Liberia: «Les Libériens ont eu le sentiment que George Weah les a trahis»

Les Libériens se rendront aux urnes le 10 octobre 2023 pour élire un président et un vice-président, 15 sénateurs et 73 membres de la Chambre des représentants, la quatrième élection depuis la fin de la guerre civile dévastatrice du pays en 2003.
interview

Au Liberia, près de 2,4 millions d'électeurs sont amenés à choisir leur président le 10 octobre 2023. Parmi les candidats en lice figure le chef de l'État sortant, George Weah, qui brigue un second mandat. Le bilan de ses six années passées à la tête du pays reste toutefois mitigé. Pour le politologue Abdullah Kiatamba, l'ex-superstar du football élue en 2018 « n'a pas assez affiché de volonté politique pour dire qu'il allait mettre fin à la corruption », notamment.

Au début de son mandat en 2018, George Weah apparaissait comme la personne idéale pour mettre fin au système en place depuis des décennies. L'ancienne star du football s'adresse aux jeunes et applique notamment une réforme dans le secteur de l'éducation : la gratuité des inscriptions à l'université. La gratuité aussi, du West African Senior School Certificate Examination (WASSCE), un examen ouest-africain d'entrée dans le secondaire. Weah espère ainsi améliorer l'accès à l'école publique et faire reculer l'illettrisme.

Sur le plan économique, George Weah entame la reconstruction de certaines routes. Mais les chantiers sont énormes et prennent du temps. Il est pris de court par l'épidémie de Covid-19 et par la crise qui secoue les marchés internationaux. En 2019, plusieurs entreprises publiques cumulent des retards de salaire : cela concerne près de 15 000 fonctionnaires. La colère gronde. L'année suivante, l'inflation atteint les 25%... Et les scandales financiers se multiplient. L'année dernière, le Trésor américain a sanctionné trois hauts responsables du gouvernement accusés d'être impliqués dans des affaires de corruption.

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RFI : Comment expliquer le bilan en demi-teinte de George Weah, qui est à la tête du Liberia depuis 2018 ?

Abdullah Kiatamba : Son accession au pouvoir était une révolte contre l'establishment. Il s'en est bien tiré en matière d'éducation. Puis il y a eu ce choc externe, la pandémie de Covid-19. Plusieurs facteurs ont ensuite conduit à des révoltes de masse contre son régime. Les Libériens ont eu le sentiment que George Weah les a trahis.

Pourquoi les Libériens se sont-ils sentis trahis ?

L'une des premières erreurs, c'est lorsqu'il a commencé par construire sa propre maison : c'est une bâtisse toute jolie, entièrement rénovée. Ensuite, il y a eu l'évaporation d'argent au niveau du gouvernement et quelques signes de corruption. Tous ces faits ont été exploités. Les gens en colère sont ensuite descendus dans les rues. Puis George Weah s'est mis à perdre du terrain aux élections locales : au Parlement, il a perdu plusieurs sièges. Donc, après son arrivée au pouvoir, son parti a reculé. On observe un déclin sur le fond, en termes d'adhésion du public. Cette élection permettra de mesurer tout cela.

Comment George Weah a-t-il géré ces critiques ?

Lorsqu'il y avait des critiques, il s'est enfermé dans le silence. Il évite les débats. Ce n'est pas une personne qui aime s'exprimer fréquemment, comme le faisait Ellen Johnson Sirleaf [présidente du Liberia avant Weah, de 2006 à 2018, NDLR]. Dès qu'il y a une crise majeure dans le pays, au lieu de répondre aux interrogations et de les rassurer, il disparaît. Donc cette élection sera un test de sa popularité, parce que des oppositions fortes se sont exprimées contre sa personnalité.

Comment expliquer le fait que George Weah ne s'est pas attaqué aux problèmes de corruption ?

La corruption est ancrée dans le système. Des personnalités de l'entourage de George Weah ont été accusées de corruption, mais aucune sanction n'a été prise. Il n'y a pas de politique cohérente qui s'attaque à tous les aspects de la corruption. Les États-Unis ont d'ailleurs sanctionné des personnalités au Liberia. C'étaient des sanctions fortes du gouvernement américain contre des officiels du gouvernement.

Weah a échoué sur ce plan. Car les personnes, censées sanctionner, sont elles-mêmes accusées de corruption. Weah n'a pas assez affiché de volonté politique pour dire qu'il allait mettre fin à la corruption. Et de montrer l'exemple en sanctionnant telle ou telle personnalité. Il n'avait pas de volonté politique. Les gens ont eu l'impression qu'il tolérait la corruption. Et dans une certaine mesure, les gens pensent qu'il en a même bénéficié, car les personnes de son entourage le plus proche étaient visées par ces accusations.

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