Soudan: Le chef des droits de l'homme de l'ONU fustige « une violence gratuite »

Plus de deux millions de personnes au Soudan devraient sombrer dans la faim dans les mois à venir en raison de la violence en cours dans le pays.
11 Mai 2023

Le chef des droits de l'homme de l'ONU a dénoncé, jeudi, une « violence gratuite et injustifiée » depuis près d'un mois au Soudan, et a appelé les pays influents de la région à faire pression « par tous les moyens possibles » pour résoudre la crise soudanaise.

« Je condamne fermement cette violence gratuite, dans laquelle les deux parties ont bafoué le droit humanitaire international, notamment les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution », a fustigé Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme. A l'ouverture d'une session spéciale du Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève sur la situation au Soudan, il a rappelé que les combats qui ont éclaté le 15 avril ont plongé ce pays d'Afrique du Nord-Est « dans la catastrophe ».

Il a dénoncé également le recours à la violence par des individus qui n'ont aucune considération pour la vie et les droits fondamentaux de millions de leurs propres compatriotes.

Ces affrontements entre l'armée dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Dagalo ont fait au moins 487 civils tués, notamment à Khartoum, El Geneina, Nyala et El Obeid. Mais selon l'ONU, le chiffre réel est bien plus élevé.

Plus de 154.000 personnes ont fui le pays. L'ONU estime à 700.000 le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du Soudan. « Les personnes qui restent dans les zones touchées par le conflit sont exposées à des risques graves et permanents », a détaillé M. Türk.

Bombardements dans des zones résidentielles très peuplées

À Khartoum, des affrontements entre les deux forces armées, des bombardements et des frappes aériennes ont eu lieu dans des zones résidentielles très peuplées, et des millions de personnes luttent à présent pour accéder à la nourriture, au carburant et aux devises.

M. Türk est aussi très inquiet des affrontements intercommunautaires au Darfour, ainsi que dans les régions du Nil Bleu et du Kordofan. Selon lui, ceux-ci ont déjà fait une centaine de victimes au Darfour occidental.

Au sujet de ce bilan détaillé sur les abus observés dans les combats, le chef des droits de l'homme de l'ONU a reproché à l'armée soudanaise d'avoir lancé des attaques dans des zones civiles densément occupées, y compris des frappes aériennes. La semaine dernière, une frappe aérienne aurait touché les environs d'un hôpital dans le quartier du Nil oriental de Khartoum, tuant plusieurs civils.

Quant aux paramilitaires, les équipes du Haut-commissaire Türk les accusent d'avoir pris possession de nombreux bâtiments à Khartoum pour les utiliser comme bases opérationnelles, en expulsant les résidents et en lançant des attaques à partir de zones urbaines densément peuplées. « Ces tactiques exposent les civils à de graves risques et les empêchent d'accéder à des fournitures et à une assistance essentielles », a regretté M. Türk.

Par ailleurs, ses équipes ont reçu plusieurs rapports faisant état de violences sexuelles commises par des hommes en uniforme, ainsi que d'allégations d'exécutions illégales et de disparitions forcées.

L'ONU appelle les deux parties à s'engager dans un processus politique inclusif

Dans cette guerre sans merci, le système de santé n'est pas épargné, avec au moins 17 attaques contre des établissements de santé, et plusieurs autres occupés par les forces militaires. D'une manière générale, ce sont des années d'efforts de développement qui sont anéanties par les dégâts causés à l'eau, à l'électricité et aux infrastructures de communication.

Dans ces conditions, « s'il y a une leçon à tirer de cette crise tragique, c'est qu'il est urgent que tous les accords de transition s'appuient sur des engagements fondamentaux en matière de reddition des comptes, de non-discrimination et de participation, afin que la paix soit durable et stable, parce qu'elle est juste », a fait valoir M. Türk.

Sur un autre plan, il a regretté le fait que les belligérants n'aient pas accepté de discuter de la fin de leurs hostilités, « malgré d'intenses efforts diplomatiques - notamment de la part de l'Union africaine, de l'Autorité intergouvernementale pour le développement, de la Ligue des États arabes et des Nations Unies ». A ce sujet,, il exhorté tous les pays influents dans la région à encourager, par tous les moyens possibles, la résolution de cette crise.

