Il ne faudra pas perdre de vue que ces migrants, réfugiés ou demandeurs d'asile, fuient, dans leur majorité, des conflits armés, le terrorisme, le changement climatique, la pauvreté dans leurs pays d'origine. Ils sont protégés par un ensemble de lois et de conventions internationales auxquelles a adhéré la Tunisie depuis plusieurs décennies.
La ville est en ébullition depuis plusieurs mois. Selon ses habitants, excédés, Sfax s'est transformée en un lieu de regroupement des migrants subsahariens. Et comme il fallait s'y attendre, la tension est palpable. Le pire a eu lieu ces derniers jours. Des rixes entre habitants locaux et migrants ont abouti à un crime odieux, dont a été victime un Tunisien, dans des circonstances peu claires, alors que tous les témoignages confirment que l'attaque qui a entraîné la mort de cet homme, qualifiée par les autorités judiciaires d'homicide volontaire, a été commise par des Subsahariens.
Depuis plusieurs mois, la ville était plongée dans une grande effervescence. Les infrastructures sont mises à rude épreuve, les logements se font rares et le climat social dégradé par l'effet d'une pression migratoire constante. Pour les habitants, la situation est devenue insupportable, notamment dans certaines zones transformées de fait en ghettos.
Les différences culturelles et les frustrations accumulées se sont brusquement traduites par des confrontations violentes. Certains quartiers de Sfax sont plus touchés que d'autres, où se regroupent des migrants le plus souvent dans des conditions très précaires. Des rivalités éclatent, alimentées par des ressentiments de part et d'autre qui se développent au fil des jours. Les rixes, ayant eu lieu récemment, ne sont que la traduction d'un grand malaise des habitants et de la difficulté de concilier les aspirations des migrants et les réalités locales. Les conflits éclatent, créant des clivages au sein de la population, selon les sociologues.
Une situation qui a rapidement dégénéré donnant lieu à un crime. Lundi soir, un homme tunisien âgé de 38 ans a été poignardé par un migrant irrégulier, à Sakiet Eddaïer, trois suspects subsahariens ont été arrêtés, selon le ministère de l'Intérieur. Ce meurtre fait suite à trois nuits successives de violences et de heurts dans plusieurs quartiers de la ville de Sfax.
Trois nuits durant, des habitants et des migrants ont échangé des insultes avant de se jeter des projectiles. Ils ont également fait usage d'armes blanches. La situation a dégénéré faisant plusieurs blessés, alors que les forces de l'ordre ont eu recours au gaz lacrymogène pour tenter de maîtriser la situation. Il est à signaler que de nouvelles échauffourées ont éclaté mardi au soir, dans plusieurs quartiers comme à Sakiet Eddaïer, à Sidi Mansour, sur la Route de Gremda...
La position officielle
La riposte des autorités n'a pas tardé. Outre la rapide intervention sécuritaire, de hauts cadres du ministère de l'Intérieur ont été dépêchés à Sfax pour suivre de près la situation.
Le Président de la République, Kaïs Saïed, s'est réuni, pour sa part, au siège du ministère de l'Intérieur, avec le ministre Kamel Feki et plusieurs cadres. A ce titre, le Chef de l'Etat a tenu à préciser la position de la Tunisie qui « n'accepte le séjour sur son territoire que selon ses propres lois et refuse d'être une terre de transit ou d'installation des ressortissants subsahariens ». Et d'ajouter que la Tunisie est déterminée à ne surveiller que ses propres frontières.
Le Président Saïed s'est, en outre, demandé comment ces migrants, qui viennent en Tunisie après avoir parcouru des milliers de kilomètres, se dirigent-ils vers une ville ou un quartier en question. Est-ce qu'ils connaissent déjà ces villes et ces quartiers lorsqu'ils sont encore dans leurs pays respectifs ? Sont-ils des migrants ou des déplacés manipulés par des groupes criminels qui exploitent leur misère et ciblent la paix civile en Tunisie ? Tant de questions qui restent sans réponses.
Face à cette situation, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Unhcr) se drape dans le silence, bien que son propre siège à Tunis ait fait l'objet d'agressions, il y a deux mois. Cet organe avait d'ailleurs suspendu pour quelques semaines les activités d'enregistrement et de pré-enregistrement des demandeurs d'asile et des réfugiés qui ont repris depuis.
D'un autre côté, il ne faudra pas perdre de vue que ces migrants, réfugiés ou demandeurs d'asile, fuient, dans leur majorité, des conflits armés, le terrorisme, le changement climatique, la pauvreté dans leurs pays d'origine. Ils sont protégés par un ensemble de lois et de conventions internationales auxquelles avait adhéré la Tunisie depuis plusieurs décennies.
Par ailleurs, une fois interpellés, les migrants refusent de livrer des informations sur leur origine, identité, pays, ce qui rend quasiment impossible toute opération de rapatriement.
Politiques de fermeture des frontières et d'enfermement
Le porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) Romdhane Ben Amor, estime que la violence a migré des réseaux sociaux vers la vie réelle à Sfax, mettant en garde contre les discours haineux, xénophobes et racistes. « L'absence de l'Etat et de solutions dans le cadre des droits humains ont fait que les migrants sont perçus comme une menace à la paix sociale », a-t-il regretté. Il déplore un déplacement forcé des migrants vers les frontières libyennes, appelant les autorités à assumer leurs responsabilités et traiter le dossier dans le cadre de la loi et des droits humains. Romdhane Ben Amor interpelle, également, les Européens, estimant que l'Union européenne doit assumer la responsabilité de la crise des migrants en Tunisie, « accentuée par ses politiques de fermeture des frontières et d'enfermement ».
Sur la Toile, des images laissent voir, en effet, des scènes de maltraitance contre des migrants violentés et lynchés par la foule, massivement relayées par les internautes.
Pas plus tard qu'hier, des migrants ont été aperçus quittant Sfax par train. Des hommes, femmes et enfants tentent de regagner Tunis, dans l'espoir de contacter leurs ambassades pour un éventuel rapatriement.
Dans l'immédiat, les autorités sont appelées à agir. Alors que la position officielle de la Tunisie a été clairement exprimée par le Président de la République, il est temps de mettre les moyens qu'il faut pour sécuriser les frontières du pays. Car la majorité des flux migratoires passent par les frontières terrestres.