Depuis le début de l'année, plus de 156 000 personnes ont été déplacées dans la province d'Ituri, dans l'est de la République démocratique du Congo, suite à une recrudescence des attaques et des affrontements entre groupes armés. Une violence qui touche également les structures de santé, à tel point qu'une partie de la population craint de s'y rendre.
« J'étais sur un lit d'hôpital avec mon bébé quand d'autres mamans sont arrivées et nous ont dit qu'il fallait fuir, explique Joécie, dont le fils de 17 mois souffrait de malnutrition sévère avec complications. Les gens couraient partout, c'était la panique. J'ai enveloppé mon enfant dans une couverture et je suis partie en laissant tout ce que j'avais. »
Ce jour-là, l'hôpital de Drodro, d'une capacité de 100 lits, s'est vidé en moins d'une demi-heure. Comme Joécie, les autres patients et le personnel de santé ont entendu les coups de feu se rapprocher et ont compris que leur seule option était de fuir le plus rapidement possible. Les attaques et les violents combats sont fréquents en Ituri depuis la résurgence, en 2017, de conflits armés sur fond de tensions communautaires.
Les structures de santé ne sont pas épargnées et c'est la troisième fois depuis le début de l'année que l'une d'entre elles est désertée de cette manière. Ce cycle de violences, d'attaques et de déplacements à répétition perturbe le fonctionnement du système de santé local de manière générale : actuellement, seules huit structures de santé sur seize sont fonctionnelles et accessibles dans la zone de Drodro.
« Je travaille avec MSF depuis 2015, mais je n'avais jamais vécu un événement pareil, voir un hôpital se vider aussi rapidement, explique Dr Kelly Tsambou, responsable des activités médicales MSF dans la zone de santé de Drodro. Les patients se sont mis à fuir. Ils étaient paniqués, rien ne pouvait les arrêter. Les structures de santé sont souvent utilisées comme lieu de refuge lors de conflits, mais ce n'est pas le cas ici. »
Cette violence a également une incidence sur la recherche de soins de certains patients, qui ont peur de se rendre dans les hôpitaux. Ils pensent que ces lieux pourraient être la cible d'attaques et ils ne s'y sentent pas en sécurité. « Imaginez que les populations de cette zone vivent dans ce conflit depuis des années et sur plusieurs générations, avec des déplacements à répétition, explique Grâce Longa Mugisa, conseillère en santé mentale pour MSF. Les images de massacres de leurs voisins ou des membres de leur famille leur reviennent constamment à l'esprit. C'est difficile de rester serein dans un tel contexte. »
Les équipes MSF sont confrontées à cette violence récurrente depuis leur arrivée dans la région en 2019. Pourtant, elles ont récemment été obligées d'adapter leurs interventions. « Nous avons décidé d'augmenter les moyens dédiés à certaines de nos structures, afin d'enrichir notre offre de soins et de nous rapprocher des communautés, explique Soumana Ayouba Maiga, coordinateur de projet pour MSF. Notre clinique mobile du camp de personnes déplacées de Rho s'est ainsi transformée en poste de santé avancé. » Depuis le début de l'année, le nombre de personnes habitant sur ce site est passé de 35 000 à 70 000.
L'augmentation des violences pèse lourdement sur les conditions de vie des habitants de cette région, qui compte désormais plus de 1,7 million de déplacés. « Ce qui m'inquiète le plus aujourd'hui, c'est l'accès à la nourriture, explique Micheline, qui accueille plusieurs personnes déplacées dans son foyer. On ne mange pas tous les jours, même les enfants. Ce n'est pas la période des récoltes en ce moment, donc il n'y a rien. Même l'eau potable est difficile à trouver. Nous sommes découragés. »