Une façon de rappeler l'urgence pour les deux parties de s'engager dans un processus politique inclusif et dans une paix négociée. A ce sujet, il soutient que les pourparlers en cours à Djeddah, en Arabie saoudite; qui se concentrent sur l'instauration d'un cessez-le-feu, doivent être complétés par des engagements en faveur d'une trêve humanitaire, afin de permettre l'acheminement d'une aide vitale, de permettre aux civils de quitter les zones d'hostilités en toute sécurité et de protéger les fournitures humanitaires contre le pillage.

Les civils subissent le poids dévastateur des combats au Soudan

Par ailleurs, une cinquantaine d'experts indépendants onusiens ont publié une déclaration commune jeudi, citant des rapports selon lesquels « des civils de tous âges subissent diverses violations des droits humains » au Soudan, notamment des agressions sexuelles, des violences fondées sur le sexe, des pillages et des pénuries de nourriture, d'eau et de soins de santé.

Ils ont exigé des enquêtes rapides, impartiales et indépendantes sur les décès et les blessés. Celles-ci doivent aussi porter sur toute allégation de harcèlement, de torture et autres violations flagrantes des droits de l'homme à l'encontre de civils, de travailleurs humanitaires et de santé, de défenseurs des droits de l'homme et de journalistes, ainsi que sur les attaques contre les infrastructures civiles.

« Nous demandons la mise en place de mécanismes d'enquête et de responsabilisation solides aux niveaux national et international afin de surveiller, documenter, enquêter et poursuivre les violations, d'empêcher de nouvelles violations des droits de l'homme et de garantir l'obligation de rendre des comptes », ont dit les experts indépendants et autres Rapporteurs spéciaux des Nations Unies.

Dans une déclaration conjointe, ils se sont dits profondément troublés par les informations faisant état de violences à l'encontre de ceux qui travaillent sans relâche pour faire face à l'ampleur sans précédent des souffrances humaines au Soudan, ainsi que de ceux qui s'efforcent de faire la lumière sur la situation.

Le Royaume-Uni demande au Conseil d'envoyer un message uni d'inquiétude

« Le fait que des journalistes soient pris pour cible et que des défenseurs des droits de l'homme, notamment des femmes défenseurs des droits de l'homme au Darfour et à Khartoum, fassent l'objet d'intimidations et de menaces a entravé leur capacité à suivre et à documenter la situation sur le terrain, contribuant ainsi à un black-out de l'information », ont-ils affirmé.

Cette situation accroît ainsi le risque qu'ils soient victimes de violations flagrantes des droits de l'homme, y compris de disparitions forcées.

Les experts indépendants onusiens se sont sommes également préoccupés des conséquences financières et économiques de la poursuite du conflit, non seulement pour le bien-être et le niveau de vie de la population soudanaise, mais aussi par les répercussions dans l'ensemble de la région.

A noter que cette réunion d'urgence du Conseil des droits de l'homme de l'ONU a été convoquée à la demande conjointe du Royaume-Uni, de la Norvège, des Etats-Unis et de l'Allemagne. Elle est soutenue par des dizaines de pays.

Lors des débats, le ministre britannique chargé du Développement et de l'Afrique, Andrew Mitchell, a exhorté les 47 membres du Conseil à « envoyer un message uni d'inquiétude et d'horreur » avant le vote attendu.

Un projet de résolution appelle à « un arrêt immédiat de la violence »

De son côté, le Représentant permanent du Soudan auprès de l'ONU à Genève, qui a présenté ses condoléances aux proches des victimes, a estimé « précipitée » cette session spéciale, même si ce qui se passe dans son pays est « inacceptable ». L'armée n'a fait que « son devoir », a affirmé l'Ambassadeur Hassan Hamid Hassan. Il a encore demandé « davantage de temps» pour arracher un cessez-le-feu et rappelé que la situation était discutée au Conseil de sécurité.

