Rwanda: Un « manuel » mondial d'abus pour faire taire les critiques

Paul Kagame, Président du Rwanda
communiqué de presse

Parmi les tactiques figurent des attaques violentes, l'utilisation abusive des mécanismes d'application de la loi, la surveillance, le harcèlement, et le ciblage des proches

  • Les autorités rwandaises et leurs intermédiaires utilisent la violence, les mécanismes judiciaires et l'intimidation pour tenter de faire taire les critiques émises par des Rwandais vivant dans le monde entier.
  • Des Rwandais installés à l'étranger ont recours à l'autocensure, s'abstiennent de s'engager dans l'activisme politique et vivent dans la peur de voyager, d'être agressés ou de voir leurs proches pris pour cible au Rwanda.
  • Les partenaires du Rwanda devraient ouvrir les yeux sur les conséquences de trois décennies d'impunité du parti au pouvoir, reconnaître cette répression de grande ampleur pour ce qu'elle est et exiger qu'elle cesse.

(New York) - Les autorités rwandaises et leurs intermédiaires utilisent la violence, les mécanismes judiciaires et l'intimidation pour tenter de faire taire les voix critiques de Rwandais vivant dans le monde entier, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Ces pratiques sont mises en oeuvre afin de préserver l'image positive du Rwanda, d'étouffer la dissidence qui pourrait émerger depuis l'étranger et de renforcer le message dissuasif selon lequel il y a un prix à payer pour les détracteurs au sein du pays.

Dans le rapport de 129 pages, intitulé « "Rejoins-nous ou tu mourras" : La répression extraterritoriale exercée par le Rwanda », Human Rights Watch documente un large éventail de tactiques qui, lorsqu'elles sont utilisées conjointement, forment un écosystème mondial de répression, visant non seulement à museler les voix dissidentes, mais aussi à dissuader les détracteurs potentiels. La combinaison de la violence physique, y compris les meurtres et les disparitions forcées, de la surveillance, du recours abusif aux organismes d'application de la loi - à la fois nationaux et internationaux -, des abus à l'encontre des proches au Rwanda et des atteintes à la réputation par le biais du harcèlement en ligne constitue une tentative évidente d'isoler les détracteurs potentiels.

« Les Rwandais à l'étranger, même ceux qui vivent à des milliers de kilomètres du Rwanda, ont recours à l'autocensure, s'abstiennent de s'engager dans tout activisme politique et vivent dans la peur de voyager, d'être agressés ou de voir leurs proches pris pour cible au Rwanda », a déclaré Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. « Les partenaires du Rwanda devraient ouvrir les yeux et voir les efforts de grande ampleur déployés par Kigali pour ce qu'ils sont : la conséquence de trois décennies d'impunité du parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 150 personnes à travers le monde à propos des tactiques mises en oeuvre par les autorités rwandaises et leurs intermédiaires pour cibler les Rwandais à l'étranger. Human Rights Watch a documenté des abus perpétrés contre des Rwandais vivant en Afrique du Sud, en Australie, en Belgique, au Canada, aux États-Unis, en France, au Kenya, au Mozambique, en Ouganda, en Tanzanie et au Royaume-Uni, ainsi que contre leurs proches au Rwanda.

Leurs récits témoignent de la nature implacable des attaques contre ceux qui s'opposent au gouvernement ou qui refusent simplement de le soutenir ou de rejoindre son réseau d'associations de la diaspora dans le monde. Plusieurs tactiques sont souvent utilisées conjointement, si bien que si une tactique échoue, d'autres seront déployées afin de venir à bout de la personne visée. Du fait de leur refus de retourner au Rwanda et de leur capacité à critiquer les autorités rwandaises depuis l'exil, les réfugiés et les demandeurs d'asile compromettent également, de manière inhérente, l'image que les autorités cherchent à renvoyer - celle d'un pays duquel les citoyens n'ont pas besoin de fuir.

Human Rights Watch a documenté plus d'une dizaine de meurtres, d'enlèvements ou de tentatives d'enlèvement, de disparitions forcées et d'agressions physiques visant des Rwandais à l'étranger. Le gouvernement rwandais a cherché à utiliser la coopération policière internationale, y compris les notices rouges d'Interpol, les mécanismes judiciaires et les demandes d'extradition pour demander l'expulsion de détracteurs ou de dissidents vers le Rwanda.

Les personnes interviewées ont rapporté que, dans de nombreux cas, leurs proches au Rwanda ont été la cible de détentions arbitraires, d'actes de torture, de harcèlement et de restrictions des déplacements afin de punir, de museler ou encore d'exercer une pression sur les membres de leur famille vivant à l'étranger.

Le président rwandais Paul Kagame et le Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir, ont souvent été salués pour avoir reconstruit un pays presque entièrement détruit après le génocide de 1994. Alison Des Forges, conseillère senior auprès de la division Afrique chez Human Rights Watch pendant près de deux décennies, a publié un rapport de référence sur le génocide rwandais, intitulé « Leave None to Tell the Story »Aucun témoin ne doit survivre » en français) et a documenté l'indifférence et l'absence d'action de la part de la communauté internationale.

