Guinée: Procès de Conakry - Torture et détention arbitraire dans les camps militaires

Lors du premier jour du procès des auteurs présumés du massacre commis dans un stade en Guinée en 2009, les accusés comparaissent devant les juges à Conakry, le 28 septembre 2022.

Au procès du 28 Septembre, c'est au tour des victimes de détention arbitraire et de torture de prendre la parole. L'une d'elle, Yagouba Barry, a raconté mardi 16 mai comment il a été séquestré au domicile personnel d'un des accusés, Moussa Tiegboro Camara, alors secrétaire d'État en charge de la lutte contre la drogue et le crime organisé.

Le méga procès du massacre du stade de Conakry tient en haleine depuis près de huit mois la Guinée. Il a vu défiler à la barre les onze prévenus, et depuis le mois de février les victimes, dont les témoignages permettent maintenant de comprendre que les violations se sont poursuivies, en détention, plusieurs jours après la date fatidique du 28 septembre 2009.

Ce mardi 16 mai, Yagouba Barry est appelé à la barre. Ce sexagénaire a participé, il y a treize ans, au meeting de l'opposition au stade de Conakry. Cette dernière entendait dénoncer la probable candidature à la présidentielle du chef de la junte, Moussa Dadis Camara, assis sur le banc des accusés. Le visage fermé, Barry raconte l'arrivée des militaires, les premiers tirs de sommation, sa tentative de fuite, puis les coups de couteau, au cou, à la mâchoire. Il perd connaissance. Quand il se réveille, il se rend compte qu'il a été emmené au camp Alpha Yaya Diallo, le principal camp militaire situé en banlieue de la capitale. Son pied est fracturé, il a perdu plusieurs dents.

Mais sa détention se poursuit au domicile de Moussa Tiegboro Camara, alors secrétaire d'État chargé de la lutte contre la drogue et le crime organisé. L'endroit grouille d'agents de l'anti-drogue. Certains l'insultent : « Tu es le chien de Cellou [Cellou Dalein Diallo, leader d'un parti d'opposition, NDLR] ! », lui crie l'un d'eux. Barry est formel : sur place, il a croisé Tiegboro à plusieurs reprises. Sa libération intervient après douze jours : « Un béret rouge est venu, il a demandé 'celui-là qu'est-ce qui lui est arrivé ?' Il a dit que les Blancs venaient pour une commission d'enquête internationale et qu'il fallait m'enlever d'ici. » Barry est relâché à la nuit tombée. Il est persuadé que la hiérarchie militaire ne pouvait pas ignorer l'existence de ce lieu de détention.

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Ce long calvaire rappelle le témoignage d'une autre victime, venue témoigner quelques jours plus tôt, le 9 mai. Abdoulaye Diallo a presque quarante ans mais un visage aux traits encore juvéniles. Au stade, il a été arrêté par les militaires. « Ils nous ont envoyé au camp Koundara [au bout de la péninsule de Conakry, près du port de Boulbinet, NDLR]. Ils nous ont fait monter à l'étage.

On y est restés du lundi au samedi matin. On ne trouvait pas à manger, ils nous faisaient descendre pour nous battre, ils nous versaient de l'eau chaude dessus, ils montaient sur nous. » Son exposé dure à peine deux minutes. Derrière le micro, Diallo reste calme. Avec tact, le procureur le relance pour qu'il détaille les mauvais traitements qu'il a subis : « Monsieur Diallo, vous avez été victime de coups et blessures volontaires au camp Koundara, est-ce que vous pouvez expliquer au tribunal le mode opératoire ? » Diallo répète ce qu'il vient de dire en y ajoutant quelques éléments : « On nous donnait une cinquantaine de coups à chaque fois. Ils nous demandaient de nous battre entre nous. » Les détenus sont également exposés au soleil, autour d'un mât, dans la cour du camp.

