Soudan: Choc des ambitions entre Hamdane Dagalo et Al-Burhan - Le pauvre peuple soudanais entre deux feux ardents

(Photo d'illustration) - Des membres de RSF détruisent des barricades autour de la zone de sit-in à Khartoum.

La situation était encore extrêmement volatile hier à Khartoum et dans plusieurs autres villes soudanaises, où des factions rivales de l'armée s'affrontent violemment depuis le 15 avril dernier pour le contrôle du pouvoir et des sites gouvernementaux, toujours entre les mains du Général Abdel Fattah Al-Burhan au moment où nous tracions ces lignes.

Quarante-huit heures donc de combats fratricides entre l'armée loyaliste et les paramilitaires regroupés au sein des Forces de soutien rapide (FSR) fidèles au Général Mohamed Hamdane Dagalo dit « Hemeti », au cours desquelles l'artillerie et l'aviation ont été mises à contribution par les protagonistes, au grand dam des populations civiles prises en otage par le choc des ambitions entre deux généraux qui se détestent cordialement après avoir été alliés lors des précédents putschs qui ont secoué le pays.

Pour l'une des rares fois en Afrique et même dans le monde, un avion de chasse, des hélicoptères d'attaque, des lance-flammes portatifs, l'artillerie lourde et des grenades propulsées par fusée, ont été utilisés au cœur de la capitale, à Al-Fashir dans le Darfour-Nord, à Omdourman la ville jumelle de Khartoum, et jusque dans l'Etat reculé du Kordofan du Sud, pour détruire des postes de commandement militaires et d'autres sites stratégiques appartenant aux deux camps en belligérance.

Il faudra attendre la fin des hostilités pour faire le bilan exhaustif de cette comptabilité macabre

On a rarement vu un tel déploiement simultané de forces dans ce pays pourtant plusieurs fois victime des morsures de l'histoire, juste pour le contrôle du pouvoir et donc des richesses du pays par ces deux officiers supérieurs aux ego surdimensionnés. Le bilan de ces deux jours de folie restait difficile à établir, hier, en fin de journée, mais il n'y a pas de doute qu'il sera lourd dans les deux camps, mais aussi chez les civils, bien que ces derniers soient restés cloitrés chez eux par mesure de prudence. Certaines sources parlent déjà de 80 morts quand d'autres avancent des chiffres qui font plus froid dans le dos.

Mais il faudra attendre la fin des hostilités pour faire le bilan exhaustif de cette comptabilité macabre. Reste à savoir si l'on n'est pas parti pour des semaines de troubles qui risquent de fragiliser davantage ce pays déjà déglingué par plusieurs décennies de guerres civiles, quand on sait que le point d'achoppement entre les deux gradés porte sur le sort des milliers de paramilitaires utilisés comme milices arabes supplétives de l'armée par l'ex-président Omar El Béchir, dans la guerre sans concession qu'il avait menée contre les tribus noires qui s'étaient soulevées en 2003 contre le pouvoir central.

Ces paramilitaires dont le président actuel du Soudan, le Général Al-Burhan, ne veulent pas de l'intégration sans condition dans l'armée régulière, des hommes qui sont sous les ordres du Général Hamdane Dagalo qui exige non seulement que ses hommes soient reversés dans les effectifs de l'Armée, mais que lui aussi ait la place qu'il mérite au sein de l'Etat-major, en sa double qualité de commandant de troupes et de vice-président de la Transition en cours au Soudan depuis le dernier coup d'Etat d'octobre 2021.

Les hommes politiques attendent de voir certainement la suite des événements avant de sortir de leur mutisme

Voilà donc le casus belli qui est à l'origine de cette vague de violences observée dans quasiment toutes les grandes villes du Soudan depuis le 15 avril dernier. Mais il n'en est, en réalité, que le détonateur quand on sait qu'il y a, en toile de fond, la question de la remise du pouvoir aux civils comme les militaires s'y étaient engagés, et dont le président actuel semble ne plus vouloir en entendre parler.

Et c'est d'ailleurs sur cette vague de trahison de la parole donnée que son rival Hamdane Dagalo surfe pour s'attirer la sympathie des civils et de la communauté internationale, dans ce mano a mano avec son frère d'armes, dont personne ne peut, à l'heure actuelle, prédire l'issue. Depuis le début de ce dernier épisode sanglant, plusieurs pays partenaires du Soudan ont donné de la voix pour le retour au calme, mais ce n'est pas sûr qu'ils soient entendus par les protagonistes, surtout pas par les partisans du président Al-Burhan, qui semblent avoir repris du poil de la bête après avoir été littéralement sonnés dès les premières heures de la crise par la soudaineté, la violence et l'ampleur des attaques contre leurs bases par les paramilitaires.

Le pauvre peuple soudanais est, quant à lui, resté coi comme une carpe fraîchement sortie des eaux du Nil, étant pris entre deux feux ardents allumés par des officiers avides de pouvoir, pour ne pas encore faire les frais d'une sanglante répression comme celle dont il a été victime dans les rues de Khartoum lorsqu'il réclamait le transfert du pouvoir à un gouvernement civil en 2021. Si par opportunisme ou par calcul politicien, le Général Dagalo se dit favorable au retour de l'Armée dans les casernes, il y a tout de même de quoi être dubitatif quand on sait qu'il a été pendant longtemps, dans le viseur de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes qu'il aurait commis pendant la guerre civile au Darfour, et pourrait être tenté de prendre le pouvoir par la force et au nom du peuple, pour le conserver par la suite afin de se prémunir contre une éventuelle réactivation des poursuites judiciaires.

C'est probablement parce qu'ils savent que chacun de ces deux anciens complices de la consolidation de la dictature militaire au Soudan, prêche pour sa propre chapelle, que les hommes politiques n'ont pas encore appelé leurs militants à déferler dans les rues pour faire entendre la voix du peuple, dans ce nouveau capharnaüm dont les bidasses sont encore à la base. Ils attendent de voir certainement la suite des événements avant de sortir de leur mutisme, tout en croisant les doigts pour que la crise en cours fasse comprendre aux hommes en uniforme qu'il ne suffit plus d'avoir des bombes à fragmentation comme moyens de dissuasion et d'utiliser la corruption comme moyen de persuasion, pour pouvoir s'imposer durablement à la tête d'un pays comme le Soudan qui est, rappelons-le, celui qui a connu le plus de coups d'Etat réussis ou non en Afrique, depuis la reconnaissance officielle de son indépendance le 1er janvier 1956.

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