La pollution du plastique a envahi le monde. Après le retard pris dans les actions pour lutter contre ce problème qui menace toute la planète, les diverses solutions discutées pour le contrer ou le réduire ne font pas l'unanimité.
«Dans certains cas, impossible d'éliminer complètement cette matière»
Le plastique a certes offert de multiples facilités, entre autres, à la médecine et la construction mais, au fil des ans, il est devenu une menace pour l'environnement, la biodiversité et l'humanité même. Les déchets plastiques polluent l'environnement en se retrouvant sur les plages, dans les océans, les décharges... Ils contribuent aussi à 3,4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre car la grande majorité est fabriquée à partir d'hydrocarbures dérivés de combustibles fossiles.
Lors de la conférence organisée par PIM Limited en collaboration avec la Mauritius Commercial Bank et Mission Verte, le Managing Director de PIM Limited, Éric Corson, a soutenu qu'«à ce jour, personne ne peut promettre que l'on peut venir à bout de toute la pollution plastique engendrée par l'incivisme et des décennies de production industrielle (...)». Il ajoute que «dans certains cas, il est impossible de l'éliminer complètement et que chaque entreprise a un rôle primordial» et indique ainsi l'importance de «repenser les plastiques et le rapport à ce matériel industriel qui sera toujours utile, quoi qu'on en dise».
Éric Corson reconnaît que la fabrication de produits plastiques engendre des défis environnementaux mais en même temps, il croit fermement dans la possibilité d'être une force positive du changement. «L'un des éléments clés de cette approche est l'écoconception. Nous devons repenser la manière dont nous concevons nos produits et nos emballages, en tenant compte de leur cycle de vie, de leur recyclabilité et de leur impact environnemental. Cela signifie utiliser moins de plastique, favoriser les matériaux recyclables et encourager l'innovation dans des solutions alternatives.»
Le ministre de l'Environnement, Kavydass Ramano, estime pour sa part qu'il faut créer une économie circulaire en éliminant tous les articles en plastique à usage unique et ceux inutiles et problématiques ; en investissant dans des technologies innovantes pour les rendre réutilisables, recyclables et compostables tout en conservant certains objets le plus longtemps possible pour éviter les fuites dans l'environnement.
Les mécanismes de transformation existants ne suffiront pas...
Différents types de recyclage existent : le recyclage primaire pour fabriquer le même produit ; le recyclage secondaire pour en fabriquer un nouveau ; et le recyclage tertiaire pour revenir au chimique et fabriquer d'autres produits chimiques. Les plastiques sont constitués de plusieurs types de polymères. Comme ils fondent à des températures différentes, les plastiques doivent être séparés pour pouvoir être recyclés correctement. Cela prend non seulement du temps, mais aussi de l'argent.
PIM recycle 80 000 à 100 000 kg de plastique collectés par an. L'entreprise recycle aussi des plateaux d'oeufs en cageots ; des décodeurs en pen holders, palettes, cageots de fruits ; des seaux de peinture en balti et poubelles. «On peut recycler certaines catégories de plastique mais on ne peut pas recycler tous les types. Certains sont trop contaminés ou on n'a pas le savoir-faire ni les produits. Ceux faiblement contaminés sont recyclés. Par exemple, les caisses de bouteilles sont récoltées en fin de vie et recyclées pour fabriquer des poubelles pour les municipalités, des boîtes d'oeuf, des pots de fleurs. Soit des produits réutilisables pour augmenter leur durée de vie et réduire la pression sur le centre d'enfouissement.»
Les défis du recyclage sont le tri à la source, la collecte, l'entreposage, la décontamination et le recyclage des plastiques à différents degrés de contamination. Les plastiques fortement contaminés sont les contenants de produits chimiques. Ceux à contamination faible sont les contenants de produits alimentaires. Une autre contrainte est le coût élevé du recyclage, les couleurs, le poids, et la limitation technique des moules et équipements, témoigne l'entreprise.
