Matthias Raynal est correspondant en Guinée lorsque, le 28 septembre 2022, s'ouvre un procès pour crimes de masse, le premier de l'histoire du pays. 13 ans plus tôt, à la même date, plus de 150 personnes furent massacrées par les forces de sécurité, lors d'un meeting de l'opposition, au stade de Conakry.
Installé dans la capitale guinéenne depuis 2021, où il collabore notamment avec RFI et TV5 Monde, Matthias Raynal consacre une grande partie de son travail à ce procès. Avant de venir en Guinée, il était correspondant en Tunisie et au Maroc.
Le 4 novembre, un commando armé a exfiltré quatre des principaux accusés de la maison centrale, dont l'ex-chef de la junte Moussa Dadis Camara. Si ce dernier et deux autres sont retournés en prison le soir même, Claude Pivi est toujours en cavale, et certaines victimes ne se sentent plus en sécurité. Jusqu'à quel point l'évasion peut faire vaciller le procès du massacre du 28 Septembre, qui doit redémarrer ce lundi avec les témoins ?
Il fait encore nuit, lorsque, au petit matin, deux pickups, dont un surmonté d'une mitrailleuse lourde, et une moto quittent la maison centrale de Conakry. L'impensable vient d'avoir lieu : à Kaloum, quartier le plus sécurisé de la capitale de la Guinée, l'un des bâtiments les mieux gardés a été attaqué par un commando armé et quatre accusés du très médiatisé procès du 28 septembre 2009 ont pris la fuite.
Parmi eux, il y a Moussa Dadis Camara, chef de L'État à l'époque des faits, mais aussi Moussa Tiegboro Camara, ex-patron de l'antidrogue, et l'un de ses hommes, le gendarme Blaise Goumou. Claude Pivi, ancien ministre chargé de la sécurité présidentielle, ferme la marche. Tous les évadés sont originaires de Guinée forestière, région du sud-est du pays.
Dans leur fuite, plusieurs fusillades les opposent aux forces de sécurité. D'abord sur l'autoroute Fidel Castro, près de l'hôpital Donka, où, selon des images de vidéosurveillance, les forces de sécurité se replient. Puis à la sortie de Conakry, où trois membres du commando sont abattus. Les images des cadavres couverts de gris-gris ont fait le tour des réseaux sociaux. Leur identité n'a pas encore été rendue publique.
Les forces de défense et de sécurité ont payé un lourd tribut, quatre de leurs hommes sont morts. Au total, selon le procureur général, 9 personnes ont été tuées ce samedi 4 novembre. Il fait état également du décès de deux civils, un infirmier et une fillette de 6 ans qui se trouvaient dans une ambulance à un barrage de l'armée. Et de 6 personnes blessées.
Le parquet général a annoncé que « plusieurs engins roulants, des armes de guerre et grenades ont été saisis ». Le jour de l'évasion, trois accusés sont rattrapés. Tiegboro Camara est le premier à retourner à la maison centrale. D'après son avocat, il aurait été enlevé et est parvenu à fausser compagnie à ses ravisseurs. Il a déposé une plainte contre X pour « enlèvement, séquestration et mise en danger de la vie d'autrui ». La même version est défendue par l'avocat de Dadis Camara, réincarcéré dans l'après-midi du 4 novembre. Dans les médias guinéens, il affirme que « l'État a failli à son obligation de garantir la sécurité des détenus de la maison centrale ».
Victimes en danger
Maître Pépé Antoine Lamah, l'avocat de Dadis Camara, n'est pas le seul à mettre en cause la sécurité du procès du 28 septembre 2009. Pour Halimatou Camara, avocate des parties civiles, il va falloir « revoir la sécurité de ce procès », « tirer des leçons » de ce qui s'est passé. « Cette tentative d'évasion a généré une certaine peur, constate-t-elle. Si on peut attaquer la maison centrale, il est possible qu'on aille attaquer les gens pendant les audiences. Rien n'est à exclure. »
Pivi en cavale fait peser un sérieux risque sur les victimes qui ont déjà témoigné contre lui, sur les avocats des parties civiles et sur l'un des accusés qui l'a mis en cause lors du procès. À la barre, en octobre 2022, Aboubacar Diakité, dit « Toumba », ancien aide de camp de Dadis Camara, a ainsi affirmé avoir vu Pivi à Hamdallaye, quartier proche du stade de Conakry, le jour du massacre. Des déclarations qui contredisent celles de Pivi. Lui affirme avoir passé la matinée à la sortie de Conakry, à Manéah, où il était en opération pour arrêter des militaires accusés de vol de pickup.
