Tunisie: Violences contre les migrants subsahariens - Kais Saïed en mode boutefeu

Des réfugiés et des migrants sur un bateau sont secourus près de l'île italienne de Lampedusa, qui se trouve non loin des côtes tunisiennes. (archive)
analyse

Qui sème la haine, récolte la violence. Ce dicton n'est pas loin de traduire la situation dramatique et à la limite embarrassante, que traverse la Tunisie avec les violences contre les migrants subsahariens.

En effet, alors que les tensions consécutives à la mort d'un Tunisien poignardé, le 3 juillet dernier, lors d'une altercation avec des migrants noirs-africains à Sfax, dans l'Est du pays, peinent à retomber, le sort des ressortissants subsahariens continue d'inquiéter.

Ces derniers étant victimes de toutes sortes de représailles de la part de Tunisiens dont il est souvent difficile de faire la part des choses entre la colère légitime et ce qui confine à de la négrophobie.

Comment peut-il en être autrement quand le chef de l'Etat lui-même, se transforme en boutefeu, face à une situation où la sagesse recommande d'appeler au calme et à la retenue ? Est-il besoin de rappeler que c'est le président Kais Saïed qui, le premier, a mis le feu aux poudres et ouvert la porte des violences, en février dernier, par ses propos d'une rare violence et pour le moins « racistes et haineux », qui ont engendré des amalgames hautement dommageables aux ressortissants subsahariens dont certains n'ont eu leur salut que dans leur rapatriement par leurs pays respectifs ?

Ces violences contre les migrants subsahariens, sont la conséquence des propos tenus par le chef de l'Etat tunisien

Pendant ce temps, ceux qui n'ont pas eu la chance de quitter la Tunisie, ne savaient pas à quel protecteur se vouer. C'est dire si, au-delà du comportement de ses compatriotes, l'étincelle de l'épisode malheureux de la mort du jeune Tunisien à Sfax, a été attisée par le discours en amont du locataire du palais de Carthage.

Un discours présidentiel qui a provoqué le tollé général, y compris en Tunisie où des organisations non gouvernementales ont donné de la voix pour condamner les propos du chef de l'Etat. Quoi qu'il en soit, Robocop ne peut pas présenter, comme il l'a fait hier, l'immigration clandestine de subsahariens comme « une entreprise criminelle » visant « à changer la composition démographique du pays », et s'étonner aujourd'hui de la réaction de certains de ses compatriotes qui ne sont pas loin de charger ces pauvres- hères de tous les péchés de la Tunisie.

C'est dire si ces violences contre les migrants subsahariens, sont la conséquence des propos tenus par le chef de l'Etat tunisien. Et plus que quiconque, l'ascétique universitaire devenu président, porte la responsabilité du déchaînement de ses compatriotes contre les ressortissants noirs-africains.

Quoi d'étonnant alors, que des sources indiquent que depuis l'événement tragique de lundi dernier, de nombreux migrants subsahariens sont expulsés manu militari de la ville et convoyés vers la frontière libyenne ?

Autant dire qu'avec le déferlement de haine en lien avec les récents événements de Sfax et le spectacle désolant de migrants subsahariens traqués comme des bêtes, la Tunisie continue de renvoyer l'image de la pire version d'elle-même au reste du monde.

Le constitutionnaliste est un président en difficulté

C'est à peine si on reconnaît encore ce pays qui passait pourtant, aux yeux de nombreux subsahariens, pour le plus hospitalier de cette région septentrionale du continent africain. Mais l'histoire retiendra que c'est sous le magistère de Kais Saïed que les démons du racisme ont refait surface pour faire parler d'eux de la pire des manières avec cette hostilité à l'égard des ressortissants subsahariens, savamment encouragée et cautionnée au plus haut sommet de l'Etat.

Cela a des conséquences désastreuses pour l'image de ce pays nord-africain qui forçait pourtant le respect et l'admiration par la singularité d'une politique qui se voulait plutôt tolérante vis-à-vis des étrangers.

Et avec les récents événements, le paradis n'est pas loin de se transformer en enfer pour la communauté noire de Tunisie. Mais en surfant sur la fibre nationaliste sur fond d'une thèse conspirationniste, on se demande si Kais Saïed ne cherche pas à faire diversion voire à s'attirer la sympathie de ses compatriotes à l'effet de faire oublier ses propres échecs. Car, après près de quatre ans d'exercice d'un pouvoir qui a fini par prendre un virage autoritaire, Kais Saïed semble aujourd'hui à bout d'inspiration pour sortir son pays de l'ornière.

Et avec une économie à la peine, dont la relance peine à aller au-delà du simple slogan, un secteur du tourisme durement affecté successivement par les attaques terroristes, la pandémie du Covid-19 et la guerre en Ukraine, c'est peu de dire que le président tunisien est, au sortir du printemps arabe, encore loin de répondre aux aspirations de son peuple.

D'autant que sur le plan politique, le constitutionnaliste n'est pas moins un président en difficulté, avec les revers cuisants que son plan de redressement du pays a essuyés, malgré les pleins pouvoirs qu'il s'est arrogés après le limogeage du gouvernement et la dissolution du parlement en 2021.

En tout état de cause, le problème des migrants subsahariens qui transitent par les pays d'Afrique du Nord dans l'espoir de pouvoir faire la traversée pour l'Europe, n'est pas nouveau. Encore moins les exactions et autres tracasseries policières dont ces âmes errantes font souvent l'objet.

Mais c'est l'angle sous lequel le dirigeant tunisien aborde la question, qui est sujet à caution. C'est en cela que sans être directement l'instigateur de ces violences qui sont condamnables à tout point de vue, sa responsabilité n'en reste pas moins fortement engagée.

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