Sénégal: Guédiawaye, Keur Massar et Pikine - Services administratifs, banques, mairies et stations-service en ruine après les émeutes

Le Président de la République du Macky Sall

- Piller des commerces et des services publics, saccager des banques, saboter des infrastructures de télécommunication, incendier le chantier d'une infrastructure de transport de masse, voler des biens, tirer à bout portant sur quelqu'un et s'évaporer dans la nature en voiture... Les départements de Guédiawaye, Keur Massar et Pikine, les communes de Grand-Yoff et des Parcelles Assainies ont vécu l'horreur entre jeudi 1er et samedi 3 juin.

Les habitants de ces collectivités territoriales garderont longtemps des souvenirs amers des scènes de violences, que certains d'entre eux racontent la peur dans le ventre. La violence n'a jamais atteint une telle ampleur, de mémoire de nombreux habitants de ces villes.

Incendier commerces, banques, services administratifs et infrastructures routières était le principal recours des émeutiers déchaînés après la condamnation de l'opposant et maire de Ziguinchor (sud), Ousmane Sonko, à deux ans de prison ferme pour "corruption de la jeunesse".

M. Sonko était jugé pour des faits présumés de viol et de menaces de mort sur la jeune dame Adji Sarr, une employée d'un salon de beauté de Dakar. La chambre criminelle du tribunal de Dakar a disqualifié les crimes de viol et de menaces de morts en "corruption de la jeunesse", deux ans après l'éclatement de cette affaire judiciaire qui a tenu en haleine le Sénégal entier et a engendré la mort d'une quinzaine de personnes en février-mars 2021.

Trois des 16 morts dénombrés dans le pays à la fin de la dernière vague de violence - selon un bilan officiel - ont été recensés dans le département de Pikine, selon diverses sources contactées par l'APS.

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Ce département, ainsi que ses voisins de Guédiawaye et de Keur Massar, de même que les communes de Grand-Yoff et des Parcelles Assainies, font partie, avec la ville de Ziguinchor, des parties les plus affectées du pays.

A la suite des scènes de pillage, des bataillons de policiers, de gendarmes et de militaires sont déployés dans les principaux endroits publics (rues, routes, services administratifs, etc.).

Les activités économiques et la circulation routière reprennent timidement depuis dimanche, malgré la fermeture de ce qu'il reste des banques, des mairies ou des commerces vandalisés.

Des commerçants et des conducteurs de motos-taxis tentent de reprendre leurs activités. La violence inouïe des derniers jours est sur toutes les lèvres.

Dans le département de Pikine, les émeutiers ont réduit en cendres ou en ruines les services du Trésor public et des douanes, deux mairies, des banques, des magasins de l'enseigne française Auchan, les bureaux de la Loterie nationale sénégalaise, de nombreuses stations-service et des dizaines de voitures appartenant à l'Etat ou à des particuliers.

Des pillages d'édifices publics et privés ont eu lieu à Keur Massar comme à Guédiawaye, aux Parcelles Assainies et à Grand-Yoff, deux communes d'arrondissement faisant partie de la banlieue et du département de Dakar.

A Rufisque, l'autre département de la région de Dakar, la gare du TER - le train express régional transportant chaque jour des milliers de passagers entre Diamniadio et le centre-ville de Dakar - porte les traces des saccages. Devant la furie des émeutiers, le TER a suspendu ses rotations pendant quelques jours.

"Trois jeunes ont perdu la vie à Pikine-Guinaw Rails lors de ces manifestations. Il y a eu des blessés et d'importants dégâts matériels", raconte Nouha Badji, le directeur de la radio Rail-Bi FM implantée à Pikine.

"La violence était là ! Certains, au milieu de la foule, exprimaient leur colère sur la situation politique et économique du pays. D'autres les ont infiltrés pour se livrer à des actes de vandalisme en détruisant tout sur leur passage", témoigne le journaliste.

Les familles des jeunes tués au cours des manifestations observent le deuil.

Ismaïla, 21 ans, l'une des victimes, a été la cible d'un tir "à bout portant", vendredi soir, selon les témoignages recueillis dans son quartier.

"Notre jeune frère était avec des amis, devant notre domicile. Une voiture s'arrête subitement devant eux, et l'un des passagers tire à bout portant sur Ismaïla, qui meurt sur-le-champ", a expliqué à l'APS un proche de la victime.

A Pikine, la gravité des pillages des banques se mesure sur le trajet compris entre le Technopole et le marché Zinc, où se trouvaient au moins cinq établissements bancaires. Après les pillages, les transactions bancaires sont interrompues. "Nous vivons maintenant les conséquences de ces manifestations. Dans le département, aucune banque ne fonctionne depuis jeudi. Personne n'arrive à faire une opération financière", raconte le directeur de Rail-Bi FM.

"Les populations vont souffrir de la destruction de deux mairies. Aucune des pièces d'état civil délivrées par les mairies ne peut l'être maintenant à cause des saccages", s'inquiète Nouha Badji.

Abdou Aziz Fall, un agent de sécurité d'une banque située dans la commune d'arrondissement de Pikine-Ouest, éprouve de la peine à raconter les scènes de violence dont il a été témoin. "C'est très, très dur, ce que nous avons vécu durant ces trois jours. Toutes mes pensées vont aux morts, à ceux qui ont perdu leurs biens et aux blessés", dit-il, tout amer, priant le ciel que "de pareilles atrocités ne se répètent plus".

Les mairies des communes de Pikine-Est et de Pikine-Nord sont en ruine. "Tout est fermé à la mairie, plus rien ne fonctionne", confirme Ibrahima Khalil Mandiang, le chef de cabinet du maire de Pikine-Nord, précisant que le saccage a commencé par le service chargé de l'état civil. Les pillards ont mis le feu au bâtiment de la mairie, certains d'entre eux sont partis avec tout ce qu'ils étaient en mesure d'emmener, ajoute le chef de cabinet du maire dans un entretien téléphonique avec l'APS.

"On a tout détruit, le mal est énorme. Tout a été cassé, nous avons beaucoup perdu", s'émeut une vendeuse de café et de thé établie devant la bibliothèque municipale de Pikine en ruine. "Je ne pense pas que ces manifestants soient vraiment des Pikinois, vu la violence de leur attaque sur les édifices publics et privés."

"Il y a eu trop de pillages. On a tout détruit, pillé et incendié", fait remarquer Djibril Déthié Mbaye en parlant du magasin Auchan de Pikine Icotaf, près duquel il tient un commerce. Les murs noircis par le feu laissent deviner l'importance des dégâts.

Aux Parcelles Assainies, le désastre se voit sur le chantier du BRT, un moyen de transport de masse en construction depuis deux ans, sur le siège de la Société nationale de télécommunication, les agences locales de plusieurs banques et les stations-service. Les policiers sont encore en faction devant ces nombreux services saccagés.

"Après le premier jour de violence, nous croyions avoir échappé aux malfaiteurs, d'autant plus que nous habitons près du commissariat de police des Parcelles Assainies. Mais c'était compter sans la furie des émeutiers", se désole Ibrahima Guèye, un livreur de denrées alimentaires. Il s'est fait voler sa moto après avoir pris le soin de se garer tout près d'une station-service où se trouvaient des vigiles.

Pape Birane Guèye, un habitant des Parcelles Assainies, prêche le retour au calme après avoir observé les dégâts. "Il faut arrêter ces vagues de violence. Rien n'explique une telle furie. Cette foule était incontrôlable. Après les scènes de violence, je suis sorti de chez moi pour voir l'étendue du désastre", témoigne-t-il.

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