Depuis son arrivée au pouvoir, le FPR a mis en oeuvre un ambitieux programme de développement et il s'est efforcé de changer l'image du Rwanda à l'échelle internationale. Le gouvernement a entrepris d'attirer des investissements, de favoriser le tourisme et d'accueillir des événements de haut niveau tels que le premier tournoi de la Ligue africaine de basket-ball en mai 2021 et la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (Commonwealth Heads of Government Meeting, CHOGM) en juin 2022.

Ces avancées n'ont pas été accompagnées de progrès en matière de droits civils et politiques. Le gouvernement a érigé en infraction pénale la propagation d'une « opinion internationale hostile » au gouvernement rwandais et l'utilise pour intimider et engager des poursuites contre des détracteurs et journalistes à l'intérieur du Rwanda.

Alors que le Rwanda, qui dirige des institutions multilatérales et est devenu l'un des principaux pourvoyeurs de troupes pour des opérations de maintien de la paix sur le continent africain, occupe désormais une place plus importante sur la scène internationale, les Nations Unies ainsi que les partenaires régionaux et internationaux du Rwanda détournent le regard quant à la portée et la gravité des violations des droits humains commises par ce pays.

Au Mozambique, par exemple, où le déploiement des troupes rwandaises en 2021 a été salué pour avoir restauré la paix et la sécurité dans la province du Cabo Delgado, Human Rights Watch a documenté deux meurtres, une disparition forcée et deux tentatives d'enlèvement visant des Rwandais, depuis mai 2021. Plusieurs réfugiés rwandais au Mozambique ont indiqué avoir été menacés par des représentants de l'ambassade rwandaise.

Un réfugié rwandais interviewé à Maputo, la capitale mozambicaine, a raconté : « J'ai peur tout le temps. J'ai peur quand je vois une voiture s'arrêter derrière moi. J'ai peur quand quelqu'un [vient sur mon lieu de travail]. Je suis prêt à être tué à tout moment maintenant. J'ai refusé de retourner au Rwanda, alors ils vont me tuer. Il n'y a nulle part où aller. Ce n'est pas sûr ici, mais ce n'est sûr nulle part. »

Les personnes interviewées ont expliqué comment, avant que les attaques documentées dans le rapport n'aient lieu, les victimes ont été menacées par des individus qui faisaient partie du gouvernement rwandais ou y étaient étroitement liés. L'implication de ces individus, en particulier lorsqu'elle est associée à la persécution des détracteurs du gouvernement au sein même du Rwanda, soulève des préoccupations sérieuses et plausibles quant à la possibilité d'une tolérance, d'un assentiment ou d'une collusion de l'État à l'égard de ces attaques.

Human Rights Watch a aussi constaté que des responsables d'ambassades rwandaises ou des membres de la Communauté des rwandais à l'étranger (Rwandan Community Abroad, RCA), un réseau mondial d'associations de la diaspora liées au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, ou d'autres personnes qui leur sont liées, ont surveillé les Rwandais à l'étranger et exercé des pressions sur eux afin qu'ils les rejoignent, qu'ils retournent au Rwanda ou qu'ils mettent un terme à leurs critiques à l'égard du gouvernement.

Plusieurs personnes vivant en exil, y compris des rescapés du génocide, ont raconté qu'elles ont été attaquées en ligne pour avoir critiqué le parti au pouvoir. Certaines personnes interviewées ont déclaré que, dans certains cas, les membres de leur famille avaient été forcés de les dénoncer sur les chaînes YouTube pro-gouvernementales.

Le ciblage des proches est une forme de contrôle particulièrement vicieuse dont l'usage montre comment le système de répression à l'étranger va bien au-delà des cas médiatisés d'assassinats, de tentatives d'assassinat et de disparitions, a déclaré Human Rights Watch.

En prenant pour cible les dissidents réels ou supposés à l'étranger ainsi que leurs proches, les autorités rwandaises ont violé un éventail de droits, notamment les droits à la vie, à la sécurité physique et à la liberté, le droit de ne pas être soumis à la torture, le droit à la vie privée, le droit à un procès équitable, la liberté de mouvement, ainsi que la liberté d'expression et d'association.

« Les récits de Rwandais à l'étranger révèlent les efforts extraordinaires que le gouvernement rwandais est prêt à déployer et les moyens à sa disposition pour attaquer ses opposants », a conclu Tirana Hassan. « Les gouvernements du monde entier ainsi que les institutions régionales et internationales devraient tenir le Rwanda responsable de ses violations des droits humains sur son territoire et à l'étranger. »

Pour consulter le « Questions et Réponses » sur le rapport, veuillez suivre le lien : https://www.hrw.org/fr/news/2023/10/10/la-repression-extraterritoriale-menee-par-le-rwanda

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