Afrique: Transition au Tchad - Apaiser les tensions en ligne

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L'utilisation croissante des réseaux sociaux au Tchad pourrait faciliter la transition politique, mais elle risque également d'attiser la violence. Avec le soutien des bailleurs, les autorités, la société civile, les plateformes en ligne et les influenceurs et influenceuses devraient s'assurer que les réseaux sociaux restent un espace de débat démocratique plutôt qu'un accélérateur de conflits.

Que se passe-t-il ? Après des années de blocage gouvernemental, les réseaux sociaux ont gagné en liberté et en influence dans la politique tchadienne, en particulier depuis la mort du président Idriss Déby en avril 2021 et le début de la transition. Ils ont démocratisé la participation au débat public, mais également alimenté les tensions sociopolitiques.

En quoi est-ce significatif ? La transition tchadienne est entrée dans une phase délicate. La répression gouvernementale a tué, en octobre, plusieurs dizaines de personnes, laissant une onde de choc dans la société. A l'approche des élections de 2024, les réseaux sociaux peuvent fournir un cadre plus ouvert au débat, mais ils risquent aussi de nourir divisions et violences.

Comment agir ? Le gouvernement devrait permettre aux réseaux sociaux de rester libres et ouverts et les plateformes devraient mieux contrôler et modérer les contenus. Soutenue par les bailleurs, la société civile devrait former les influenceurs et influenceuses à écarter discours haineux, provocation et circulation de fausses nouvelles. Les bailleurs devraient soutenir les médias locaux, professionnels et indépendants.

I. Synthèse

Le Tchad est en plein tumulte politique. Après avoir suscité l'espoir qu'il allait mettre fin aux pratiques autoritaires charactéristiques du régime de son père pendant 30 ans, le président de la transition, Mahamat Déby, a renforcé son contrôle du pouvoir. La répression brutale des manifestations du 20 octobre a refroidi les attentes. Alors que le Chad se prépare aux élections de 2024, les réseaux sociaux vont très certainement jouer un rôle important. Avec l'allègement des restrictions ces dernières années, les plateformes en ligne pourraient contribuer à faire tomber les barrières qui freinent la participation à la vie politique. Néanmoins, les réseaux sociaux reflètent aussi les divisions sociopolitiques du pays et pourraient alimenter les griefs et la violence. Dans cette période de transition, les autorités tchadiennes devraient maintenir un Internet libre et ouvert ; les bailleurs devraient aider à la formation des influenceurs et influenceuses afin de limiter la désinformation, les discours haineux et toutes formes de provocation en ligne, et soutenir les médias professionnels et indépendants ; les plateformes de réseaux sociaux devraient mieux modérer les contenus ; et les influenceurs et influenceuses devraient promouvoir les bonnes pratiques.

Après des débuts prometteurs, la transition politique au Tchad a pris un tournant préoccupant. Au lendemain de la mort de son père au cours de combats avec des rebelles en avril 2021, le général Mahamat Déby a pris le pouvoir à la tête d'un Conseil militaire de transition et engagé le pays sur la voie de ce qui était supposé être une période de dix-huit mois, avant la mise en place d'un gouvernement civil. Dans un premier temps, la situation permettait d'espérer que le pays allait réussir à s'acheminer sans trop de heurts vers une gouvernance plus inclusive et démocratique. Les négociations engagées entre la junte au pouvoir et les opposants historiques ont permis le retour au pays, après des années d'exil, de plusieurs activistes et chefs de groupes armés. Toutefois, lorsque le gouvernement de transition a lancé, le 20 août 2022, un dialogue national attendu de longue date, les principaux groupes rebelles, partis d'opposition et organisations de la société civile ont refusé de participer, frustrés, entre autres, par la réticence des militaires à s'engager à rendre le pouvoir aux civils.

Les tensions ont atteint leur paroxysme au moment de la clôture du dialogue national, début octobre. Ce dialogue s'est en effet conclu par l'extension de la transition (qui devait se terminer à la fin de ce mois-là) pour deux ans supplémentaires et par la déclaration d'éligibilité des membres de la junte, dont Mahamat Déby, aux prochaines élections nationales, prévues pour 2024. Le dialogue s'est également achevé avec la dissolution du Conseil militaire de transition et la nomination de Déby en tant que président du régime de transition.

Le 20 octobre, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester, ce qui a donné lieu à une brutale répression.

Ces décisions ont provoqué la colère de nombreux Tchadiens, qui y voient une prise de pouvoir par le fils de l'ancien président et s'opposent à ce qui pourrait devenir, selon eux, une succession dynastique. Le 20 octobre, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester, ce qui a donné lieu à une brutale répression. Assimilant cette manifestation à une insurrection armée, les autorités l'ont réprimée dans le sang (les chiffres officiels font état d'un minimum de 50 morts, d'environ 300 blessés et d'au moins 600 arrestations) et ont également privé d'Internet les bastions de l'opposition dans la capitale N'Djamena. La peur et la méfiance qui ont résulté de ces évènements risquent de peser lourd sur la prochaine phase de la transition.

Dans cette période toujours plus crispée que traversent les élites politiques et la population tchadiennes, les voix qui s'expriment sur les réseaux sociaux du pays pourraient jouer un rôle grandissant, tant en bien que, potentiellement, en mal. L'analyse de ces médias de février à juin 2022 montre qu'ils ont eu des effets très bénéfiques mais qu'ils présentent des risques significatifs. Les plateformes en ligne encouragent effectivement les citoyens à participer à la vie politique et leur fournissent un cadre de discussion qui leur permet d'encourager le transfert du pouvoir aux civils à travers l'organisation de nouvelles élections. Cependant, comme l'a relevé Crisis Group, les publications postées sur Internet ont également servi à proférer des menaces directes, amplifier les divisions ethniques et nourrir l'agitation sociale, souvent en mettant en avant des informations volontairement mensongères, une pratique relevant de la désinformation.

Les réseaux sociaux étant encore récents au Tchad, leurs utilisateurs les plus influents peuvent jouer un rôle constructif dans le developement de ces outils. Les acteurs nationaux et internationaux devraient travailler conjointement afin de promouvoir une meilleure compréhension, auprès des voix tchadiennes qui se font le plus entendre sur Internet, des bonnes pratiques en matière de communication politique et, en particulier, des précautions à prendre pour réduire le risque d'attiser la violence.

Ils devraient, grâce à des programmes de formation, encourager les influenceurs et influenceuses qui sont prêts à écouter à utiliser leur position pour empêcher la diffusion d'informations mensongères, de propos haineux et d'incitations à la violence en ligne. Le gouvernement de transition devrait s'abstenir de couper l'accès à Internet, tout en faisant en sorte que les institutions chargées de la sécurité numérique deviennent indépendantes et se concentrent sur la promotion des bonnes pratiques. Les plateformes de médias sociaux devraient continuer à améliorer leur capacité de vérification des informations ainsi que les algorithmes qui réduisent la visibilité des publications contenant des propos clivants.

Enfin, en plus d'apporter leur soutien aux influenceurs et influenceuses, qui jouent un rôle important en orientant le discours politique et les divisions qui règnent au sein du pays, les bailleurs devraient également favoriser l'émergence d'organes de presse locaux, professionnels et indépendants. Se fixer un tel objectif est peut-être ambitieux, mais dans le climat politique actuel, cela mérite d'être tenté. Une presse professionnelle dynamique peut servir à la fois de source fiable d'informations pour les citoyens et de garde-fou contre l'utilisation abusive des réseaux sociaux par le gouvernement et les influenceurs.

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