Maroc: Silence, on musèle grave au pays !

La Cour d'Alger (archive)

Journaux et autres sites bouclés, journalistes martyrisés ou incarcérés...

Le désaveu est absolu et incontestable. Dans une résolution largement adoptée, jeudi 11 mai, par 536 voix pour, 4 contre et 18 abstentions, les eurodéputés appellent les autorités algériennes à autoriser à nouveau les médias récemment interdits et demandent la libération «immédiate et inconditionnelle» de toutes les personnes détenues «arbitrairement» et inculpées pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression, notamment le célèbre journaliste Ihsane El-Kadi, condamné en avril à une peine de cinq ans d'emprisonnement et à de lourdes amendes pour des «accusations infondées» liées au fait qu'il aurait reçu des fonds pour «propagande politique» et «atteinte à la sécurité de l'État».

Autre demande formulée à Alger concerne «la modification des dispositions du Code pénal, notamment les articles 95 bis et 196 bis, qui ont trait à la sécurité et qui sont utilisées pour criminaliser la liberté d'expression, ainsi que d'aligner les lois restreignant la liberté d'expression sur les normes internationales en matière de droits de l'Homme, en particulier sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l'Algérie a ratifié».

«En sous-estimant l'invitation de Reporters sans frontières à respecter la liberté de la presse et à libérer les détenus d'opinion, à leur tête le journaliste Ihsane El-Kadi, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a reçu un véritable coup de massue en apprenant le vote de la résolution du Parlement européen allant dans le même sens», souligne le journaliste algérien exilé en France, Hicham Aboud, dans son dernier article.

Le Parlement européen dévoile tout le mal du régime dictatorial

«Cette résolution vient non seulement rappeler les gouvernants algériens que leurs violations des libertés constituent une préoccupation pour l'ensemble des Européens, mais, plus grave encore, elle confirme l'isolement d'Alger sur la scène internationale», explique-t-il. «Avec seulement 4 voix qui ont voté contre ladite résolution, on constate bien que le régime algérien n'a pas beaucoup d'amis pour ne pas dire pas d'amis du tout», a-t-il ajouté. «Il faut le dire, ce régime a des clients mais pas d'amis et c'est grave pour Tebboune et son équipe qui ne cessent de clamer que la diplomatie algérienne a retrouvé son lustre d'antan», a tenu à souligner l'opposant algérien.

Le doctorant chercheur en géopolitique et géostratégie, Ali Kettani, estime, à cet égard, que «les détentions arbitraires de journalistes ainsi que la censure qui sévit sur les médias indépendants, dont la majorité sont basés en Europe, témoignent du bafouement du droit à l'expression et d'avoir un avis en Algérie».

Cette résolution de l'UE n'est, en effet, pas une première. Le régime politico-militaire d'Alger n'a de cesse d'être épinglé par différentes instances et institutions internationales, dont notamment l'ONU et le Parlement européen. Il s'agit donc de la quatrième résolution du genre pour l'Algérie, après celle de novembre 2019 sur la situation des libertés, celle de novembre 2020 sur la détérioration de la situation des droits de l'Homme et celle de mai 2022 sur la persécution des minorités, fondée sur les convictions ou la religion.

De toute évidence, le paysage médiatique en Algérie n'a jamais été aussi détérioré et décrié.

Les médias indépendants sont sous pression, les journalistes sont régulièrement emprisonnés ou poursuivis, et plusieurs sites Internet sont bloqués. Pour Reporters sans frontières (RSF), «le climat politique est très tendu, notamment depuis l'élection du président Abdelmadjid Tebboune, en décembre 2019. Médias et journalistes subissent de nombreuses pressions, dont la majorité sont exercées par la présidence de la République, les partis politiques, les services de sécurité et les autorités locales». «Il est très difficile pour les reporters d'effectuer leur travail de manière libre et indépendante alors que le pouvoir politique a une influence directe sur la nomination et le licenciement des responsables des médias et des autorités de régulation», rappelle RSF.

«Les menaces et intimidations auxquelles sont confrontés les journalistes sont en constante augmentation, et il n'existe aucun mécanisme de protection. Les reporters critiques des autorités peuvent subir des détentions arbitraires, font l'objet d'une surveillance et sont placés sur écoute. Les journalistes indépendants ou proches du Hirak peuvent être la cible de menaces en ligne et de campagnes de haine», explique Reporters sans frontières.

Julie Majerczak, représentante de cette organisation internationale auprès de l'UE, estime dans ce sens qu'avec cette résolution, «le Parlement européen a montré qu'il n'entend pas rester silencieux face à la répression des derniers médias indépendants en Algérie, alors même que ce pays est un partenaire économique important». «Alors que l'appel d'Ihsane El-Kadi doit être entendu dans les prochains jours, nous exhortons la Commission européenne et les États membres de l'UE à tout mettre en oeuvre pour que ce journaliste recouvre sa liberté», souligne-t-elle.

Le Parlement européen a, lui aussi, appelé la Commission européenne, les États-membres et le Service européen pour l'Action extérieure à aller plus loin dans leur soutien à la société civile algérienne. Mais il semble qu'il s'agit bien d'un voeu pieux et d'un idéal inaccessible puisque cette résolution n'est en effet pas plus contraignante que les précédentes. Le Parlement européen représente simplement l'opinion des citoyens européens. C'est donc avant tout le symbole qui compte, loin des contraintes diplomatiques avec lesquelles doivent composer les gouvernements.

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