Rwanda: Paul Kagamé à nouveau candidat - Un règne aussi long que le longiligne de Kigali

Le président de la République du Rwanda, Paul Kagame
analyse

Ce n'est pas vraiment une surprise, on s'en doutait un peu. Mais c'est désormais frappé du sceau officiel. A la faveur d'une de ses exclusivités régulières avec Jeune Afrique et son ami François Soudan, le président rwandais Paul Kagamé a en effet annoncé qu'il comptait briguer un quatrième mandat lors de l'élection présidentielle d'août 2024.

Arrivé au pouvoir après le génocide qui a fait 800 000 morts entre avril et juillet 1994 et après avoir écarté pasteur Bizimungu, président postiche qui a dirigé le pays entre 1994 et 2002, l'ancien chef rebelle est devenu le seul maître du navire battant pavillon rwandais qu'il dirige en réalité depuis bientôt 30 ans. Et il n'est pas prêt de débarquer, bien au contraire. Cette nouvelle candidature après celles de 2000, 2010 et 2017 a en effet été rendue possible par la réforme constitutionnelle de 2015 qui lui laisse la liberté de rester au pouvoir jusqu'en 2034. Si tout se passe bien, il aura alors 77 ans dont 40 années passées au pouvoir. A moins qu'un obstacle biologique l'en empêche, on ne voit pas ce qui peut arrêter «l'homme mince» de Kigali qui est parti pour un règne aussi interminable que sa silhouette longiligne.

Paul Kagamé symbolise à lui seul cette espèce de géométrie variable non seulement des puissances occidentales, pour ne pas dire impérialistes, mais aussi des panafricanistes à tous crins. On l'a encore vu récemment à la faveur des nombreux putschs qui ont émaillé le continent.

Pendant que certains sont tolérés et même soutenus à l'image de Mahamat Idris Déby qui a hérité du pouvoir de papa tombé au front et du général Brice Clotaire Oligui Nguéma au Gabon, d'autres dirigeants qui ont commis les mêmes péchés sont considérés comme de véritables pestiférés à l'image des militaires à la tête des juntes sahéliennes en ce moment, le général Abdourahamane Tchiani au Niger, le capitaine Ibrahim Traoré au Burkina et le colonel Assimi Goïta au Mali. Chose qui nourrit d'ailleurs le ressentiment vis-à-vis de certaines puissances, notamment la France et qui montre que le souci de la communauté internationale n'est peut être pas vraiment la promotion de la démocratie et des droits de l'homme mais d'autres intérêts inavoués. Cela vaut non seulement pour les putschs militaires mais aussi pour les coups d'Etat constitutionnels dont l'Afrique est malheureusement coutumière. A ce propos, on a le sentiment qu'on pardonne à peu près tout à certains dirigeants. Ce qu'on a refusé à certains chefs d'Etat comme Blaise Compaoré, Alpha Condé, Alassane Ouattara, et qui a été pour certains le motif de leur départ forcé du pouvoir, on le concède à Kagamé qui lui sera à son quatrième mandat.

La communauté internationale qui a peut-être beaucoup de choses à se reprocher dans la survenue et l'exécution du génocide ferme, elle, les yeux sur les violations des droits de l'homme, les privations des libertés individuelles et collectives et même les assassinats ciblés d'opposants en exil en Afrique du Sud ou au Mozambique.

Ce deux poids, deux mesures n'a rien de nouveau. De tout temps, au gré de leurs intérêts du moment, les Occidentaux ont soutenu et même porté à bout de bras de véritables satrapes qui martyrisaient leur peuple. Paul Kagamé a d'ailleurs bon ton d'affirmer que ceux qui veulent dupliquer ailleurs leur modèle démocratique sont eux-mêmes antidémocratiques.

Dans son interview, le dirigeant rwandais n'a pas manqué de mettre en garde également ses opposants, notamment Paul Rusesabagina. L'homme dont l'histoire vraie a inspiré le célèbre film Hotel Rwanda a été condamné en 2021 à 25 ans de prison pour terrorisme avant d'être finalement gracié et exilé aux Etats-Unis. «Peu importe ce dont nous avions convenu en coulisses, là où il se trouve aujourd'hui, cet individu a repris ses anciennes méthodes. Nous verrons comment gérer cela plus tard», a prévenu Paul Kagamé.

Paul Rusesabagina sait donc ce qui lui reste à faire : la boucler et se tenir à carreau s'il ne veut pas subir le même sort que d'autres avant lui.

A la décharge du numéro 1 rwandais, si c'est vraiment une décharge, il faut lui reconnaître le mérite d'avoir fait progresser considérablement son pays sur les plans socio-économique et environnemental, chose qui lui vaut des lauriers que même ses pires détracteurs lui reconnaissent volontiers. Mais cela devrait-il être une excuse absolutoire ? Pour certains en tout cas, on peut bien être un autocrate bon teint, pourvu que les chiffres en matière d'éducation, d'accès à l'eau potable, de santé, soient bons. C'est là un paradoxe bien africain.

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