Paul Mansa Guilavogui pointé du doigt

Ces violences physiques s'accompagnent de menaces. « Tout en nous frappant, ils nous disaient qu'ils allaient nous tuer », relate Diallo, qui précise un peu plus tard : « Les bérets rouges nous insultaient, certains disaient qu'ils allaient nous défenestrer. Ils faisaient ça parce qu'on était partis à la manifestation, c'est comme ça qu'ils se justifiaient. »

Au camp militaire de Koundara, les prisonniers sont « nombreux ». Dans « la pièce où on nous a envoyés, il y avait déjà des personnes qui y étaient enfermées », précise Diallo. Des officiers s'assurent du bon déroulement des tortures, dit-il. A Koundara, il affirme avoir croisé l'adjudant-chef Mohamed Camara, dit Begré, le commandant du camp, et un certain « sergent Paul ». « Le sergent Paul, est-ce que c'est cette personne qui est là ? », demande le substitut du procureur, en regardant vers le box des accusés. Diallo acquiesce. Il accuse Paul Mansa Guilavogui d'avoir participé aux tortures et le décrit comme « très violent ». « Qu'est-ce qu'il vous a fait personnellement ? » Interroge le substitut. « Il participait aux bastonnades. Il venait même la nuit pour le faire. Lui aussi a renversé sur nous de l'eau chaude. C'est lui qui nous emmerdait le plus ! » Le militaire pointé du doigt dormait alors, raconte Diallo, dans une pièce donnant sur le salon où étaient retenus une vingtaine de manifestants.

Une version à l'opposé de celle de Guilavogui, poursuivi pour des faits de torture. En février dernier, devant la Cour, il a reconnu que des gens ont été envoyés au camp Koundara, mais a minimisé son rôle, se présentant comme un « simple subordonné ». « Moi, j'étais une sentinelle. » Il a par contre chargé Begré : « Il a infligé des tortures. Il faisait des choses là-bas... Ce n'était pas ma volonté mais qu'est-ce que je pouvais y faire ? » Begré ne pourra jamais être entendu, il est décédé en décembre 2009. Soupçonné d'avoir participé à la tentative d'assassinat sur l'ancien chef de la junte Dadis Camara, il a été arrêté et exécuté par des militaires.

Diallo poursuit son récit. Du lundi 28 septembre au mercredi, durant trois jours, lui et ses codétenus sont privés de nourriture. « Paul Mansa Guilavogui ne s'est pas soucié de vous donner quelque chose pour ne pas que vous perdiez la vie ?, questionne le substitut.

- Non, il n'a pas fait ça. C'est un petit militaire qui est venu nous trouver pour savoir si on avait mangé. Il a prévenu l'un de ses chefs. A partir du mercredi 14 heures, on nous a donné des rations. »

Zones de non-droit

Lors de sa détention, Diallo a été blessé au dos. Aujourd'hui, il demande au tribunal « de juger et de condamner » les responsables du préjudice qu'il a subi. Il considère que les hautes autorités du pays, le président de la transition en tête, étaient au courant de ce qui se passait dans les camps militaires. Dadis Camara et ses dix co-accusés, qui comparaissent depuis le 28 septembre 2022 devant le tribunal criminel de Dixinn, sont effectivement poursuivis pour des faits présumés de torture, enlèvement, séquestration, non-assistance à personne en danger et complicité de ces infractions.

Dans ces zones de non-droit, les militaires auraient aussi enfermé des femmes. Au total, plus d'une centaine ont été victimes de viol le 28 septembre 2009 et les jours qui ont suivi. L'une d'entre elles a témoigné devant la Cour, rappelle le substitut du procureur. Elle a donné une description du bâtiment de Koundara. « Elle a raconté que des viols ont eu lieu là-bas. » Mais Diallo n'a pas vu de femmes.

« Vous n'avez pas été témoin de ça, vous n'avez pas entendu leurs cris de détresse ?, insiste le substitut.

- Non, je n'ai pas entendu ça », répond Diallo sobrement.

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