la corruption - Quelle voie et quelles priorités ?

Les plaidoiries finales dans l’affaire Nabil Barakati, confiée par l’Instance vérité et dignité à la justice tunisienne, sont prévues le 27 janvier, une première devant ces chambres pénales spécialisées.
21 Novembre 2022
analyse

On ne cesse de parler de lutte contre la corruption, mais on ne voit rien venir. Tout au plus, nous gratifie-t-on de temps à autre d'informations "fracassantes" sur la falsification de documents administratifs ou de l'arrestation d'un petit chef de service dans une administration régionale. Certes, c'est de la corruption contre laquelle il faut mener un combat sans répit. C'est dans la logique des choses. Mais n'y a-t-il pas plus important et plus grave ? Ne peut-on pas procéder méthodiquement et par ordre de priorité ?

Dernièrement, il a été question de la découverte de faux documents dans de nombreux établissements publics et qu'une quinzaine d'affaires liées à ce trafic auraient été soumises à la justice. D'autres affaires du même genre avaient déjà été signalées. Elles concernent, également, des administrations publiques ou des agents de ces administrations.

Pour le simple observateur, il ne s'agirait que de questions de routine. Il n'y a pas de quoi en faire une si grande publicité ou tout ce tapage médiatique. Évitons, autant que faire se peut, de chercher à amuser la galerie par des informations sur la fermeture d'un commerce pour hausse des prix ou d'une amende pour non-présentation de factures, etc. La vraie corruption n'est pas là !

Aller plus vite

Tout le monde conviendrait qu'il s'agit bel et bien de corruption grave qui mérite les sanctions énoncées par toutes les lois en vigueur chez nous. Seulement, il faut convenir, aussi, que le Tunisien attend beaucoup plus de la lutte contre la corruption. Il attend, justement, que ce travail parvienne à toucher les gros "poissons" sans que cela se fasse au détriment des droits des suspects et sans acharnement. Tout dossier de corruption doit être bien ficelé, ne laissant aucune faille dont pourraient profiter les mis en cause. C'est ainsi que le citoyen tunisien préfère que se déroule ce combat. La priorité est à accorder à cette corruption qui mine l'économie de façon directe et délibérée.

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Depuis près d'une décennie, on n'a cessé d'évoquer ce qu'on appelle la "justice transitionnelle" sans, pour autant, avancer ne serait-ce que d'un pouce. La mise en place d'une instance dite pompeusement de vérité et de dignité ou de l'Instance de lutte contre la corruption n'a fait que disperser les efforts, brouiller les pistes et compliquer la tâche devant la réalisation de cette justice. Des combines politiques et des arrangements douteux entre des parties influentes au sein des divers gouvernements passés ont pratiquement faussé le jeu et permis aux suspects de respirer, de se réorganiser et, même, de contre-attaquer.

Chaque jour qui passe donne plus de chance à ceux qui ont été à l'origine de la situation économique déplorable dans laquelle se trouve notre pays.

Aussi faut-il aller plus vite et de façon plus déterminée pour dévoiler tous ceux qui ont commis des forfaits ou qui continuent, encore, de causer de lourds préjudices au pays par un travail de sape.

Actes de diversion

Désormais, la priorité doit être accordée aux affaires qui représentent un vrai danger économique pour le pays. Car tout passe par cette voie. En sabotant les capacités et les ressources du pays, ces criminels cherchent à bloquer tout effort de développement. C'est ainsi que tous ces mouvements de blocage et des arrêts de la production (phosphate dans le bassin minier de Gafsa, papier dans l'usine de transformation de l'alfa à Kasserine... ), les obstructions devant des projets d'adduction d'eau, de construction de routes, de voies ferrées, de branchements aux réseaux électriques, l'orchestration parfaite de dizaines de pénuries de produits de première nécessité ainsi que d'autres innombrables forfaits sont autant d'actes de diversion pour occuper l'opinion publique et la remonter contre les autorités.

Ce scénario est bien rôdé et a fonctionné, déjà, en Tunisie à partir de la fin de 2010. Il a eu des effets néfastes en Syrie et en Libye. On a voulu l'essayer, récemment, avec l'Algérie par le biais de mouvements de protestation qui ont fait chou blanc. On voit ce même scénario de manipulation de la rue en Iran.

Ces tentatives de diversion sont, en réalité, des tentatives de déstabilisation de pays sous le couvert de défense des libertés. Des agents locaux sont à la solde de services secrets étrangers qui pullulent, aujourd'hui, partout dans les pays qui ne montrent pas leur docilité ou qui ne veulent pas obéir aux "maîtres" du monde.

D'une pierre deux coups: ces pays dominateurs s'assurent l'allégeance d'agents locaux et ces derniers, à leur tour, laissent libre cours aux corrompus.

S'attaquer aux gros bonnets

Comme notre pays n'a guère l'embarras du choix, il doit faire preuve de la plus grande prudence en s'attaquant aux vrais dossiers de la corruption. La lutte doit être sans quartier avec toutes les garanties juridiques qui s'imposent. Ces menus fretins qu'on nous présente, aujourd'hui, ne font que diminuer la crédibilité dans la lutte contre les divers fléaux auxquels le pays fait face. En allant, directement, au fond des choses, les autorités redonneront confiance au peuple. L'accumulation de "petits" dossiers devant la justice ne fera qu'encombrer les bureaux des juges et retarder le travail essentiel qui doit être dirigé, d'abord, contre les gros bonnets de la contrebande et de la spéculation. Car les agissements de cette nouvelle race de gens nous rappellent l'Italie des années 60-70 avec le règne sans partage de la Piovra (la Mafia). En effet, beaucoup de pratiques chez nous s'apparentent aux pratiques de la Mafia italienne de ces années-là.

N'encombrons, donc, pas nos magistrats et nos juges de ces petits dossiers (mais non moins graves) pour leur laisser le champ libre afin qu'ils s'occupent des affaires hautement plus urgentes et dont les conséquences désastreuses sur l'économie ne sont pas à démontrer.

Par ailleurs, l'adhésion du corps de la justice (juges, avocats, associations de lutte pour les droits, etc.) pour faire front uni contre cet hydre insatiable est requise.

En outre, il serait préférable, pour les autorités, de disposer de suffisamment de preuves avant de déférer qui que ce soit devant la justice. Cela se ferait de façon professionnelle et dans la discrétion loin de l'exploitation politicienne.

Pour sa part, le journalisme d'investigation (qui en est à ses débuts) peut jouer un rôle déterminant dans ce volet loin de la recherche du sensationnel.

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