L'opposant rwandais, Paul Rusesabagina, a été libéré de prison le 25 mars dernier, alors qu'il purgeait une peine de 25 ans de réclusion criminelle, après son kidnapping à l'aéroport international Al Maktoum de Dubaï, le 27 août 2020, avec la complicité de l'un de ses amis, qui mit un terme à 25 ans d'exil aux Etats-Unis dont il est résident permanent, et en Belgique dont il a obtenu la nationalité en 1999.
Ce n'était pas la première fois que le régime de Paul Kagame utilisait des méthodes interlopes pour cibler ses opposants les plus farouches, mais l'interpellation rocambolesque qui frise le gangstérisme d'Etat, de l'ancien patron de « l'hôtel des Mille Collines » avait particulièrement suscité l'émoi chez les défenseurs des droits de l'Homme qui avaient enjoint Kigali de respecter les droits de l'accusé sur lequel pesaient de lourdes charges. Mais comme à son habitude, le longiligne président du Rwanda est resté inflexible et sourd aux appels à la clémence lancés par la famille et les proches de celui qui a répondu huit mois durant de neuf chefs d'accusation en lien avec des actes de terrorisme, jusqu'à la semaine dernière où il lui a accordé la grâce présidentielle.
Depuis, des questions pleuvent sur les motivations de cette extraordinaire magnanimité du président rwandais vis-à-vis de celui qui était surtout connu comme le bon samaritain qui avait sauvé des centaines de personnes venues chercher refuge et protection dans son hôtel de luxe du Centre de Kigali en 1994, alors que les génocidaires étaient à leurs trousses pour les exterminer. Est-ce parce qu'il veut se rapprocher davantage des Etats-Unis qui avaient dénoncé le manque d'équité de la sentence judiciaire prononcée contre l'opposant ? Ou est-ce un simple clin d'oeil au Qatar et à ses pétrodollars, dont l'ambassadeur à Kigali a eu l'honneur et le privilège de recevoir et « d'exfiltrer » le désormais ancien pensionnaire de la prison civile de Nyarugenge vers Doha, après avoir joué un rôle déterminant dans la commutation de sa peine? On pourrait également se demander si Paul Kagame, qui n'a jamais nourri le moindre sentiment de pitié pour ses opposants, n'a pas fait exception à la règle, après que l'opposant lui a écrit pour implorer son pardon pour tous les crimes qu'il a commis contre son pays et pour faire acte de contrition publique.
En tout état de cause, le président rwandais n'a rien à perdre dans cette opération de charme vis-à-vis de ses partenaires, d'autant que Paul Rusesabagina a précisé dans sa lettre de demande de grâce, que non seulement il ne reprendrait plus ses activités politiques, mais qu'il retournerait passer discrètement le reste de ses vieux jours aux Etats-Unis avec sa famille, probablement pour ne pas retomber dans le même pétrin. C'est donc le clap de fin politique pour celui qui avait inspiré Terry George pour la réalisation de son film « Hôtel Rwanda » sorti dix ans après le génocide, et qui retraçait justement l'histoire de ce Hutu modéré que fut Paul Rusesabagina qui avait, à ses risques et périls, offert gîte et couvert à plus d'un millier de Tutsis menacés de massacre.
C'est un destin cruel pour ce presque septuagénaire à la santé déclinante, qui était entré tambour battant dans l'histoire de son pays à la faveur de la tragédie de 1994, et qui en ressort la queue entre les pattes, la mort dans l'âme et le rêve de devenir un jour président de la République, définitivement brisé. Héros pour Hollywood, terroriste pour Kigali, Paul Rusesabagina restera à jamais cet homme controversé pour ses compatriotes, qui a prôné à la fois le jeu démocratique et la lutte armée pour accéder au pouvoir, de 1996 ; date de son exil, à son arrestation à Kigali dans des circonstances troubles en août 2020, à sa descente d'un avion qu'il pensait à destination du Burundi.
Personne ne sait ce qu'il adviendra du Mouvement rwandais pour le changement démocratique dont il est l'un des fondateurs, ni des Forces de libération nationales qui sont le bras armé de son parti politique, qui avaient mené des attaques meurtrières dans le Sud-Ouest du Rwanda en 2018 et 2019, imputées au désormais « has been » du landerneau politique rwandais et qui lui ont valu la peine incompressible de 25 ans de prison. Dix-neuf autres membres de ce groupe politico-militaire ont été également graciés, mais cette petite « éclaircie » peut ne pas profiter à ce parti politique qui n'a jamais eu d'ancrage au Rwanda depuis qu'il a été porté sur les fonts baptismaux en 2017. La retraite forcée et anticipée de sa figure de proue risque de lui être fatale, et c'est encore Paul Kagame qui va ouvrir une nouvelle bouteille de champagne, pour trinquer à la santé de tous ceux qui lui sont restés fidèles quasiment trente ans après avoir conquis le pouvoir.
Paul Rusesabagina vient certes allonger la longue liste des victimes de l'homme fort de Kigali, mais contrairement aux autres tels que Bernard Ntaganda, Agnès Uwimana, Victoire Ingabire, Patrick Karegeya et Faustin Kayumba pour ne citer que ceux-là, sa mise sous éteignoir, loin de faire des vagues, a plutôt suscité des soupirs de soulagement à Washington comme à Bruxelles ; ce qui est un très bon signe pour le Rwanda qui n'en demandait pas plus dans le contexte actuel où l'étau international se resserre autour de lui pour son soutien présumé aux rebelles congolais du M23.