Karim Wade et Khalifa Sall sont-ils au bout de leur peine avec la révision du Code électoral qui les remet dans la course à la Présidentielle du 25 février prochain ? Deux juristes interrogés par Sud Quotidien soutiennent qu'ils sont obligés de faire profil bas s'ils ne paient pas les amendes (1,8 milliard pour Khalifa Sall et 136 milliards pour Karim Wade). En même temps, payer signifierait qu'ils acceptent implicitement leur culpabilité de détournements de deniers publics.
Les partisans de Khalifa Ababacar Sall et Karim Meïssa Wade ont explosé de joie ce samedi 5 août, suite à l'adoption par l'Assemblée nationale, par 124 voix contre une seule, du projet de loi N°12/2023 modifiant la loi N°2021-35 du 23 juillet 2021 portant révision du Code électoral.
Une modification, particulièrement en ses articles L.29, L.31 et L.57 qui permettent à ces deux candidats déclarés de retrouver leurs droits civiques et politiques dont ils ont été déchus, suite à des condamnations par la justice. L'ancien maire de Dakar, rappelle-t-on, avait écopé d'une peine 5 ans de prison ferme assortie d'une amende de 1,8 milliard de FCFA.
Quant à l'ancien ministre d'Etat, ministre de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures, il a été condamné à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d'amende pour enrichissement illicite.
Interpellés, deux professeurs agrégés en Droit constitutionnel, soutiennent que les militants de Takhawu Sénégal et du Parti démocratique sénégalais (PDS) devraient plutôt mettre la pédale douce et surtout, ne pas verser dans la radicalité de l'opposition. Pour cause, un des professeurs qui faisait parti des Rédacteurs de la Constitution de 2001, «le Président de la République peut toujours se servir de cette amende non payée comme une sorte d'épée de Damoclès pour les rappeler à l'ordre». «Imaginez que Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall s'embrouillent avec le Chef de l'Etat ? Il peut toujours exiger qu'ils paient l'amende sinon, il va leur appliquer une contrainte par corps. Le cas échéant, ils vont retourner en prison. C'est ce que prévoit la loi», précise ce professeur agrégé en Droit public. Et d'ajouter : «il faut qu'ils se tiennent à carreau. Ils sont obligés de la jouer douce jusqu'à l'élection présidentielle».
Son collègue embouche la même trompette. «Les gens auraient dû négocier l'amnistie qui efface tous les faits», plaide-t-il. «Mais, cette modification permet à Macky Sall de tirer toujours les ficelles. Tout se fera selon son bon vouloir. Karim Wade et Khalifa Sall auront toujours ce poids et cette psychose de retourner en prison s'ils ne paient pas l'amende», souligne-t-il.
Quid de la validation de leur candidature par le Conseil constitutionnel ? Sur cette question, nos deux juristes ont des avis divergents. Pour l'un, «le Conseil constitutionnel ne s'autosaisit pas et un quidam n'a pas intérêt à agir dans ce cas d'espèce pour contester la candidature de Khalifa Sall et Karim Wade. Parce que l'amende ne fait pas partie des conditions d'éligibilité. Il n'y a que le gouvernement qui peut leur contraindre à payer». «D'ailleurs, rappelle-t-il, des amis de Khalifa Sall avaient voulu à l'époque payer le montant supposé détourné, mais le juge avait refusé parce qu'il avait décidé de le condamner».
En revanche, son collègue soutient que le Conseil Constitutionnel peut évoquer ce non paiement de l'amende pour récuser leur candidature. «C'est simple. Prenez l'exemple du quitus fiscal. Si vous n'en disposez pas, on peut vous opposer l'absence de bonne moralité. Pour qu'ils aient l'esprit tranquille et qu'ils soient à l'abri de toute surprise, il n'y a pas 36 solutions, il faut payer».
PAYER EQUIVAUDRAIT A ACCEPTER SA CULPABILITE
Beaucoup d'analystes politiques s'étonnent que Khalifa Ababacar Sall et Karim Meïssa Wade soient remis dans la course à la présidentielle du 25 février 2024 alors qu'ils ont été reconnus coupables, par la justice sénégalaise, d'avoir détourné de deniers publics, alors que Ousmane Sonko qui a un différend avec deux sénégalais (Adji Raby Sarr et Mame Mbaye Niang) en soit exclu. D'autres estiment que le leader de l'ex-parti Pasfef est victime de sa jeunesse en refusant de prendre part au dialogue national initié par le Chef de l'Etat. Le Président de la République avait déjà averti via une raillerie en langue wolof : «Kou guedd sa yaya ayé».
Aujourd'hui que le Code électoral a été modifié, Khalifa Sall et Karim Wade vont-ils enlever l'épine de l'amende à leur pied ?
C'est un dilemme cornélien difficile à résoudre. Parce que payer équivaudrait à reconnaître implicitement sa culpabilité. Refuser de payer, c'est aussi apporter de l'eau au moulin de leurs détracteurs qui les perçoivent comme des délinquants économiques. Me Moussa Diop, candidat à la candidature pour la Présidentielle 2024, a déjà annoncé les couleurs sur les plateaux de télévision (Sen TV). Voilà pourquoi, Karim Wade exige la révision de son procès en espérant être blanchi.
«Khalifa Sall attend l'amnistie, Karim Wade lui demande une révision de son procès. Cela ne sera possible qu'à travers le dialogue», avait déclaré dans l'émission Yoon Wi sur la RFM, le Président de la République. Finalement, il n'y a eu ni révision du procès, ni amnistie. En lieu et place, le dialogue a débouché sur une révision du Code électoral qui les remet en selle tout en les maintenant en sursis.