Sénégal: Montée de la tension sous fond de traque des opposants et d'incertitude sur la présidentielle - Jean Charles Biagui pointe l'absence d'une culture politique démocratique et la faiblesse de la société civile

Ousmane Sonko, leader du Pastef

Enseignant chercheur en Sciences politiques à la Facultés des Sciences juridiques et politiques de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, Jean Charles Biagui nous livre sa lecture de la situation de crise politique que traverse le Sénégal sous fond de montée de la tension soutenue par l'emprisonnement du maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, suivi par la dissolution de son parti Pastef Les Patriotes et la traque de ses partisans.

Mais aussi de l'incertitude qui plane sur la présidentielle de 2024 du fait de la position de sursis des candidats potentiels du côté de l'opposition et de l'absence de candidat pour la majorité. Interpellé par Sud quotidien, Jean Charles Biagui indique que cette tension sociale et politique s'explique par l'absence d'une culture politique démocratique et d'autre part la faiblesse de la société civile.

« Nous sommes actuellement au Sénégal dans le contexte d'un système politique de plus en plus autoritaire et aux antipodes des idées qui fondent la démocratie libérale. Le gouvernement est de plus en plus autoritaire et répressif. C'est le règne de l'arbitraire. Les libertés fondamentales sont confisquées par les dirigeants. La tension sociale et politique persiste. La crise est manifeste et le Sénégal inquiète. Comment en est-on arrivé là ? Deux raisons fondamentales peuvent être avancées pour expliquer cet autoritarisme grandissant. D'une part, l'absence d'une culture politique démocratique et d'autre part la faiblesse de la société civile. La culture politique renvoie aux normes, valeurs et croyances qui définissent nos attitudes et comportements politiques. Dans un pays comme le Sénégal, ces normes, ces valeurs et croyances ne s'inscrivent pas dans une perspective de reconnaissance du pluralisme politique.

D'abord, c'est ce qui explique dans une certaine mesure que les gouvernants, particulièrement ceux qui sont actuellement en place ne donnent pas une place importante à la persuasion ou à la délibération. L'unilatéralisme l'emporte toujours. Lorsque vous entendez Macky Sall et ses ministres ou alliés s'exprimer, ils confondent souvent l'État et le gouvernement. Dans leur discours, ils sont l'État. Ensuite, cette culture politique non démocratique est également liée au régime politique sénégalais qui donne trop de pouvoir au président de la République qui, malheureusement, a une marge de manoeuvre incompréhensible dans un système qui se veut démocratique.

Enfin, nos dirigeants font comme beaucoup d'individus une mauvaise interprétation des idées de Machiavel. La raison d'Etat telle qu'elle est théorisée par ce dernier ne signifie nullement que le dirigeant doit agir conformément à la préservation de ses intérêts privés. Machiavel est avant tout un nationaliste. Il était intéressé par la défense des intérêts de la Florence et de l'Italie. Et dans cette perspective, tous les moyens doivent être mobilisés par le prince quel que soit leur coût. C'est un manque de culture que de comprendre Machiavel autrement.

S'agissant de la société civile, elle est malheureusement encore faible. Les organisations qui s'en réclament n'arrivent pas à oeuvrer afin que l'État ne sombre pas dans la dérive autoritaire. Elles n'ont pas, pour la plupart d'entre elles une autonomie par rapport au gouvernement. Elles sont souvent préoccupées par les perdiems, les strapontins, la captation des ressources du gouvernement ou des grandes ONG occidentales. C'est la raison pour laquelle, certaines associations ne s'intéressent qu'aux thématiques qui reçoivent des financements considérables comme le fichier électoral, la conscientisation et la mobilisation des électeurs, la supervision des élections...

Ainsi, nous avons globalement une société civile qui, dans ses modalités d'action n'est pas très différente de la société politique, en particulier les dirigeants politiques. Les libéraux considèrent à juste titre qu'on ne peut pas parler de démocratie sans une société civile autonome, capable par des mobilisations collectives de barrer la route à l'autoritarisme des gouvernants. Au Sénégal, nous ne sommes malheureusement pas dans cette dynamique. Le Sénégal est dans une situation délicate.

C'est parce qu'il était dos au mur que Macky Sall a annoncé, la mort dans l'âme, sa volonté de ne pas se représenter. Il n'a donc pas encore tourné la page du pouvoir. Il faut qu'il soit réaliste. Ses partisans et lui-même n'ont rien à gagner d'un contexte crisogène. Par conséquent, le chef d'Etat Macky Sall doit apaiser très rapidement le contexte social et politique en libérant tous les détenus politiques, en mettant un terme à cette instrumentalisation de la justice dont le seul but est d'empêcher la candidature de Ousmane Sonko. Il s'agira ainsi d'oeuvrer à la fin de cette théâtralisation du débat politique qui n'honore pas le pays ».

A quelques mois de son départ, il ne faut pas demander au Président Macky Sall plus que cela. En plus d'une décennie, il n'a pas trouvé des solutions à la vie chère, au chômage. Il faut juste qu'il parte en nous laissant un pays en paix ».

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