Congo-Kinshasa: Ambroise Kua-Nzambi Toko - « Je crois que le monde devrait fonctionner comme une chorale »

Un festival était organisé à Johannesburg, dimanche 21 mai, pour mettre en lumière les chorales, qui chantent tout type de musique, dans les différentes langues locales.
interview

Passionné et tout dévoué au chant choral où il oeuvre en y mettant toute son énergie, le principal chef de choeur du célèbre Choeur la grâce, Ambroise Kua-Nzambi Toko, est connu aussi pour ses initiatives visant la promotion de sa pratique musicale. Il a tout récemment initié l'Expo chorale, événement dont il en parle au Courrier de Kinshasa en livrant sa perception du chant choral dont il a une maîtrise avérée.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Figure emblématique du chant choral en République démocratique du Congo (RDC), vous avez initié un nouveau concept, l'Expo chorale, d'où vous vient-il ?

Ambroise Kua-Nzambi (A.K-Z.) : Le concept m'a été inspiré après ma participation au World choral expo à Lisbonne en 2019. Une exposition centrée sur le chant choral focalisé sur les répertoires de différents types de choeurs. Enfants, jeunes filles, jeunes gens, choeurs mixtes de jeunes, choeurs d'hommes, de femmes, choeurs de personnes âgées et même des personnes vivant avec handicap. Une présentation du chant choral dans toutes ses facettes et ses dimensions, réunissant les hommes de manière différente. Ce festival avait permis de montrer toutes les réalisations possibles des associations diverses et j'ai pensé qu'il fallait réfléchir à la manière d'organiser la même chose ici.

L.C.K. : Vous ne jurez que par le chant choral. Qu'y a-t-il à faire que vous n'ayez tenté ?

A.K-Z. : Il y a beaucoup de choses à faire pour un meilleur développement du chant choral. Nous avons des chefs de choeur dans nos chorales mais pas de coachs vocaux, cette notion n'est pas bien connue ici. Pourtant, un coach vocal joue un rôle différent que celui du chef de choeur. Très souvent, le chef de choeur est aussi coach, les deux tâches peuvent être cumulées mais les chefs de choeur ne sont pas toujours de bons coaches. Et, les choristes sont le plus souvent intéressés par les sessions de formation organisées sur la voix. Lorsqu'il s'agit d'autres thématiques, notamment l'esthétique musicale, la découverte du jazz, ils n'y accordent pas le même intérêt.

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C'est à nous, chefs de choeur, d'organiser des séries d'activités pouvant permettre aux plus petits de découvrir et évoluer assez tôt dans les chorales. Le gouvernement devrait nous soutenir pour le développement du mouvement choral. Nous avons initié une fédération mais la connexion avec le milieu politique n'a pas encore abouti. La joie de Choeur la grâce, jusqu'ici, c'est d'avoir été invité à plusieurs reprises pour l'interprétation des hymnes devant le chef de l'Etat. Ceci n'est qu'un pas, car il y a encore beaucoup de choses à faire. Nous pourrions offrir des spectacles de chant choral aux invités de marque du pays. Il y a le choix entre le Choeur Luc Gillon, Chorale excellence, Choeur la grâce, etc. Notre chant choral a beaucoup à donner au monde et au pays, notre société, si seulement nos gouvernants pouvaient le comprendre !

L.C.K. : Qu'a-t-il donc de si important à donner, selon vous ?

A.K-Z. : Je crois que le monde devrait fonctionner comme une chorale, à la différence d'une équipe de football, par exemple. La compétition de foot oppose parfois dangereusement les sportifs tandis que dans le chant choral, en compétition, la prestation d'un autre concurrent peut nous émouvoir au plus haut point, même si l'on se garde d'applaudir mais on ressent une réelle émotion intérieurement. Par ailleurs, ce n'est pas possible de chanter à côté d'une personne avec qui on est en conflit. On ne laisse jamais pourrir les relations dans une chorale, les problèmes sont toujours résolus car quand il y en a un, il se trouve toujours quelqu'un pour le dénoncer. Dans une chorale, nous mettons ensemble nos qualités individuelles. Et, l'on ne peut pas être dans une chorale sans avoir un minimum de sympathie pour le chef de choeur. Même quand il se lance des fois dans une sorte de dictature, elle est acceptée car elle est positive. Si nos dirigeants étaient aimés comme les chefs de choeur, dans chaque entreprise, ministère, ce serait déjà une victoire.

L.C.K. : Que trouvez-vous à redire sur la pratique du chant choral en RDC ?

A.K-Z. : Ici, nous réduisons le chant choral à son expression la plus simple, nous répétons pendant la semaine et nous chantons le dimanche, puis c'est tout. Ensuite, après quelques années, nous organisons un concert d'anniversaire, nous fonctionnons en mode bi ou triphasé. Cela m'a permis de réfléchir sur l'ensemble d'activités qu'un choeur peut organiser, tout ce qu'il peut initier en interne et en dehors, pour les autres. J'ai répertorié au-delà de cinquante chorales. Dès lors, les types de concerts peuvent se diversifier, il peut se tenir des concerts académiques, culturels, d'ambiance, etc.