A l'issue de la réunion, les 47 pays membres du Conseil des droits de l'homme vont se prononcer sur un projet de résolution appelant à « un arrêt immédiat de la violence par toutes les parties, sans conditions préalables ». Le texte note que « la grave flambée de conflit et l'escalade de la violence au Soudan pourraient compromettre les progrès accomplis sur la voie d'une transition pacifique vers la démocratie et la stabilité au Soudan ».

Il appelle toutes les parties à trouver une solution négociée et pacifique au conflit sur la base d'un dialogue inclusif et de renouveler l'engagement de toutes les parties envers le peuple soudanais de revenir à une transition vers un gouvernement dirigé par des civils.

Le texte condamne toutes les violations présumées des droits humains. Il appelle les parties à cesser ceux-ci immédiatement et à garantir un accès pour l'aide humanitaire. Il les enjoint encore à la retenue et à ne pas perpétrer davantage d'abus.

La résolution condamne toutes les violations des droits humains et du droit international humanitaire mais ne créé pas de mécanisme d'enquête, laissant le soin au Haut-Commissariat et à l'expert de l'ONU sur le Soudan de les documenter. « Le texte demande au Haut-Commissaire, avec l'assistance de l'expert désigné sur les droits de l'homme au Soudan, de présenter au Conseil des droits de l'homme, lors de sa 55e session, un rapport complet sur la situation ».

Le PAM a besoin de financement pour une assistance alimentaire d'urgence au Tchad

De son côté, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) a déclaré jeudi avoir besoin de 162,4 millions de dollars, de toute urgence, pour aider le gouvernement du Tchad à assister 2,3 millions de personnes ayant un besoin urgent d'aide alimentaire, notamment les réfugiés nouvellement arrivés du Soudan ainsi que les 600 000 réfugiés déjà présents au Tchad, les communautés accueillant des personnes déplacées, les personnes déplacées à l'intérieur du pays et les personnes souffrant d'une grave insécurité alimentaire au Tchad pendant la période de soudure de juin à août.

Le PAM continue de répondre aux besoins alimentaires croissants au Tchad, mais le déficit de financement signifie que l'assistance alimentaire aux réfugiés et aux personnes déplacées à l'intérieur du pays s'arrêtera complètement ce mois-ci si aucun fonds supplémentaire n'est reçu. La sécurité alimentaire et nutritionnelle déjà précaire de près d'un million de personnes se détériorera rapidement.

« Nous avons besoin d'un financement urgent pour fournir une assistance alimentaire rapide à toutes les personnes vulnérables du pays. Nous prépositionnons des vivres pour répondre à la crise des réfugiés soudanais, mais c'est une course contre la montre car la saison des pluies commence en juin et l'accès à de nombreuses régions du Tchad sera coupé », a déclaré Pierre Honnorat, Représentant et directeur pays du PAM au Tchad.

« Un soutien urgent de la part de la communauté internationale est essentiel si nous voulons continuer à aider le gouvernement tchadien à fournir une réponse coordonnée, et efficace permettant de sauver des vies », a ajouté M. Honnorat.

Depuis que les affrontements ont éclaté au Soudan il y a trois semaines, plus de 30.000 personnes ont franchi la frontière avec le Tchad pour échapper à la violence, et des milliers d'autres pourraient arriver dans les semaines à venir, selon le gouvernement et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Ces nouveaux arrivants s'ajoutent au nombre massif de réfugiés déjà hébergés au Tchad après avoir fui les conflits précédents, soit plus d'un demi-million de personnes au total. La plupart des nouveaux arrivants sont des femmes et des enfants de moins de cinq ans qui arrivent sans rien, effrayés et affamés - beaucoup d'entre eux se réfugient à l'ombre des arbres.

La situation humanitaire au Tchad est désastreuse. Le pays fait face pour la quatrième année consécutive à une insécurité alimentaire et nutritionnelle aiguë. Près de 1,9 million de personnes ont besoin d'une aide alimentaire pendant la période de soudure de juin à août, lorsque les réserves alimentaires des familles s'amenuisent. Le Tchad accueille déjà plus de 600.000 réfugiés, principalement du Soudan, et 240.000 personnes déplacées à l'intérieur du pays.

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