Selon l'Organisation de la coopération et du développement économique (OCDE), seuls 15 % des déchets plastiques mondiaux sont collectés aux fins de recyclage et seuls 9 % sont finalement recyclés. Selon le ministre Ramano, cela démontre que les mécanismes de recyclage existants ne suffiront pas pour lutter contre la pollution plastique.
Éric Corson précise qu'il faut trouver un débouché commercial au recyclage. «À quoi bon collecter ces plastiques et les accumuler ? Pour en faire quoi ? Nous faisons des poubelles en matière recyclée mais combien de poubelles ferons-nous à Maurice ? À un moment donné, le marché sera saturé. Il faut d'autres débouchés. Nous investissons des dizaines de millions de roupies pour recycler le plastique. Nous n'exportons pas car la volonté est de rester dans l'économie circulaire locale. Il faut trouver un marché pour la développer. Cela demande aussi un soutien des autorités.»
Jim Nourry, Materials Engineer chez Qualitropic, relève aussi le prix compétitif entre un produit vierge et un produit recyclé alors que l'investissement dans le recyclage est énorme.
Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l'environnement, souligne que «nous ne sortirons pas de la crise de la pollution plastique par le recyclage ; nous avons besoin d'une transformation systémique pour réaliser la transition vers une économie circulaire», qui générerait une économie, compte tenu des coûts et recettes liées au recyclage et créerait aussi des emplois.
Du carburant pour boucler la boucle
La valorisation énergétique en brûlant du plastique pour que la température fasse tourner une turbine et produise de l'électricité pourrait revaloriser les déchets plastiques ménagers, agricoles et industriels. Une transformation des déchets plastiques serait la production des carburants. Ces ressources naturelles non renouvelables coûteront de plus en plus cher. Considérant la pollution que causent les plastiques, une start-up camerounaise de recyclage transforme ses déchets plastiques en carburant diesel pour faire fonctionner l'incinérateur de déchets médicaux de son usine. Les déchets plastiques collectés sont triés et broyés en granulés puis fondus et récupérés en liquide. La production est de 15 litres de carburant par jour en sept heures de travail, indique Africanews.
L'entreprise française Earthwake produit du carburant avec une machine appelée Chrysalis, qui utilise «la pyrolyse, un procédé de combustion sans flamme à très haute température pour fondre et dissoudre les molécules de plastique qui sont ensuite distillées et ressortent sous forme d'essence, de diesel et de gaz». La machine est alimentée avec le gaz produit. 800 g de carburant sont produits avec 1 kg de plastique. «Les molécules de plastique sont alors cassées et se transforment en vapeur de différents poids, le gasoil, le kérosène, l'essence et le gaz. On sort le gasoil, qu'on utilise en priorité ; l'essence est une sous-catégorie qu'on peut utiliser dans les groupes électrogènes ; et le gaz, on le stocke, on le recomprime et on le réinjecte dans le brûleur pour faire chauffer le réacteur», explique ainsi l'inventeur de la machine, Christofer Costes, à la presse internationale.
Peut-on produire de l'essence avec ces déchets à Maurice ?
Fabrice David, ingénieur en environnement et député travailliste
Le plastique est fabriqué à partir du pétrole, l'ingrédient de base pour sa fabrication étant le naphta, un liquide issu de plusieurs opérations de raffinage du pétrole brut. L'idée de fabriquer du carburant à partir de déchets plastiques repose sur le processus inverse en faisant fondre le plastique à haute température pour récupérer du carburant liquide, explique-t-il. «Toutefois, cela revient à produire un combustible fossile qui, une fois brûlé dans un moteur ou un incinérateur, va libérer du dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet serre responsables du réchauffement planétaire et du changement climatique. Quant au processus même de pyrolyse des déchets plastiques, il faudrait d'abord s'assurer qu'il ne génère pas de polluants atmosphériques dangereux pour la santé publique et l'environnement.»