Avec Choeur la grâce, il nous est arrivé des fois de chanter dans la rue, ciblant un lieu où nous savons qu'il y aurait une affluence. Il est arrivé même qu'à notre lieu de répétition, nous livrions un concert, nous invitions les habitants du quartier à assister à une séance. En visite à un frère ou une soeur de la chorale malade, nous trouvons le moyen de chanter. Nous l'avons fait dans certaines écoles de Kinshasa, chanter devant les tout petits, à plusieurs reprises dans des maisons de retraite. Et nous avons déjà organisé des festivals, des ateliers, moments d'échange, du tourisme choral en parcourant de longues distances, allant d'un village à un autre. Dans la banlieue kinoise, il nous est arrivé de faire des haltes à un endroit pour chanter.

L.C.K. : Qu'est-il advenu de vos publications sur le chant choral ?

A.K-Z. : Dans le temps, nous écrivions des articles et la publication de la revue Cantemus que nous avons stoppé. Les gens n'achetaient pas, préférant une distribution gratuite n'ayant pas compris la démarche que soutenait ce projet pour la promotion du chant choral local. Les recueils de chant, par contre, étaient demandés, les catholiques qui pratiquent le solfège l'ont beaucoup acheté, les protestants presque pas peut-être parce qu'ils le pratiquent moins. Nos librairies devraient proposer des oeuvres de compositeurs congolais selon le thème que l'on veut.

Néanmoins, toutes les chorales ont besoin de partitions pour exécuter nos chansons, il faudrait créer un lieu spécifique où ils peuvent en trouver. Il faut emmener les gens à comprendre que faire de la sorte va profiter aux compositeurs, leur donner l'occasion de vendre leurs partitions. Les compositeurs primés à l'Expo chorale ne vendent pas. Moi, il m'arrive de vendre en Europe parce que je m'organise, c'est plus difficile de vendre ici. Je suis touché que parmi mes nombreux correspondants, il y a des Angolais qui commandent facilement.

L.C.K. : Votre conception du chant choral est bien originale. Pourriez-vous nous la partager ?

A.K-Z. : Le chant choral est un mode d'expression qui a gagné son universalité. Aucun pays ne réclame vraiment sa paternité. Parmi les pays africains qui excellent dans sa pratique, il y a l'Afrique du Sud, le Ghana et la RDC essaie aussi de se créer une place. Autour du chant choral, il y a un mouvement et un ministère. Ce mouvement est à caractère social, il permet aux gens d'être ensemble, de développer le sens du travail collectif pour un intérêt commun, le travail effectué n'est pas en faveur d'un choriste mais est réalisé pour tout le monde. Le pays a besoin de fonctionner comme une chorale.

Elle constitue le meilleur exemple du fonctionnement d'un pays. Je suis d'avis que la chorale est la meilleure illustration de la relation que Dieu a avec les hommes. Personne ne doute des ordres du chef de choeur mais y répond. Sur scène, on exécute ce qu'il demande. C'est comme Dieu avec les hommes, personne ne peut se rebeller à l'autorité du chef de choeur sur scène, ne peut s'y opposer. Si nous fonctionnions comme cela vis-à-vis de Dieu, ce serait parfait, le paradis sur terre !

L.C.K. : Le mouvement choral est-il porteur de valeurs éducatives et culturelles ?

A.K-Z. : Le mouvement choral est à caractère éducatif parce que l'on chante en plusieurs langues et l'on y apprend un large répertoire qui est toujours porteur de messages et parfois d'enseignements. C'est aussi un mouvement culturel car le chant choral peut nous permettre de vendre notre culture, l'exporter. Nous l'avons importé, le chant choral, il est venu avec les missionnaires, mais nous ne l'avons jamais ressenti. Je pense qu'au ciel l'on chante beaucoup plus comme une chorale. En se référant à la naissance du Christ, les anges ont chanté en choeur.

Les chorales peuvent se créer partout, une association de chorales d'entreprises, communales, dans chaque commune, des choeurs scolaires, etc. Si cela se fait, il se créera un réel engouement. Une chorale n'est pas juste importante dans le cadre d'événements d'envergure. Si des salles sont construites, on lance des concours scolaires, cela va permettre aux activités du mouvement choral de se développer. Cela va permettre de bien couvrir le temps, hormis que la chorale soit à caractère religieux, on peut évangéliser à travers elle, même si l'on n'est pas prédicateur, on y prend part. Les valeurs que l'on retrouve naturellement sans forcer dans la chorale, ramenées dans la société, vont lui permettre de bien fonctionner. L'approche chorale peut servir à développer la société, il suffit de l'étudier, y réfléchir.

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