Dans la mort, comme c'est si beau et bon de voir les êtres mortels retrouver leur humanité dans ce monde qui se déshumanise, de jour en jour ! Depuis mardi dernier, sous une fine pluie qu'est tombée sur nous la mauvaise nouvelle du départ du deuxième Président de la République de Côte d'Ivoire, président du Pdci, Henri Konan Bédié, j'aime, avec autant de fierté, cette Côte d'Ivoire rassemblée, du coup, qui se retrouve pour pleurer un de ses dignes fils.
30 ans après Félix Houphouët-Boigny, bâtisseur de la Côte d'Ivoire moderne, cette Côte d'Ivoire nourrie aux mamelles du dialogue, comme il était beau et bon ce tableau dans la tristesse de tous les fils rassemblés ! Cet élan de compassion et d'affliction mêlées qui témoigne de la façon dont un peuple, frappé dans son âme, exprime sa peine, était touchant. Plus de partis politiques ! Plus de palabres ! La Nation orpheline.
Les grandes douleurs qui savent rassembler ne sont plus muettes. Elles disent la force de l'union qui permet, partout, de triompher de tous les périls. C'est notre pays, tirant dans cette unité retrouvée dans le malheur, la force d'accepter cette survenue du néant et de se résigner à y croire.
Tableaux saisissants : le Chef de l'État et son épouse, visiblement effondrés, aux côtés de la veuve, des orphelins et des familles alliées. En soutiens primordiaux. Pour leur dire : «Séchez vos larmes, vous n'êtes pas seuls !» Les images parlent d'elles-mêmes. Comment pouvait-il en être autrement ? Le Président Alassane Ouattara l'appelait «Mon grand frère».
Drapeau en berne. Dix jours de deuil national décrétés. Suspension de toutes les cérémonies commémoratives de la fête d'indépendance. Décision républicaine certes, mais qui porte en elle la marque d'une grande estime à son aîné, malgré les écueils nés de l'épreuve de l'exercice et de la conquête du pouvoir.
La mort sera toujours là pour nous rappeler le point fixe. Celui qui nous invite à cultiver, sans cesse, la fraternité, au-delà de nos petites divisions nées de ce «machin» appelé démocratie. Sans laquelle, nous disaient ceux qui veulent gérer le continent comme leur chose, point de développement.
Dans ces moments de deuil qui dépassent la famille biologique, j'ai vu comment les Ivoiriens pouvaient taire leurs querelles pour revivre ensemble. Comme hier, sans divisions majeures. Comme hier, sans ces replis identitaires qui sourdent et grondent, malgré les progrès réalisés.
Je comprends pourquoi, même aujourd'hui, j'ai une aversion pour la démocratie. Je n'y crois pas ! Elle nous va si mal, en plus ! Traitez-moi de tous les noms d'oiseaux, je vous dirai ceci : «Jamais nous ne fûmes si divisés quand est venu ce vent nouveau, tombé sur nous comme une «nuée de sauterelles sauvages», divisant la maison si dialoguante, si fraternelle !
Ce mardi noir-là, tout le monde était là, je ne parle pas des partis politiques. J'y ai vu toute une Nation unie dans la douleur. Au-delà de nos querelles politiques, il faut saluer ce vaste mouvement national, cette union des coeurs et souhaiter que d'elle, le vaste chantier du Président de la République, plus solide qu'un pont, celui de la réconciliation nationale définitive de tous les coeurs, trouve un terrain plus propice.
Il est en marche, même s'il est rendu difficile à cause de ce médicament dont le mode d'emploi nous rend si malade : la démocratie qui soulève tant de palabres de tous ordres, avec ses élections-palabres, toujours contestées par les perdants, qui virent, sans cesse, aux émeutes, aux tueries, aux désordres ; entravant ainsi le long chemin qui mène à l'unité nationale, force d'une Nation.
C'est toujours dans les grandes douleurs, qui font mal, qu'un peuple, dépassant ses contradictions inévitables, arrive à choisir entre se re-entendre et vivre de fraternité fécondante et s'enfermer dans des blocs de division inféconds. J'aime cette Côte d'Ivoire du vivre-ensemble.
Merci au Président Henri Konan Bédié qui part un premier août, six jours avant la célébration, le 7 août, de la fête d'indépendance, dont le décès rappelle, étrangement, dans le moment et dans la douleur, celui dont il fut le successeur : un jour de fête nationale, un 7 décembre pour Félix Houphouët-Boigny.
Il a vécu en patriote têtu et entêté, il meurt comme savent partir les grands hommes. Sous une fine pluie, la nuit. Sans bruit. On l'appelait N'Zuéba (petite pluie).
Que sa mort «soit cendres pour les semailles d'hivernage !», aurait dit le Président poète Léopold Sédar Senghor .