Se pose aussi la question économique d'un tel procédé dans un État insulaire comme l'île Maurice, à savoir obtenir une masse critique de déchets plastiques pour rentabiliser une telle filière. Le recyclage des déchets plastiques à Maurice est à moins de 10 %. L'objectif, soutient l'ingénieur en environnement, est d'augmenter rapidement ce taux de recyclage en améliorant la collecte et le tri des déchets plastiques et en développant une réelle industrie du recyclage à Maurice grâce à un partenariat plus dynamique entre l'État, les acteurs économiques, les ONG et le public pour une économie circulaire du plastique.
Sunil Dowarkasing, consultant en environnement
Les plastiques polyéthylène et polypropylène, explique Sunil Dowarkasing, peuvent être transformés pour extraire des carburants car ils sont essentiellement constitués de produits pétrochimiques et d'autres hydrocarbures. La récupération d'énergie par pyrolyse du plastique présente cependant plusieurs inconvénients. «Le diesel de pyrolyse plastique produit des émissions de gaz d'échappement plus élevées que le diesel produit directement à partir du traitement des hydrocarbures.
De plus, les fiouls extraits à des températures plus élevées émettent plus de polluants que ceux extraits à des températures plus basses (...) En conséquence, il s'agit d'une méthode de récupération d'énergie et d'un sous-ensemble de la conversion des déchets en énergie. Cependant, l'utilisation de déchets plastiques comme combustible n'est pas une source d'énergie complètement propre.»
Comment ? Le consultant en environnement indique que lorsque ces matériaux sont chauffés à des températures élevées, des particules et d'autres polluants nocifs sont libérés avec des conséquences sanitaires et environnementales graves. Les toxines et polluants émis par le recyclage affectent les travailleurs, y compris les enfants, ainsi que les résidents vivant à proximité des installations de recyclage. La question que nous devrions nous poser est de savoir si nous avons la masse critique de plastiques spécifiques pour un tel projet. Nous devons faire attention à ne pas être obligés d'importer des déchets pour le rendre viable.
En chiffres
À l'île Maurice, 116 000 tonnes de déchets plastiques sont générées par an ; seules 3 000 tonnes sont recyclées (2,5 %) et 71 000 tonnes (61 %) sont mises en décharge. Quelque 42 000 tonnes finissent dans la nature, sans être comptabilisées. Même scénario pour les bouteilles en PET, sur les 130 millions utilisés annuellement, seuls 40 % sont recyclés.
Le «new greenwashing business»
Sunil Dowakasing va plus loin avec une autre perspective. «Le recyclage est après tout un business et les écologistes hardliners le classent comme un new greenwashing business. En réalité, le recyclage est plus que la simple récupération de matériaux recyclables ou le souci d'un meilleur environnement ou la contribution à la lutte contre la pollution plastique ; c'est un système économique complet pour constituer le solde bancaire des entreprises de recyclage.»
Le consultant précise qu'il serait injuste de dire que le recyclage des plastiques n'aidera pas à lutter contre la pollution plastique, mais les recycleurs et autres institutions ne devraient pas présenter cela comme LA solution. Même si le recyclage est préférable à la mise en décharge ou à l'incinération, ce n'est pas le processus le plus durable car il nécessite une quantité importante d'énergie.
Un rapport du Center for International Environmental Law de 2019 affiche que pour cette année l'extraction, le raffinage et la gestion des déchets de plastiques devraient émettre plus de 850 millions de tonnes métriques de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, équivalant aux émissions de 189 500 centrales au charbon de plusieurs mégawatts.
«À Maurice, à défaut de mettre en place les bonnes politiques pour interdire l'utilisation de plastique à usage unique sur les bouteilles PET et les emballages, nous nous cachons maintenant derrière les recycleurs pour faire face à une nuisance croissante. Les entreprises de recyclage ont pour objectif premier de générer des profits à partir des déchets, le souci de l'environnement est relégué au second plan.
Ne perdons pas de vue cela. Les problèmes liés au recyclage des plastiques ne constituent pas une attaque anti-recycleurs, mais sont absolument ancrés dans les faits. Les décideurs locaux doivent comprendre ce qui ne va pas avec les programmes de recyclage et prendre des décisions plus courageuses.»