Pivi mis à prix
Soldat aguerri, Pivi a fait ses premières armes dans les années 1990, en participant aux opérations de maintien de la paix en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée-Bissau. C'est une figure influente de l'armée guinéenne, qui devint incontournable à la fin du règne du président Lansana Conté. Après sa prise de pouvoir, en 2008, Dadis Camara le nomme ministre chargé de la sécurité présidentielle. Pivi est ainsi accusé d'avoir joué un rôle de premier plan dans le massacre du stade de Conakry, le 28 septembre 2009, lorsqu'un meeting de l'opposition a été réprimé dans le sang, faisant plus de 150 morts.
Il conservera des fonctions importantes sous la présidence d'Alpha Condé, malgré son inculpation en 2013 dans le dossier du stade. Il y a un an, Pivi était emprisonné, quelques jours avant le début du procès. Aujourd'hui, la Guinée entière est à ses trousses : le ministre de la Justice offre près de 55.000 euros à qui « aura aidé ou facilité l'arrestation » de Pivi, « en donnant des indications précises aux autorités judiciaires sur sa position exacte ».
Asmaou Diallo, la présidente de l'Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (Avipa), s'avoue « plus ou moins rassurée », « à partir du moment où le gouvernement continue les recherches et où la tête de Pivi est mise à prix ». « Il ne faut pas qu'il arrive à détruire ce que nous avons réussi à faire depuis une année avec ce procès, dit-elle. En tout cas, nous continuons à avoir confiance en la justice. » Dans une déclaration conjointe, l'Avipa, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l'Organisation guinéenne de défense des droits de l'homme et du citoyen (OGDH) appellent « les autorités guinéennes à garantir l'intégrité du processus judiciaire en cours ».
Sécurité renforcée
Le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, a annoncé sur RFI que « la prison [était passée] sous un régime de haute-sécurité ». Le lendemain de l'attaque, des effectifs supplémentaires ont déjà été mobilisés. Plusieurs rues autour de la prison étaient inaccessibles, y compris aux riverains. Deux véhicules blindés étaient positionnés devant l'entrée. C'est en réalité toute la commune de Kaloum, où se trouve la maison centrale, qui a vu son niveau de sécurité rehaussé. Des barrages filtrants ont été installés aux points névralgiques qui commandent l'accès à la presqu'île, provoquant d'importants embouteillages aux heures de pointe.
Une enquête a été ouverte pour faire la lumière sur l'évasion. Elle vise Dadis Camara et ses trois co-accusés, mais également des militaires et des agents pénitentiaires pour « violation de consignes », « abandon de poste », « homicide involontaire » et « assassinat ». Selon le porte-parole du gouvernement, le commando a pu bénéficier de complicités. Sans attendre la clôture des enquêtes, une soixantaine de militaires et de gardes pénitentiaires, ainsi que Pivi, Tiegboro Camara et Blaise Goumou ont été radiés de l'armée. Dadis Camara avait démissionné de l'armée en 2015.
Les failles sécuritaires révélées par cette attaque sont béantes : selon le gouvernement, c'est le fils de Claude Pivi, Verny Pivi, qui conduisait les opérations. Militaire radié en 2012 pour des faits de banditisme, il était recherché depuis le début de l'année 2023 par les autorités, soupçonné par le renseignement militaire de préparer, justement, une attaque contre la maison centrale. Une opération menée en région forestière en janvier 2023 avait permis aux forces spéciales de capturer plusieurs membres de son groupe, mais Verny avait réussi à échapper au coup de filet.
L'ombre de l'évasion du 4 novembre planera sur le procès du massacre du stade, alors qu'il doit reprendre ce lundi 13 novembre, après une nouvelle grève des avocats, avec les premières auditions de témoins.
L'évasion sera forcément évoquée durant le procès, annonce maître Amadou DS Bah, coordinateur du collectif des avocats des victimes : « Dès que j'en aurai l'opportunité, j'en parlerai. » Pour le conseil, c'est un élément « qui conforte l'idée que [Dadis Camara] se reproche quelque chose, parce qu'autrement il n'aurait pas fui ». Il assure que l'évènement marque « un tournant ». Ce qui rendait ce procès exceptionnel, avec la présence des plus hauts responsables politiques et militaires dans le box, ce cadre-là « s'est fissuré ».